Ode d'un philanthrope républicain contre la monarchie

Auteur(s)

Année de composition

1797

Genre poétique

Description

Quatrains alternant décasyllabes et alexandrins en rimes croisées

Texte

Oh ! Que de fois, en contemplant la terre,
L'aspect de ses tyrans affligea mes regards !
Je les voyais foudroyer des remparts,
Et du sang des mortels enivrer leur tonnerre.

Je les voyais, dépouillant leur fureur,
Languir tyrannisés par leur propre faiblesse :
Autour du trône, où dormait la mollesse,
L'orgueil faisait veiller le glaive et la terreur.

Eh quoi ! Disais-je, ou la honte ou les armes !
Voilà nos dieux mortels ! Voilà dans quelles mains
Le sort a mis le bonheur des humains !
Je le disais : mes yeux étaient mouillés de larmes.

Ah ! Si du moins j'espérais voir un jour
La suprême vertu monter au rang suprême,
L'humanité ceindre le diadème,
Et tous les cœurs au trône enchaînés par l'amour.

Si, dans l'Europe indignement esclave,
Il pouvait s'élever quelque roi citoyen,
Qui, de la loi respectant le lien,
Vengeait nos libertés du sceptre qui les brave !

Soudain l'espoir, fantôme séduisant,
Fit luire un doux rayon sur ma triste patrie ;
Et de nos lys la guirlande flétrie
Semblait se ranimer sous un roi bienfaisant.

Comme il voulait nous chérir, nous défendre,
Ne mettre que les dieux entre son peuple et lui,
Des rois ligués il rejetait l'appui,
Et, plus digne du trône, il parut en descendre.

Combien alors, prodigue de sa foi,
Il chargea de serments l'autel, le diadème !
Nous devions être, il le jura lui-même,
Libres, sous un monarque esclave de la loi.

Mais le dirai-je ? Ô perfidie ! Ô crime !
Ô, d'un peuple abusé, roi trop fallacieux !
Au champ de Mars il attesta les cieux ;
Et son cœur invoquait l'enfer qui nous opprime.

Là, près de lui, fut l'implacable AtéAté, déesse de discorde et de malédiction, qui ne se plaisait qu'à nuire, et qu'Homère a si bien peinte dans son dix-neuvième livre de l'Iliade. On connaît trop celle qui, parmi nous, a rendu historique celle divinité fabuleuse.
Son panache insolent appelait la tempête ;
De la patrie il menaçait la fête,
Et frémissait d'horreur aux chants de liberté.

Telle on verrait d'une affreuse comète,
L'ardente chevelure éparse dans les airs,
Les sillonner de sinistres éclairs,
De larmes et de sang effroyable prophète.

Des rois-bourreaux, les mânes en fureur,
Brûlent de s'échapper de leur tombe entrouverte,
Du souverain, si respirant la perte,
De l'antique esclavage ils ramenaient l'horreur !

Quel vaste deuil ! La liberté mourante,
Sur ses fils égorgés n'aurait plus qu'à gémir.
Fille du Ciel ! Verrais-tu, sans frémir,
Ton poète expirant sur sa lyre sanglante ?

Ô nation ! Ne cède plus tes droits ;
Tout monarque est tyran, tout despote est parjure :
Rien ne détruit l'indomptable Nature,
Et l'on ne peut changer les tigres ni les rois.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an VI de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1797, Paris, Louis, an VI, p. 125-127.