Mœurs d'hier (Les)
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Muse, s'il est encor quelques âmes pudiques,
Qui n'ont point fait de pacte avec nos mœurs publiques,
Que la contagion de nos vices honteux
N'a point souillé, flétri de son fiel vénéneux,
Donne-moi tes pinceaux et laisse agir mon zèle,
Si l'indignation dans mes vers étincelle,
Si l'élan vertueux d'un cœur vraiment français
Sur les travers du jour obtient quelques succès,
Je veux ne les devoir qu'à moi, qu'à mon génie.
Seul j'aurai su venger les mœurs et la patrie.
Que d'autres, du bon goût impuissans défenseurs,
Régentent dans leurs vers nos modernes auteurs ;
Que cent sots accolés dans leur cadre facile
Aiguisent de leurs noms leur satire inutile ;
Vers un plus noble but j'élève mes esprits.
Qu'importent en effet de maussades écrits !
L'honneur de l'Hélicon a bien quelque importance,
Mais qu'est-il aux forfaits qui désolent la France ?
Poètes tant vantés dont les bienfaits des rois
Couronnaient les efforts, encourageaient la voix
Qui recueilliez, pour prix d'un encens mercenaire,
Le droit de censurer lâchement le vulgaire,
Vos inutiles traits, dans leur malignité,
Vendus à la faveur, flattaient l'autorité.
Loin de moi cet abus, ce servile scrupule,
Tout méchant, quel qu'il soit, sentira ma férule.
Dût mon ingrat pays d'un laurier fugitif
N'ombrager qu'à regret mon cercueil trop hâtif ;
Et dussent, sans obstacle, unis pour me détruire,
Les pervers déprimer le beau feu qui m'inspire,
Gilbert, j'aurai ton sort sans en être abattu :
Prête-moi ton talent, j'ai déjà ta vertu.
Siècle affreux ! Siècle vil ! Par quel honteux silence
Faut-il qu'impunément la fraude et la licence
Déshonorent sans frein le pouvoir, les honneurs !
Il n'est plus qu'un instinct qui parle dans nos cœurs.
L'or est tout à nos yeux. Est-il rien qu'il n'efface ?
Il absout les forfaits ; il supplée, il remplace
Les vertus, les talens ; tout ce qui fut jadis
L'honneur des nations a perdu de son prix.
On a mis à l'encan jusqu'au droit de rapine
N'estimer que le crime enrichi de ruine,
Sur une toise d'or mesurer son encens,
À des sots empourprés immoler le bon sens,
Voilà de nos Français quel est le caractère.
El je pourrais le voir, le souffrir et m'en taire !
Voyez ce nain, naguère environné d'exploits,
Qui tint de ses huissiers l'art de faire des lois ;
Infidèle apprenti de Cujas, de Barthole,
Effronté déserteur de notre antique école,
Il a forgé les fers de notre liberté ;
Un poignard à la main prêché l'humanité ;
Dépouillé l'innocence en parlant de justice ;
D'un zèle furibond masquant son avarice,
L'or qu'il accumula sous ses sanglantes mains
Au faîte des grandeurs lui soumit nos destins,
Il régna… Si sa chute a vengé nos misères,
Sous un joug moins honteux, sous des loix moins sévères,
Ce peuple automatique, étrange souverain
Qui, servile instrument d'un pouvoir assassin,
Seconde de ses mains la fureur qui l'opprime,
Est-il moins enfoncé dans la fange du crime
Blasés sur tous les maux, sur tous les attentats,
Nourris dans la stupeur qui détruit les États,
Français, m'oserez-vous opposer la victoire
Qui se plaît à couvrir des lauriers de la gloire
Vos outrages, vos fers vainement déguisés ?…
Ah ! Déplorant l'erreur de vos cœurs abusés,
J'admire comme vous ces cohortes guerrières
Qui, seules, héritant des vertus de nos pères,
Savent d'un bras nerveux châtier les Anglais,
Confondre et leur orgueil et leurs lâches projets,
Et, de l'Europe impie affectant un faux zèle
Punir, déconcerter la ligue criminelle.
