Liberté (La)
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Ode
Objet de tous mes vœux, idole de mon âme,
Qu'en secret j'embrassais au milieu des tyrans,
Qui vis dans tous les cœurs, et m'agite et m'enflamme,
Liberté, c'est à toi que j'adresse mes chants !
Sous toi la tyrannie expire,
L'homme enfin naît libre, et respire,
Après les fastes du malheur.
Après tant de siècles d'orage,
De mort, de deuil et d'esclavage,
Je vois l'aurore du bonheur.
Aréopage auguste, où siège la sagesse,
Le dévouement sacré, les vertus, les talents
De l'Inde, de Memphis, de Rome et de la Grèce,
Sénat de demi-dieux, accepte mon encens.
Sur les autels de la patrie ;
Quand, avec vous, je sacrifie ;
Princes, prélats, et citoyens ;
Qu'avec plaisir je vous contemple ;
Vous donnez le plus bel exemple
De l'égalité des humains.
Ne méconnaissez plus, fameux politiques,
La cause des effets enchaînés par le temps ;
Celui, qui le premier, de ses mains anarchiques,
De l'empire français posa les fondements,
Dès lors prépara leur ruine,
Dès lors, d'une guerre intestine,
L'orgueil alluma les flambeaux.
Le fer commanda le partage,
L'homme utile eut pour héritage,
Les pleurs, la faim et les travaux.
Union sacrilège, abominable, impie !
Du fer de l'assassin, et du soc de Cérès,
Le fer nous enchaîna, la raison nous délie ;
Vos fureurs ont bordé vos palais de cyprès.
Tremblez, le jour qui nous éclaire,
Pour vous, est un jour funéraire,
Un jour de deuil et de courroux :
Tremblez, nous connaissons vos crimes,
Vos mains ont creusé les abîmes,
Qui vont se refermer sur vous.
Je t'ai vu, d'Orléans, lutter contre l'orage,
Opposer la raison, la noble fermeté,
La sagesse aux abus, la justice à l'usage,
Assis entre ton siècle et la postérité.
Et toi, qui bravas les cabales
D'une Cour livrée aux scandales,
Bailly, citoyen vertueux,
La couronne de la patrie,
Et les lauriers dus au génie,
Ornent ton front majestueux.
Moments d'un deuil affreux, ô nuits, ô jours funèbres,
Que les ans, que l'oubli ne couvriront jamais,
Où le canon, les cris, le tocsin, les ténèbres,
Tout frappait sur mon cœur, et marquait des forfaits !
Quand tout redoublait les alarmes,
Que, malgré moi, tombaient mes larmes
Sur mes braves concitoyens,
Quand tous s'apprêtaient au carnage,
N'ayant encor que leur courage
Contre le fer des assassins.
Necker, que n'as-tu vu l'expression terrible
De l'amour, des regrets des Français éperdus.
Elle eût donné la mort à ton âme sensible.
Un moment a payé quarante ans de vertus.
Nos rois ont livré cent batailles,
Couvert les champs de funérailles,
Tantôt vainqueurs, tantôt défaits ;
Mais les plus beaux jours de ta gloire
Sont les plus chers de notre Histoire,
Sont les plus beaux jours des Français.
Nation magnanime, autant qu'impétueuse,
L'Europe, en t'admirant, fixe les yeux sur toi ;
Tu fus, en un seul jour, sage et victorieuse,
Tu domptas les tyrans, et respectas ton roi,
En vain d'un donjon redoutable,
Le satellite impitoyable,
Trahit, versa le sang français.
La rage y monte, et s'en empare :
J'ai vu la tête du barbare
Effrayer les yeux satisfaits.
Sous ses murs odieux, ô mère désolée,
Qui pleures le trépas de ton généreux fils,
Hélas ! Calme ton cœur, son ombre consolée ;
Voit les pleurs que je donne à ses mânes trahis.
Qu'aux lieux où siégea la vengeance
Aux libérateurs de la France,
Peuple, on élève un monument !
Muses, célébrez leur mémoire ;
Volez aussi haut que leur gloire ;
Éternisez leur dévouement.
Dans l'exécrable nuit, de ces voûtes fatales ;
Que de cris, que de pleurs, de sang, et de forfaits !
Sur ces créneaux dressés par des mains infernales ;
L'effroi semblait planer, habiter pour jamais.
D'un pied libre, ferme et tranquille,
J'ai foulé ce barbare asile,
Où l'homme entrait épouvanté.
Et reposant sur ces décombres,
Les temps, le silence et les ombres,
Parlaient à mon cœur agité.
Je disais : ta faiblesse et l'audace cruelle,
Le chaume, le palais, le pin, l'herbe de champs,
Tout rentre également dans la masse éternelle,
Dévoré, reproduit, englouti par le temps.
Jeté dans le débris des mondes,
Parmi les volcans et les ondes,
L'homme à l'homme forge des fers !…
Eh ! Tyrans, race impitoyable,
Quand, leur courroux, tout nous accable ;
Osez réparer l'univers.
En vain, pendant neuf ans, le bonheur, la victoire
Suivit, avec l'effroi, le vainqueur de Nerva ;
Son rival, bien plus grand, n'a jamais dû sa gloire
Aux lauriers qu'il cueillit aux champs de Pultava ;
Mais il doit tout à son génie ;
Il créa tout dans la Russie,
Marine, lois, Beaux-Arts, soldats :
Semant la mort et les rapines,
L'un n'a laisse que des ruines ;
L'autre a policé ses États.
Ô toi ! Jeune guerrier, brave et doux La Fayette !
Héros de l'Amérique et de la Liberté,
La gloire a dit ton nom, la France le répète,
Et le temps le présente à l'immortalité.
Villars, et Maurice, et Turenne,
Vous aviez ferré notre chaîne,
Et, vainqueurs, vous portiez des fers.
Mais qui dompte la tyrannie,
Est le vengeur de la patrie
Et le héros de l'univers.
Cependant plus heureux celui qui, loin des armes,
Peut cultiver les arts, peut servir les humains ;
Aux pleurs des malheureux il répond par des larmes ;
À peine il voit les dons prodigués par ses mains.
Ô sage ! Ô bienfaiteur du monde !
Toi seul, dans une paix profonde,
Préparas notre liberté ;
Le conquérant, détruit, ravage,
Il est le démon du carnage,
Et toi, le dieu de la bonté.
Des bouts de l'Occident, aux bornes de l'Asie,
Partout des nœuds d'airain embrassent l'univers.
Les prêtres ont coupé les ailes du génie,
Les tyrans l'ont forcé de ramper dans leurs fers.
La mort couvre les champs de Rome,
Depuis mille ans plus de grand homme,
Plus de talents, plus de vertus.
Ô race indigne de Scévole !
Ne vois-tu plus le Capitole,
Tes dieux, et l'ombre de Brutus ?
Roi des Français, roi bon, mais facile à séduire,
Tandis qu'il en est temps, écoute un citoyen :
Tu règnes ; sache au moins qui t'a donné l'empire :
Tu règnes par le peuple, et sans lui tu n'es rien.
Je n'aperçois, s'il t'abandonne,
Qu'un précipice autour du trône :
Il t'y soutient, non tes aïeux.
L'homme n'est point un héritage,
Que l'on transmette, ou qu'on partage ;
Apprends qu'il n'appartient qu'aux dieux.