Mort de Lavoisier (La)

Année de composition

ap. 1794

Genre poétique

Description

Paratexte

Hiérodrame mis en musique par le Citoyen Langlé, professeur national du Conservatoire et membre du Lycée des Arts.

Texte

Symphonie d'ouverture et marche funèbre, pendant lesquelles des Lévites jettent des fleurs sur le 
sarcophage, et l'ornent de guirlandes.

Chœur :

Nos pleurs sont ceux d'une douleur sincère ; 
Nous perdons un ami, nous pleurons tous un frère : 
Voyez ce deuil affreux, ces lugubres apprêts ; 
Cœurs sensibles, venez partager nos regrets. 

(bruit d'orage, terminé, par un coup de tonnerre, que suit une consternation générale

Un coryphée de l'extérieur :

De l'amitié, la retraite tranquille
N'est-elle plus le sûr asile
De la paix et du vrai bonheur ?
D'où naissent ces alarmes ? 
Je vois couler vos larmes ! 
D'une sombre douleur
D'où vient que votre âme est atteinte ?
Partout ici je vois l'empreinte
Du désespoir et du malheur.

Second coryphée de l'extérieur :

Ah ! De nos maux le récit plein d'horreur, 
Vous étonnera davantage !

Fatigué d'un long esclavage,
Le Peuple avoit repris ses droits ;
Soudain le plus terrible orage
De ses nouveaux tyrans vient seconder la rage,
Et de l'humanité briser les saintes lois.

Du sein de leurs mères tremblantes
Je vois arracher les enfans !
De ces épouses expirantes
J'entends les longs gémissemens ;
Le fils redemander son père,
La sœur tomber près de son frère !
Ah ! Ce spectacle de douleur
Afflige encore et déchire mon cœur.

Récitatif :

Tandis qu'au dehors l'airain tonne, (bruit du canon
Et fait de nos guerriers respecter la valeur,
De la mort au dedans l'heure fatale sonne… (tocsin)
Partout une morne stupeur
Abandonne aux bourreaux la victime innocente ;
La France entière ne présente
Que l'épouvante et la terreur !

Que vois-je ? Tout-à-coup on se presse, l'on crie !
Au milieu de ce peuple égaré, furieux,
Victime de la tyrannie,
Quel est ce martyr glorieux
Que suit à l'échafaud un regard douloureux ?…
Son front est animé du beau feu du génie !
C'est Lavoisier ! 

Le premier coryphée :

Grands dieux ! 
Ce digne ami des arts, ce mortel précieux ! 
Il porte dans sa main la palme du LycéeLe Lycée des Arts lui a décerné une couronne trois jours avant sa mort, et la lui a portée à la Conciergerie .

Le second coryphée :

Ah ! D'un juge injuste et cruel,
L’âme féroce est offensée
De cet hommage fraternel !
« Avec de tels talens, avec tant de lumières,
On est, dit-il, de fait, suspect et criminel,
Il doit périr ! » 

Le premier coryphée et le chœur :

Ô honte ! Ô comble de misères !
Ô souvenir trop affligeant !

Le second coryphée :

À la mort condamné, cependant il espère
Qu'il pourra terminer un travail important :
Pour être utile encore il lui faut un instant,
De quelques jours il veut que l'on diffère… !
Un vandaleRéponse mémorable du brigand Dumas, à ces mots répond en rugissant :
« Dans le fond des tombeaux emporte ta science ;
De tes arts nous saurons nous passer à présent ;
C'est du fer qu'il nous faut, il suffit à la France. »

Le premier coryphée :

Dieux ! Quel excès de cruauté !

Le second coryphée :

On l'entraîne soudain… Le supplice s'apprête.

Le premier coryphée :

La vertu, le talent, rien n'est donc respecté !

Le second coryphée :

L'amitié veut parler !… Mais lui-même il l'arrêteIl a empêché ses amis de faire des démarches qui pouvoient le compromettre.
Le coup fatal est à l'instant porté. (coup de tamtam
Rien n'a pu le soustraire à leur férocité !…
Mais le fer assassin qui fait tomber sa tête,
Laisse passer son âme à l'immortalité…

On répète le chœur :

Nos pleurs sont ceux d'une douleur sincère,
Nous perdons un ami, nous pleurons tous un frère !

Le premier coryphée :

Vos cris sont impuissans, on ne les entend plus ;
De vos nouveaux destins que l'aspect vous console :
Quand la mort a frappé, la cruelle s'envole,
En se jouant de nos vœux superflus.

Air triomphal :

De tout côté la trompette guerrière
Annonce à l'univers vos étonnans succès
Bientôt la plus brillante paix
À tous les arts va r'ouvrir la carrière,
Et rendre, enfin, le bonheur aux Français.
Tant de puissance, tant de gloire
Doit mettre un terme à nos regrets ;
Il faut que le sombre cyprès
Cède aux lauriers de la victoire.

Le second coryphée et le chœur :

Notre frère a cessé de souffrir,
Son corps seul a péri, son âme vit sans douteSine dubio, sans aucun doute,
De l'éternel bonheur, libre, elle suit la route ;
Il nous entend, il nous écoute ; 
À jamais il vivra dans notre souvenir.

Le premier coryphée :

Pour réparer les maux de la patrie,
Bientôt, sous le règne des lois,
Le commerce et les arts vont reprendre leurs droits,
Et verser les trésors d'une heureuse industrie.

Des utiles talens consacrez les bienfaits,
Ouvrez à Lavoisier les fastes de l'histoire ;
Pour honorer son génie à jamais,
Qu'un monument s'élève à sa mémoire.

Chœur général :

Des utiles talens consacrons les bienfaits, 
Ouvrons à Lavoisier les fastes de l'histoire ;
Pour honorer son génie à jamais,
Qu'un monument s'élève à sa mémoire.

(bruit triomphal de l'harmonie, au son duquel s'élève une pyramide décorée du buste de Lavoisier, dont la tête est ceinte de la couronne immortelle décernée au génie)

 
 

Sources

BNF, Ye 20004.