Mais, tandis que l'honneur retranché dans nos camps
Déserte nos cités en proie à cent tyrans ;
Tandis que la vertu, qui loin de nous s'exile,
N'a plus que sous la tente un honorable asyle ;
Vous, lâches, qu'à servir façonna la terreur,
Vous qu'à son char sanglant enchaîne le vainqueur,
Lorsque les factions, déployant leur furie,
Par de nouveaux combats déchirent la patrie
Qu'osez-vous réclamer ? Dites ; quels sont vos droits
Pour vous enorgueillir de ces hardis exploits ?
Est-ce à des cœurs glacés, nourris dans l'esclavage.
Usés pour les vertus, qu'aucun affront n'outrage,
À toucher ces lauriers indignes de vos mains ?
C'est trop que, de leurs chants, objets de nos dédains,
De leurs vers sans chaleur dont le bon goût s'offense,
Des rimeurs, proclamés poètes de la France,
Flétrissent tant de gloire, et que, dans tels journaux,
Leurs noms, déjà mêlés aux noms de nos bourreaux,
Obtiennent un éloge aussi vrai qu'honorable.
Je vois dans cet accord les baudets de la fable ;
L'un brait, l'autre applaudit : heureux, en ces ébats,
Le mépris et l'oubli qui vengent nos soldats.
Mais, telle est de nos mœurs la coupable influence,
De leur contagion la funeste puissance,
L'air infect des cités, les poisons corrupteurs
Dont s'enivre à Paris un monde de flatteurs,
Que ces mêmes héros que l'univers contemple,
Loin des camps entraînés, pervertis par l'exemple,
Aux puissans du moment immolent à la fois
Leur gloire, leur devoir, et le peuple et ses droits.
Là le plomb meurtrier, là l'airain des batailles
Du sang des citoyens rougissent nos murailles :
Ici, d'un code affreux esclaves abrutis,
En lâches assassins des guerriers travestis
Poignardent sans péril la timide innocence.
S'il s'élève un vengeur qui, prenant sa défense,
Ose faire parler la sainte humanité,
Oppose une barrière à leur férocité,
Et contre tant d'horreurs lève sa voix hardie,
Ils placardent nos murs de leur ignominie
S'acharnent à leur proie, et vaincus, non punis,
Par des meurtres nouveaux épouvantent Paris.
Pour qui donc tant d'efforts ? En quelles mains habiles
Est le fil merveilleux de ces pantins dociles ?…
Ô honte ! L'almanach de nos tems odieux
Nous vaudra le mépris de nos derniers neveux.
Parcourez sans frémir cette liste exécrable :
Pour dix noms ignorés, pour un nom respectable,
Combien qui, par les maux qu'ils nous ont fait porter,
Ont acheté le droit de nous épouvanter !
Dans le sein de la mort leur avide furie
Creusa les fondemens de leur triomphe impie !
Et la France se tait ! Et leur front insolent
N'est pas à tous les yeux marqué d'un fer brûlant !
Tel on voit dans nos champs un faisceau salutaire
Désigner le taureau trop prompt dans sa colère,
Tels je voudrais les voir indiqués aux passans
Comme des furieux prêts à mordre les gens.
Mais ils règnent ! Leurs lois annoncent leur présence :
Sous eux règnent d'accord le vice et la licence.
L'escroc tranquillement dans son tripot ouvert
Dépouille l'imprudence autour d'un tapis vert,
Et, d'un refait tombé de sa main assassine,
Fait jurer cent joueurs consommant leur ruine.
Près de lui, mons Grippon tient sa maison de prêt ;
L'intérêt est léger et l'argent est tout prêt,
Jeune homme, ce bijou que tu tiens de ton père,
Toi, ce gage sacré d'une union trop chère,
Toi, ce dernier brillant qu'en ses pressans besoins
Ton ami sacrifie et commet à tes soins,
Chez l'honnête usurier vous en ferez ressource :
Il est humain, sans peine il ouvrira sa bourse.
En effet ; pour le tiers au plus de la valeur,
Déjà de vos dépôts le voilà possesseur,
Et six pour cent par mois qu'il a touchés d'avance,
Ont rogné vos écus, non pas votre espérance.
Je vous vois replacés autour du trente et un…
Du coup que vous suivez quel retour opportun !
