Stances morales à mon fils, faites pendant ma détention à la Conciergerie
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Paratexte
L'auteur a été détenu successivement dans quatre prisons, conduit deux fois garoté, à pied, au tribunal de Robespierre, à la place de « Volland »
Texte
Le jour que, du sein de ta mère,
Tu sortis, ô mon cher enfant !
Tes cris annonçaient que ton père
Dans les prisons était souffrant.
Pour ma tendresse paternelle
Ce jour pouvoit être si beau !…
Mais non, l'infortune cruelle
Avoir préparé ton berceau.
Depuis cinq mois, dans ma tristesse,
Je me soulageais tous les jours,
En espérant, avec ivresse,
Cueillir le fruit de mes amours.
Ce bonheur fut une chimère ;
Aussi mon absence et tes pleurs
Aggravèrent-ils de ta mère,
Ô mon fils ! Les vives douleurs.
Te nourrir était son envie ;
Mais vainement elle en brûlait ;
Elle dut, pour sauver ta vie,
Hélas ! Te priver de son lait.
Heureusement une parente
S'offrit à te donner son sein ;
Et tes jours, chers à cette tante,
S'éloignèrent de leur déclin.
De combien de reconnaissance
Pour elle je suis pénétré !
Que déjà la tienne commence
En lui souriant à son gré.
Avant de connaître ton père,
Si tu le perds, ô mon cher fils !
Ne pleure point avec ta mère ;
Mais retiens un jour ces avis :
« Aux intérêts de la patrie
Tu dois sacrifier les tiens ;
Ne crains point de perdre la vie,
Pour sauver tes concitoyens.
Dans la région helvétique,
Tell ne fut vainqueur de Guesler,
Qu'en bravant, pour la République,
Les poignards, la flamme et le fer.
De la vertu républicaine
Pour t'élever à la hauteur,
Que jamais l'implacable haine,
Ô mon fils ! N'entre dans ton cœur.
Aux infortunés sois utile ;
Cède à ton cœur officieux ;
Que ta maison soit leur asile,
Tu seras le rival des dieux. »