Sur le 10 août
Auteur(s)
Mots-clés
Paratexte
Texte
Jour saint où des Français le tyran a pâli
Ses suppôts te voudroient condamner à l'oubli,
Mais en te bénissant les âmes énergiques
Planent dans l'avenir sous tes feux prophétiques ;
Parois, brille à nos yeux, non cache ton flambeau,
C'est l'instant de tracer un horrible tableau.
J'entre dans ce palais où parmi les ténèbres,
Capet veille éclairé par cent torches funèbres :
Haï de ses sujets qu'il a trahis cent fois ;
Il frissonne de rage et de crainte à la fois,
Esclave d'une femme, il n'agit que par elle,
Et le crime entre eux d'eux levant sa main cruelle,
Menace d'écraser les remparts de Paris
Par les complots affreux d'une autre Médicis,
Tranquille et repoussant le trouble qui l'agite,
Dans un calme profond Antoinette médite ;
Son âme seule agit, et tous ses mouvemens
Sans paroître au dehors, fermentent au dedans :
Du terrible avenir où se pèse son crime,
Elle veut pénétrer l'épouvantable abîme,
Mais en vain, tout se cache, et son œil égaré
Ne voit que son époux à ses craintes livré.
Approchez lui dit-elle ; et sa haine fatale
En lui parlant ainsi dans son âme s'exhale.
« Vous serez donc vengé de vos lâches sujets :
Voilà l'instant d'agir après tant de projets :
Assez et trop longtems dans mon âme abîmée
J'ai caché, j'ai couvé ma haine envenimée,
Qu'elle s'élance enfin qu'elle éclate en ce jour,
Et des murs de Paris embrasse le contours.
Paris ! Tu vas tomber sous ma main menaçante ;
Et ta chute tardive en est plus éclatante ;
Ton heure est arrivée et tous tes habitans
Saperont encor mieux tes profonds fondements,
Tes tours dont le sommet semble braver la foudre,
Sous leurs coups redoublés vont tomber dans la poudre.
Au signal convenu, leurs bataillons rangés
Entreront chez les morts l'un par l'autre égorgés,
Au milieu du tumulte, et de sang dégoûtante
La discorde partout servira mon attente ;
Je mesure le sang qu'elle fera couler,
En comptant touts les toits qui vont bientôt crouler :
Pour qu'il n'échappe rien, faut-il que je périsse,
Je laisse à mon destin le choix de mon supplice,
Qu'il ordonne, je vais de ce fer me percer,
Ou dans l'embrasement aussitôt m'élancer ?
Je ne crains point la mort, si je puis par avance
Éteindre dans le sang les feux de ma vengeance :
Tombez enfin sur moi dômes de ce palais,
S'il doit dans votre sein respirer un Français.
Vengeances à ma voix de l'infernal abîme
Venez, que votre ardeur et m'excite et m'anime
Venez vous emparer de mon cœur en couroux,
Venez, il n'entend plus, il ne connoît que vous. »
Ses accens répétés par toutes les furies,
S'étendent jusqu'au fond des vastes galeries,
Les assassins du peuple y sont tous assemblés,
Et se formant en rangs par leurs noms appellés
Ils défilent aux yeux du lâche qu'ils défendent,
Mourir en le servant est le bien qu'ils demandent :
Chaque corps marche au poste où l'on l'a jugé digne,
Antoinette à Louis les nomme et les désigne.
« Voici vos chevaliers tous armés de poignards,
Annimez leur ardeur par un de vos regards :
Suivent les inconnus dont l'élite ennoblie
S'indigne en entendant le seul nom de patrie ;
L'orgueil nous les conduit, ils sont dignes de nous,
Leurs frères, leurs parents tomberont sous leurs coups ;
Avec plus de fureur que nos nobles peut-être
Ils verseront leur sang pour le bien de leur maître.
Un uniforme rouge et blanc sur les revers
Transforme en combattants nos courtisans pervers,
Et sous le même habit des prêtres homicides
De la stupidité cachent les fronts livides.
Quelquens soient ces mortels il nous faut des amis.
Plus loin sont les guerriers que la Suisse a produits
La foudre du trépas que chacun d'eux recèle,
Peut sortir trente fois d'une vive étincelle ;
Au bruit de l'instrument si connu des soldats,
La terre d'un seul coup résonne sous leurs pas
Leurs armes se réglant par leurs marches savantes
Offrent devant nos murs trois enceintes mouvantes. »
Le tyran qui les suit ne craint plus les dangers.
Ô France ! As-tu bien pu nourrir ces étrangers ?
Fils de la Liberté, les monstres l'ont trahie.
Mais du dieu des combats cette fille chérie
Des fauxbourfs de Paris réveille les enfants
Sur la Bastille en poudre encor tous triomphants.
Aux sons précipités du tocsin qui redouble,
La générale bat, on se lève, on se trouble,
Un saint saisissement passe dans tous les cœurs,
Et du noble courage a produit les ardeurs.
Le pauvre de son pain qu'il arrose de larmes
Se prive, n'entendant que le fracas des armes
Pour joindre ses voisins aussitôt accouru :
Leur nombre à chaque pas du centuple est accru.
Des bataillons entiers commencent à paroître,
Douze cents Marseillois se sont faits reconnoître :
Tout se fait dans la nuit. Le lever du soleil
Du peuple tout entier découvre l'appareil.