La fortune vous rit, profitez du caprice…
Quelle ample moisson d'or !… pour le coup, c'est justice…
Mais la taille est finie ! Irez-vous à l'instant
Rembourser l'usurier qui vous vaut cet argent ?…
Non. Les momens sont chers ; le sort vous favorise,
Poursuivez-le : tandis que la taille est remise,
Le passe-dix vous offre un triomphe nouveau :
Mais, quoi !… de ce bonheur il devient le tombeau,
Et, ruminant encor sur la porte entr'ouverte
Le coup inattendu qui cause votre perte,
Déjà de ce séjour, objet de vos regrets,
Vous fuyez en jurant de n'y rentrer jamais…
Cependant ce jeune homme, en revoyant son père,
Se tait, ne rougit point, mais songe à se refaire ;
Et, les plus vils moyens ranimant son espoir,
Il n'est bientôt pour lui ni remords ni devoir.
Cet époux ruiné, rentré dans sa famille,
Venge brutalement sur sa femme et sa fille
Le revers mérité qui cause son humeur ;
Aux plaisirs innocens il a fermé son cœur ;
Et le divorce enfin devenu nécessaire
Brise tous ses liens et d'époux et de père.
Quant à l'ami perfide, ou du moins imprudent,
Il ne saurait survivre à son égarement,
Et la Seine engloutit dans ses ondes tranquilles
Son désespoir tardif, ses remords inutiles.
Voilà donc les présens de nos réformateurs !
Voilà par quels moyens ils ont poli nos mœurs !
Ces tripots sont pour nous plus funestes encore
Que ne le fut jamais la boîte de Pandore ;
Mais ils ont calculé sur la corruption,
Et tout vice a des droits à leur protection.
Tout vice a son tarif, et l'or, dans leur morale,
Écarte tout scrupule, efface tout scandale.
Voyez-vous cette foule assiégeant tout le jour
Ce ministre, ce grand de la moderne Cour ?
Sur quoi se fixera son appui qu'on marchande ?
Sur la probité ? Non : sur la plus riche offrande.
Un peu d'or va bientôt décider sa faveur,
Et ce soir nous aurons un nouveau fournisseur.
Heureux Mondor, jouis de ce brillant partage ;
Vole à tes fonctions, vole, fournis, courage !
Affame nos soldats, couvre-les de haillons,
Tes comptes n'en seront ni moins sûrs ni moins bons,
Pourvu que cent commis et trente commissaires
Puissent, grâce à ton or, voir clair dans tes affaires…
Mais ton compte est rendu : ton modeste bilan,
Dans ton ambition a surpassé ton plan :
Quoique encor créancier, même en payant tes dettes,
Ta fortune déjà serait des plus complettes…
Cependant, l'arriéré d'un million d'écus,
Jusqu'ici refusés à tes soins assidus,
Mérite qu'on y pense, et déjà ta souplesse
A capté la beauté qui pour toi s'intéresse…
Sois certain du succès, compte sur son crédit :
De l'intrigue du jour elle a toujours l'esprit.
Son nom fut trop long-tems cité dans nos gazettes,
Elle a trop figuré, trop marqué dans nos fêtes,
Ses époux, ses amans ont fait trop de fracas
Pour qu'un refus brutal offense ses appas.
De tes trois millions on t'a dit le partage ;
Une chasse, cent thés, vingt bals du haut parage
En consommeront un ; l'autre, en cinq ou six parts,
D'autant de favoris te vaudra les égards ;
Le troisième est à toi sans nulle retenue ;
Réjouis-toi, Mondor, ton affaire est conclue.
Voilà, voilà nos mœurs ! Voilà par quels accords
On épuise l'État, on brise ses ressorts !
Voilà qui nous conduit à ces lois en délire,
Qui dans ses fondemens ont ébranlé l'empire,
Et, violant les droits de la propriété,
Osent encor parler de notre liberté !
Insensés, que jamais leur propre expérience
Ne saurait préserver d'une folle imprudence !
Qu'espèrent-ils ? Ce fou qui, cherchant un trésor
Dans les flancs d'une poule, y perdit ses œufs d'or,
Était plus conséquent, au moins plus excusable
Il leur manquait encor, pour surpasser la fable,
D'unir à leurs emprunts ce code monstrueux,
L'effroi du citoyen, l'espoir du factieux !
Merlin, dans sa retraite, a dû pâlir d'envie
En voyant ses rivaux, éclipsant son génie,
Par un décret nerveux, à son invention
Ajouter tant de force et de perfection…
Quel vacarme soudain ! Quelle rumeur nouvelle !
