Mort du général Hoche, ou le Vieillard d'Ancenis (La)
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Texte
Le vieillard d'Ancenis :[1]
Ô mes fils ! Partageons les communes douleurs,
Pleurons : Nantes gémit, Angers verse des pleurs ;
Un long crêpe a couvert ces riantes vallées ;
Vu bord du fleuve ému, nos tribus désolées
Célèbrent un héros qu'enferme le cercueil :
Hoche n'est plus, mes fils ; et la France est en deuil !
Il ne brillera plus sur un char de victoire,
L'heureux libérateur des rives de la Loire ;
Puissant par la clémence et grand par les bienfaits,
Après avoir su vaincre, il sut donner la paix.
Vous connaissez l'ormeau qu'entouraient nos familles,
Quand, le dixième jour, nos guerriers et nos filles,
Par de rustiques jeux fêtaient la Liberté :
Il comptait trente hivers ; mes mains l'avaient planté ;
Des vieillards, des amans, son ombre était chérie ;
Et son riant feuillage égayait la prairie.
Le fer n'insultait pas ses rameaux protecteurs,
Ses rameaux, doux abri des timides pasteurs,
Soit quand les eaux du ciel désaltéraient nos plaines,
Soit quand le Chien brûlant tarissait les fontaines.
Le voyageur qu'afflige un tronc inanimé,
Redemande en pleurant l'ombrage accoutumé.
Mais les flots de la Loire ont semé le ravage :
Il a péri, l'ormeau, délices du rivage ;
Mes yeux l'ont vu tomber sans force et sans appui ;
Hoche, plus jeune encor, est tombé comme lui.
Quels étaient les fléaux qui désolaient ces rives,
Quand il vint rassurer nos familles craintives!
Il parut : son aspect enfanta des guerriers.
Avant lui, désertant les rustiques foyers,
Femmes, enfans,vieillards, cherchaient au sein des villes
Des jours moins inquiets et des nuits plus tranquilles ;
Nos peuplades fuyaient des brigands inhumains,
Nés dans les mêmes champs qu'ont dévastés leurs mains.
Ils vengeaient, disaient-ils, la foi de nos ancêtres.
Hélas ! Ces malheureux, victimes de leurs prêtres,
De village en village apportant le trépas,
Calomniaient leur Dieu par des assassinats !
Mais ce Dieu les frappa de sa main vengeresse.
Quiberon ! Lieu célèbre et cher à ma vieillesse,
Tu n'as point oublié les braves d'Ancenis !
J'apprends que de nouveau les brigands réunis
Promènent dans les bois leurs drapeaux parricides ;
Qu'on a vu sur nos bords des transfuges perfides
Qui, sous un joug impie, ardens à se ranger,
Ont mendié partout l'appui de l'étranger ;
Que l'Anglais avec eux vient désoler nos plaines :
« L'Anglais ! Du sang breton coule encor dans mes veines,
M'écriai-je aussitôt ; je joindrai nos soldats ;
Le fer ne sera point trop pesant pour mon bras.
L'Anglais ! Partons, mes fils, embrassons votre mère ;
Armez-vous ; donnez-moi le glaive héréditaire
Qu'aux champs de Fontenoy ma jeunesse a porté,
Et que mes derniers coups vengent la Liberté ! »
Nous partons, nous quittons votre mère alarmée ;
J'offre au jeune héros qui commandait l'armée
Quatre guerriers de plus : le père et les trois fils ;
Vos bras, votre courage et mes cheveux blanchis.
Il sourit. « J'y consens, soyez parmi les braves ;
Hommes libres, dit-il, combattez les esclaves. »
Ce jour même nous vit triompher sous ses lois ;
Et nous avons de près admiré ses exploits.
Anglais, brigand, rebelle, inondaient le rivage ;
Mais la patrie enflamme et double le courage ;
La gaîté qui préside aux combats des Français
Garantissait d'avance et chantait nos succès.
À ces chants belliqueux les rebelles frissonnent ;
L'airain, le fer, les flots, la mort, les environnent ;
Tout meurt, fuit, ou se rend ; le rivage est soumis ;
Et le vainqueur debout ne voit plus d'ennemis.
Nos mains ont désarmé leurs phalanges tremblantes ;
Bientôt ces lieux n'offraient que des roches sanglantes,
Des sables infectés et de débris couverts,
Et des vaisseaux fuyant sur l'asile des mers.
Après ce jour illustre un heureux jour commence.
Défaits par la valeur, vaincus par la clémence,
Les tristes Vendéens, à la guerre échappés,
Abandonnent les chefs qui les avaient trompés.
Exilé trop long-tems sous la tente guerrière,
Le villageois revient habiter sa chaumière ;
La paix a ramené les champêtres plaisirs ;
Un ami des humains nous a fait ces loisirs.
Des vainqueurs, des vaincus, il essuya les larmes.
Partout, dans les hameaux, en déposant les armes,
Les Français réunis embrassaient les genoux
De cet ange de paix descendu parmi nous.
