Ode à la Liberté

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Huitains d'octosyllabes en rimes embrassées

Texte

Quelle est cette fière déesse,
Qui se révèle à l'univers ?
Autour d'elle, je vois des fers
Brisés par sa main vengeresse.
La tyrannie, à son aspect,
Sur son trône craint et chancelle,
Et les peuples au devant d'elle
Courent saisis d'un saint respect.

Fille auguste de la Nature,
Liberté ! Je te reconnais.
Tu viens combler de tes bienfaits
La race présente et future.
Le Français, au seul nom de roi,
Soulevé contre un long outrage,
S'indigne de son esclavage ;
Le Français est digne de toi.

Quatorze siècles d'ignorance
Sous le joug le tenaient courbé ;
De ses yeux le voile est tombé :
Un nouveau jour luit pour la France.
Les temps, les esprits sont changés :
Plein de ta présence divine,
Le peuple a jusqu'en sa racine
Sapé l'arbre des préjugés.

Eh quoi ! L'homme à l'homme osait dire :
« Je suis né roi, tout m'est permis.
Je parle : baisse un front soumis ;
Obéissance à mon empire !
Tremble d'opposer à ma voix
Une résistance insensée ;
J'enchaîne jusqu'à ta pensée,
Et mes seuls désirs sont tes lois. »

Honte éternelle de nos pères !
Par un tel langage insultés,
Tour à tour vendus, achetés,
Ils n'ont point vengé leurs misères !
Non ; cet honneur nous était dû :
Grâce à sa raison qui l'éclaire !
La nation se régénère,
Le despotisme est confondu.

Tombez, murailles insolentes !
Écroulez-vous, affreux remparts,
Qui dérobiez à nos regards
Tant de victimes innocentes !
Que maintenant notre œil surpris,
Après votre chute superbe ;
Reconnaisse à peine sur l'herbe
L'empreinte de vos longs débris !

Vous que le temps en vain révère,
Bronzes et marbres imposteurs,
Consacrés par de vils dateurs
Aux vils despotes de la terre,
Rampez à nos pieds, abattus.
Vous, pour épurer nos hommages,
Élevez-vous, nobles images
Et des talents et des vertus.

Attentive à ta voix chérie,
Sur tes pas, sainte Liberté,
La sage et douce Égalité
Accourt au sein de ma patrie.
L'orgueil a beau lutter encor :
Ses vains hochets vont disparaître,
Et pour nous vont bientôt renaître
Les jours heureux de l'âge d'or.

Déjà nos campagnes fertiles,
Qu'opprimaient d'antiques abus,
Refusent d'injustes tributs
Au luxe dévorant des villes.
L'agriculteur laborieux,
Affranchi des maîtres qu'il brave,
Ne va plus d'une bêche esclave
Ouvrir le champ de ses aïeux.

Mais que vois-je ? La tyrannie
S'agite, et lève ses soldats ;
France ! Pour hâter ton trépas,
L'Aigle au Léopard s'est unie.
Et de ces monstres haletants,
Pour seconder l'avide rage,
Les ports du Texel et du Tage
Ont vomi tous leurs combattants.

Stérile effort ! Ligue insensée !
Le ciel a vaincu les Titans ;
Hercule à ses pieds triomphants
Vit tomber l'hydre terrassée :
Tyrans, malgré votre courroux,
Malgré vos nombreux satellites,
Malgré vos guerrières élites,
Vous avez fui devant nos coups.

La France n'est point alarmée
À l'aspect de ce grand combat.
Chez elle, tout homme est soldat,
Toute famille est une armée.
Tremblez tyrans, vos attentats
Appellent sur vous la vengeance ;
Elle s'apprête, elle commence
Au sein même de vos États.

Las de votre joug despotique,
Vos peuples veulent être heureux.
Ils ont su pénétrer vos vœux
Et votre sombre politique.
Votre art n'est que l'art de trahir,
Et vous pensez que la couronne
Vous asservit tout et vous donne
L'affreux droit de tout envahir.

Votre règne odieux s'achève.
Le sceptre échappe de vos mains.
Pour les oppresseurs des humains,
Jamais de paix, jamais de trêve.
Sur eux, le glaive est suspendu.
Que leur sang coule, et qu'il efface
Jusques à la dernière trace,
Du sang en leur nom répandu !

Liberté ! Rien n'est impossible
À qui combat sous tes drapeaux.
Protège un peuple de héros
Que ton regard rend invincible.
C'est ce peuple dont tu fis choix,
Pour assurer ton juste empire ;
Que par lui tout ce qui respire
Adopte et chérisse tes lois !

Que les nations étrangères,
Des féroces usurpateurs,
Distinguent leurs libérateurs
Et tendent les bras à leurs frères.
Liberté ! Que tous les mortels,
Dans les climats les plus sauvages,
Et jusqu'aux plus lointains rivages,
Fondent ton culte et tes autels !