Où courent ces soldats qu'à grands cris on appelle ?
Dieux ! Un meurtre et déjà l'assassin furieux
Profitant du désordre, échappe à tous les yeux !
Le magistrat accourt, la foule qui le presse
Au sort de la victime avec lui s'intéresse ;
Mais le bras forcené qui déchira son sein,
Est à tous inconnu ; la loi menace en vain.
Cependant, des crieurs les bandes faméliques,
Font retentir au loin leurs accens énergiques.
« À deux sous, à deux sous, le fidèle récit
Du grand assassinat arrivé cette nuit ».
À travers le fracas de ce cri pitoyable,
Un citoyen paisible, un vieillard respectable,
Qui, deux ans dans les fers, sous nos derniers Titus,
Sans murmure expia soixante ans de vertus,
Croit distinguer un nom chéri dans sa famille.
Dorval ! Dieux ! C'est l'époux qu'il promit à sa fille !
C'est lui qu'un furieux a ravi, sans retour,
À la vie, au bonheur, à l'hymen, à l'amour !
Peignez-vous, s'il se peut, sa douleur, ses alarmes
Sur sa fille accourant pour essuyer ses larmes,
À son trop faible père arrachant son secret,
Et froide et sans couleur tombant sur le parquet…
Au milieu des horreurs où son âme est en proie,
On frappe… Est-ce un secours que le Ciel nous envoie,
S'écrie en soupirant ce père infortuné ?…
On frappe encore, il ouvre, et son œil étonné
Découvre avec terreur une nombreuse escorte,
Qui l'entoure et d'abord s'empare de la porte,
Suivez-moi, dit un chef. – Quel motif ?… – Suivez-moi,
J'ai mon ordre ; il suffit : marchez, de par la loi.
La loi veut mettre enfin un terme au brigandage,
Vous êtes désigné pour lui servir d'otage,
Ainsi sera vengé le meurtre de Dorval…
Qu'ajouter au tableau de ce code infernal !…
Et l'on ose, au milieu de tant de barbarie,
L'on ose nous parler d'amour de la patrie !
Où sont donc les devoirs qu'on n'a point méprisés ?
Les liens sociaux que l'on n'a point brisés ?
Les forfaits que n'ont point couronnés nos hommages ?
Les vertus qu'on n'a point flétri de mille outrages ?
Si ce peuple abruti, sans travail et sans pain,
Rampe dans le bourbier qu'il créa de sa main,
En accusera-t-on Charles, Pitt et leur clique ?
Étrange aveuglement ! Étrange politique !
Paralysant les bras qui pouvaient nous servir,
Et déchirant le sein qui devait nous nourrir,
Imprudens ! Nous n'offrons à la triste industrie
Qu'un fisc dévorateur, qu'une lente agonie,
Et nous cherchons ailleurs la source de nos maux
Ils ont épouvanté jusques à nos rivaux !
L'univers ébranlé nous impute sa perle ;
Le commerce éperdu, sur sa tombe entr'ouverte,
Siècle déshonoré, siècle présomptueux,
T'accuse hautement de ses revers affreux ;
Et, te donnant le prix des maux que tu lui coûtes,
Te nomme, en s'éteignant, siècle des banqueroutes
Parcourez de nos lois l'épouvantable amas.
Quel cahos ! Est-ce ainsi qu'on régit les États ?
Dabaud, depuis dix ans, avec soin les entasse ;
Discours, rapports, décrets, il met tout en liasse.
Entrez chez lui, bientôt, par sa collection,
Vous le verrez enfin chassé de sa maison.
Et de tout ce fracas, de cet obscur grimoire,
On dira que je dois torturer ma mémoire !
Oh ! Grâce !… je conçois qu'on se débat en vain
Pour tel ou tel système, et suis républicain
À Paris, comme ailleurs je serais royaliste ;
Tout est bon à mes yeux, hors l'abus ; et j'insiste
Sur la nécessité de respecter les lois ;
Du pays où l'on vit c'est le premier des droits.
Mais ce serait des mots faire un étrange usage,
Que de m'assujettir à changer de langage,
De conduite, de mœurs, au gré des factions
Qui prêtent à leurs lois toutes leurs passions.