Il nous rendit nos jeux, nos danses bocagères ;
Il chanta les refrains de nos chansons légères ;
Ancenis vit encor les fêtes sous l'ormeau ;
La colline entendit les sons du chalumeau ;
Et le pasteur, enflant la musette rustique,
Égaya vers le soir le repas domestique.
Tel, quand au sein des nuits les sombres aquilons
Ont de sifflemens sourds attristé les vallons,
Prodiguant à nos fleurs sa caressante haleine,
Le zéphyr du matin vient consoler la plaine.
Ô père infortuné qu'assiègent les regrets !
Un bonheur sans nuage habite ces guérets :
Qu'à nos agriculteurs ta vieillesse sacrée
Offre les doux rayons d'une belle soirée !
Tous ceux qui maudissaient, dans nos calamités,
Leurs champs semés toujours et toujours dévastés,
Les yeux mouillés de pleurs, diront : Voilà mon père.
Éprouvant par ton fils un destin plus prospère,
Devant tes cheveux blancs prompts à se rallier,
En foule ils t'ouvriront le chaume hospitalier.
Du pacificateur là tu verras l'image ;
Des heureux qu'il a faits tu recevras l'hommage ;
Tu trouveras partout des soutiens, des amis ;
Mais qui peut consoler de la perte d'un fils ?
Ah ! La patrie au moins, reconnaissante et juste,
Soulage avec respect ton indigence auguste !
De ce fils qui n'est plus le nom te sert d'appui !
La justice du tems a commencé pour lui ;
Les siècles à venir sont déjà sa conquête ;
De son deuil triomphal on célèbre la fête.
Moi-même, de Paris visitant les remparts,
J'ai vu, mes fils, j'ai vu dans la plaine de Mars,
La douleur et les arts qui lui prêtaient des charmes,
Tout, hormis le guerrier qu'honoraient tant de larmes !
Ainsi que les héros, les sages l'ont vanté ;
Tout le peuple a gémi ; les bardes ont chanté.
Quatre chefs renommés, l'espoir de la patrie,
Portaient du guerrier mort la dépouille chérie ;
Magistrats,citoyens, l'œil triste et l'âme en deuil,
De leurs rameaux de chêne ombrageaient son cercueil.
Courbé par la douleur et le poids des années,
Son vieux père, accusant l'arrêt des destinées,
Laissait tomber ces mots, cent fois interrompus :
« Charles, mon pauvre enfant, je ne te verrai plus ! »
Les rayons du héros entouraient sa famille,
Et le père, et la veuve, et la sœur, et la fille
Qui, sa branche à la main, tendait vers le tombeau
Ses petits bras couverts des langes du berceau.
Lui-même contemplait cette fête imposante :
Quand tout pleurait, son ombre invisible et présente
Mêlait un chant de gloire aux longs gémissemens,
Et de nos défenseurs recevait les sermens.
Ils ne seront pas vains ! L'heure approche où la France
Du vainqueur des Anglais remplira l'espérance !
Quand l'aigle a ralenti son vol audacieux ;
Quand la paix triomphante, et descendant des cieux,
À la voix des Français vient sourire à la terre,
Debout sur des débris, l'orgueilleuse Angleterre,
La menace à la bouche, et le glaive à la main,
Réclame encor la guerre, et veut du sang humain !
Elle dont le trident, asservissant les ondes,
Usurpa les trésors et les droits des deux mondes !
Rendons aux nations l'héritage des mers ;
Entendez, mes enfans, la voix de l'univers
Déléguer aux Français la vengeance publique ;
Voyez Londres pâlir au nom de l'Italique[2].
De ce chef renommé vous savez les exploits :
Lorsque le vent du Nord, rugissant dans les bois,
Avait interrompu les jeux sous la feuillée,
Le récit des combats prolongeait la veillée.
Le céleste chasseur glaçait l'onde et les airs ;
Nos familles, trompant la rigueur des hivers,
Près de l'ardent foyer s'assemblaient en silence ;
Les guerriers du héros racontaient la vaillance ;
Muets, nous écoutions ; les vieillards attendris
S'écriaient en pleurant : Que n'est-il notre fils !
Vous aussi, vous pleuriez ! Le courage a ses larmes :
Au bruit de ses hauts faits vos mains cherchaient des armes ;
Vous vouliez près de lui la gloire et le danger :
Eh bien ! Sous ses drapeaux courez donc vous ranger !
Et vous ! Des guerriers francs élite magnanime,
Les Alpes sous vos pas ont abaissé leur cime ;
Vous franchîtes les monts ; vous franchirez les flots.
Des tyrans de la mer punissez les complots :
Ils combattront pour l'or ; vous, pour une patrie.
Si jadis un Français, des rives de Neustrie[3],
Descendit dans leurs ports, précédé par l'effroi,
Vint, combattit, vainquit, fut conquérant et roi,
Quels rochers, quels remparts deviendront leur asile,
Quand Neptune irrité lancera dans leur île
D'Arcole et de Lodi les terribles soldats,
Tous ces jeunes héros vieux dans l'art des combats,
La grande nation à vaincre accoutumée,
Et le grand général guidant la grande armée ?