Ode d'un philanthrope républicain contre l'anarchie

Auteur(s)

Année de composition

1797

Genre poétique

Description

Quatrains en rimes croisées

Texte

Prends les ailes de la colombe,
Prends, disais-je à mon âme, et fuis dans les déserts ;
Ou que l'asile de la tombe
Nous sépare enfin des pervers !

Une rose, vierge de Flore,
Un lys, beau d'innocence et brillant de candeur,
Du vent du sud qui les dévore
Aiment-ils l'insolente ardeur ?

Eh ! Que ferait l'agneau paisible,
Parmi des loups cruels, des tigres dévorants ?
Quel bras, quelle égide invisible
Peut nous défendre des tyrans ?

De ces cœurs soupçonneux, avares,
Redoutons les fureurs et même les bienfaits.
S'ils voulaient nous rendre barbares,
Nous associer aux forfaits :

Si de la noble indépendance,
Feignant de la venger ils outrageaient les droits ;
Si la bassesse et l'impudence
Succédaient à l'orgueil des rois :

Pareils au tortueux reptile,
Qui de ses nœuds rampants surmonte un chêne altier,
Dispute à l'aigle son asile,
Et chasse l'innocent ramier :

Élevés par la ruse oblique,
S'ils montaient aux honneurs, et sous leur joug d'airain,
S'ils osaient de la République
Abaisser le front souverain :

S'ils ensanglantaient notre histoire
De meurtres clandestins, sans périls, sans combats,
Et qui font rougir la victoire,
Amante de nos fiers soldats :

Si de la liste de leurs crimes,
Ils effrayaient nos murs et souillaient nos regards ;
S'ils traînaient parmi leurs victimes,
La vertu, l'honneur et les arts :

S'ils mettaient un lâche courage
À détruire en nos cœurs la sainte humanité ;
S'ils joignaient dans leur folle rage
La mort et la fraternité :

Si leur cupidité féroce
S'enrichissait de pleurs, changeait le sang en or,
Et souriait d'un œil atroce
À cet exécrable trésor :

Si d'un Dieu, niant l'existence,
Leur délire élevait un temple à la raison,
Et forçait même l'innocence
À boire leur affreux poison :

Douce pitié ! Si tes alarmes
Te rendaient criminelle à leurs coupables yeux :
S'ils venaient épier tes larmes,
Tes regards tournés vers les cieux :

Prends les ailes de la colombe,
Ô mon âme ! Fuyons, fuyons dans les déserts,
Ou que l'asile de la tombe…
Quoi ! Nous céderions aux pervers !

Non, non, c'est trahir la patrie.
Fuyez-la pour jamais, jours de sang et de pleurs !
Que sa gloire longtemps flétrie
Appelle et trouve des vengeurs !

Ô liberté ! Sois toujours chère !
Ceux qui te font haïr sont complices des rois ;
Et la licence meurtrière
Jamais n'a pu fonder tes droits.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an VI de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1797, Paris, Louis, an VI, p. 185-187.