Les lois que je consens, que je suis, que j'invoque,
Parlent à ma raison, et n'ont rien d'équivoque ;
Pour les étudier je descends dans mon cœur :
C'est mon livre, mon guide et mon seul précepteur.
Dis-moi, Dabaud, ces lois dont tu fais la pâture,
Tu les connais, dis-tu ? C'est bien ! Je t'en conjure,
Montre-moi leurs rapports avec l'égalité ;
Cherche dans tes recueils une ombre d'équité.
Ce ci-devant maraud, dont l'insolente roue
N'épargne le passant qu'en le couvrant de boue,
Des biens de son patron possesseur impudent,
Te semble-t-il moulé pour ce rôle important ?
Quels talens, quels travaux, quelle utile industrie,
Lui valent tant d'éclat et tant d'effronterie ?
Des talens ! Des travaux ! Qui ? Lui ? Monsieur Lafleur !
En faut-il aujourd'hui pour être un gros seigneur ?
Il a, dans le bon tems, sans avoir une obole,
Fait vingt soumissions, acquis sur sa parole
Vingt terres qu'il paya d'un an de revenu ;
Grâce à nos lois, en lui tu vois un parvenu.
C'est un vol, je le sais, tu le sens ; mais qu'importe ?
La justice se tait, la passion l'emporte.
Son maître a réclamé contre cet attentat,
Son droit est reconnu ; mais la raison d'État,
Protégeant de Lafleur les contrats usuraires,
Ravit au réclamant ses champs héréditaires,
L'inscrit sur le grand livre, et, par dérision,
Traite ce vil trafic de compensation
Le grand livre ah ! Fuyons tout ce qu'il nous rappelle.
Mon talent se pût-il égaler à mon zèle ?
Pourrais-je rassembler d'assez noires couleurs,
Pour peindre dignement ces esprits inventeurs,
Qui, dans l'art de Cambon surpassant leur modèle,
Exploitent chaque jour une mine nouvelle,
Et, suppléant l'impôt par mille inventions,
Dévoreront la France en confiscations
Lasse de censurer, que ma plume sévère
Donne enfin du relâche à mon humeur austère ;
Aussi bien, qu'espérer de mes vers indiscrets?
Le Français aujourd'hui rira de mes portraits ;
Demain tel important, dont j'ai peint l'insolence,
M'osera menacer du poids de sa puissance ;
Et peut-être, blâmé de nos honnêtes gens ;
Les verrai-je à mon sort rester indifférens
Lâches ! Ainsi que vous, je ne suis point esclave !
Rampez, rampez : flattez ces puissans que je brave ;
Mes vers attesteront à la postérité
Et votre ingratitude et votre lâcheté…
Je ne m'adresse point à vous, mes chers confrères,
Sages dispensateurs des lauriers littéraires,
Dont les rares talens offrent dans l'Institut,
Aux beaux-arts, au bon goût la planche de salut.
On connaît vos vertus, surtout votre courage ;
Jamais le vice heureux n'a reçu votre hommage ;
Et vos cahiers savans, du Nil jusqu'à Paris,
Au siècle de Colbert ont arraché le prix.
Je remets en vos mains le soin de ma mémoire ;
Je vous lègue à la fois ma satire et ma gloire,
Pourvu que Morellet, et tant d'autres faquins
Indignes de s'asseoir sur vos nobles gradins,
Respectent à jamais l'admirable harmonie
Qui des Français en vous concentre le génie…
Quels accens jusqu'à moi retentissent soudain ?…
Courons… De nouveaux traits je vais armer ma main…
Mais non… Paris sourit et mon génie expire ;
Je cesse sans regret ma tardive satire.
Quand le peuple est content, quand il bénit son sort,
Que dirais-je ? Louer n'est point de mon ressort,
Jours trop fameux, ce jour à jamais vous efface ;
L'espérance en nos cours vient reprendre sa place.
Les factieux trompés dans leur coupable espoir,
Des tyrans déposant leur barbare pouvoir,
La morale en crédit, les vertus honorées,
La paix récompensant nos lois régénérées,
Tels sont enfin les vœux et l'espoir des Français.
Ils seront accomplis. À ces rares succès
Un héros nous permet, nous ordonne de croire :
Il ne saurait souffrir qu'on ternisse sa gloire
Aujourd'hui, dans Paris, quand son bras est levé,
Du crime, de l'erreur, le règne est achevé.