Mon dernier mot sur les femmes poètes. Réponse au C. La Chabeaussière

Auteur(s)

Année de composition

1796

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Texte

Eh ! Puis-je redouter un sexe que j'adore ?
Sa grâce naturelle eut mon premier encens
Elle inspira mes vers et les inspire encore.
De nos tendres Psychés le suffrage m'honore ;
Il échauffe ma lyre et mes derniers accens
Diront les charmes ravissans
D'un esprit qui plaît et s'ignore.
L'esprit qu'on veut avoir est le seul que j'abhorre ;
C'est le seul qu'ait sifflé Molière et le bon sens.
Un fol espoir le guide, un sot orgueil l'enivre.
Que va faire Zulni sur les doctes sommets ?
Psyché plut à l'Amour et ne fit point de livres ;
Les Grâces, dans Paphos, ne rimèrent jamais ;
Jamais Vénus sur son triste pupitre,
Ne griffonna la romance ou l'épître.

La Suze quelquefois fit bâiller en rimant.
Tibulle chantoit sa Délie ;
Délie est immortelle aux vers de son amant :
Mais cet objet si doux en seroit moins charmant,
Si de versifier iI eût eu la folie.
L'Amour en s'approchant d'un objet enchanteur
Veut trouver une belle et non pas un auteur.
Cet aimable enfant qu'épouvante
L'orgueil d'une ride savante,
Fuit des prétendions le ridicule excès :
Les petits riens rimés et leurs petits succès
Valent-ils le bonheur ? Quand la beauté compose,
La beauté perd de ses attraits :
Elle parle sans art une si douce prose !
L'encre sied mal aux doigts de rose,
L'Amour n'y trempe point ses traits.

Oh ! Combien la femme sensible
Cultivant un doux myrthe et non de vains lauriers,
Préfère avec raison ses modestes foyers
À notre Pinde inaccessible !

Tourment d'un ami, d'un époux,
Belle qu'agite encore une gloire inquiète,
La Nature vous crie : iI est des soins plus doux !
Soyez épouse et mère au lieu d'être poète !
L'enfance, qui vous tend les bras,
Vous demande un lait pur et non l'eau d'Hyppocrène.
Ah ! Tarisse jamais la poétique veine,
Plutôt qu'un sein pressé de ses doigts délicats !
Que le hochet fasse taire la lyre ;
De l'amour maternel savourez le délire.

Par ce fils chancelant dont vous guidez les pas,
Dans la postérité commence votre empire ;
Et ce front, qui déjà réfléchit vos appas,
Cette âme, où votre âme respire,
Ce doux nom qu'il bégaie avec un doux sourire,
Vaut bien la folle rime et des lecteurs ingrats.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an V de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1796, Paris, Louis, an V, p. 139-141.