Armé diversement il a pour avantage
Sa haine envers les rois, sa force, son courage
Sa marche interrompue, unie en s'avançant,
N'en présente pas moins un aspect imposant
Il découvre déjà les artisans des crimes.
Combien de malheureux en seront les victimes !
Ils sont loin de savoir que leur sort est jetté,
Qu'ils n'ont qu'à répéter Liberté, Liberté
À ce cri trop long-tems inconnu sur la terre,
Les ordres sont donnés pour déclarer la guerre,
Et cent bouches de feu que servent mille bras,
Répondent en tonnant aux accens du trépas.
Au peuple qui pâlit la décharge soufferte
Par les corps étendus fait connoître sa perte ;
Dans de plus grands périls, plus avant engagé,
Sans pouvoir se défendre il se voit égorgé.
Le bronze qui paroît par la mèche allumée
Recule au même instant sous l'épaisse fumée,
De ces nouveaux volcans la mort à long sillons,
Plane en se répandant sur tous les battaillons ;
Le terrible palais est la rive infernale,
Où le sceptre des rois tient la barque fatale
Tout ce qui s'en approche à l'instant a péri.
Aussitôt les soldats du farouche d'Affri
Profitant du carnage, et d'un moment de trouble
S'avancent secondés par leur feu qui redouble.
Leur redoutable aspect, leurs efforts meurtriers
Font à leur premier choc tomber des rangs entiers ;
Tournant encor contre eux les canons qu'ils enlèvent,
Pour mourir par le fer quelques uns se soulèvent
Et le peuple partout tremblant, épouvanté
Se disperse aussitôt par la fuite emporté
Les Marseillois eux seuls se battant en retraite,
En tombant sous leurs coups osent leur faire tête ;
Le fer qui les défend lasse leurs bras meurtris
Du sanglant Carouzel ils sont déjà sortis.
Leur fuite aux citoyens va devenir fatale.
Tout est désespéré, l'alarme est générale,
Ils résistent encor, mais attaqués, toujours
Leur voix en expirant demande du secours
L'on pleure, l'on pâlit « Mourrons, vengeons nos frères,
Ils sont tous massacrés par des mains sanguinaires »,
Ce cri semé partout, et partout entendu
Ralie en un instant tout le peuple éperdu,
Et dans ce second choc, devenu plus terrible,
Les vainqueurs étonnés le trouvent invincible.
Déjà leurs bataillons sur la place avancés
Combattent sous leurs toits jusques là repoussés.
Pour y mettre le feu les torches embrasées
S'élèvent dans les airs avec force élancées.
On y parvient bientôt, et plus que les dangers
La perte de leurs biens trouble ces étrangers :
Ils défendent les murs qui leur servent d'azile,
Un renfort du palais à leurs côtés défile.
Le combat recommence, on s'attaque de front,
Le blessé se relève, on frappe, on se confond.
De tous les combattants la rage se signale,
Par de semblables maux, par une perte égale :
Tout s'arme, les vieillards, les femmes, les enfans
Demandent à doubler des postes importans.
Le bitume fondant dans leurs animées
Verse par longs torrents ses ondes enflammées
La poussière, les traits qui volent dans les airs
Dérobent sous les pas mille pièges couverts.
Le peuple est là plus loin, la muraille qui croule
Semble s'ensevelir dans tout le sang qui coule :
Ici le citoyen sur son frère mourant
Monte pour le venger, et tombe en combattant ;
Mais ses coups ont porté dans la horde ennemie.
Des soldats qu'elle pert on la voit éclaircie ;
Quand la gendarmerie arrivée à l'instant
Ses nombreux escadrons viennent la prendre au flanc
Au son de la trompette annonçant le carnage,
Ils ne soutiennent plus le combat qui s'engage :
Et le château cruel qui les avoit vomis
Les reçoit dans son sein, ils y sont poursuivis.
C'est leur dernier repaire on enfonce la porte,
On va de tous côtés, où l'attaque est plus forte :
On écoute les chefs. Des ordres vigilants
Remplacent tour à tour les nouveaux assaillants ;
Capet voit que les siens vont être mis en fuite
Le péril est pressant, au Sénat il l'évite.
D'Affri pour le servir n'a qu'un instant de plus.
Il tombe atteint d'un coup. Les Suisses sont perdus ;
L'un sur l'autre en fuyant leurs pas se précipitent ;
Mais ils trouvent cent fois le trépas qu'ils évitent,
On les atteint partout, partout exterminés,
Ils subissent leur sort, sans être pardonnés ;
Saisis, précipités du haut des galeries
Ils tombent, et leur sang rougit les Tuileries.
Le peuple souverain poursuit, foule à ses pieds
Les ornements royaux à grands frais amassés
Et son bras généreux attestant sa puissance,
Porte au haut du palais les couleurs de la France.
La première qui jette au loin un vif éclat,
Représente les feux d'un valeureux soldat.
Le blanc est des vertus simbole inefaçable :
Aux mages du ciel la troisième semblable,
Donnant seule du prix aux deux autres couleurs,
Semble en plaisant aux yeux transporter tous les cœurs :
De l'union des trois il résulte la force,
Qui de notre arbre saint défend la foible écorce ;
Et l'union, la force, avec la probité
Ont produit l'étendard cher à la Liberté.