Ode à la Vertu
Auteur(s)
Mots-clés
Musique
Paratexte
Texte
Vertu des vrais Romains, qui sur les bords du Tibre,
Du glaive de la mort avait armé Brutus ;
Et qu'il crut un vain mot, en cessant d'être libre,
Vois redresser enfin tes temples abattus.
Au meurtre des tyrans, instruits par ce grand homme,
Si jamais parmi nous naissaient d'autres Césars,
Bientôt d'autres Brutus, vengeurs d'une autre Rome,
À l'envi dans leurs flancs plongeraient cent poignards.
Tu n'es point la vertu de l'insensé druide,
Pour plaire à Teutales, égorgeant les humains ;
Ni l'ennui du Faquir, ni le long suicide
Du Bonze, avant sa mort, admis au rang des saints ;
Ni la foi du chrétien, ni ses froides aumônes,
Ni son crédule espoir dans l'arbre de la croix ;
Mais la vertu publique, ébranlant tous les trônes,
Et rendant aux mortels la charte de leurs droits.
Dans l'oubli de la loi que dictait la Nature,
L'homme ignora longtemps tes véritables traits :
Il écouta la loi que prêchait l'imposture ;
Et de ses préjugés il souilla tes attraits.
Mais comparant ses droits aux droits de ses semblables,
Il vit que ses devoirs sont ceux du citoyen :
L'enfreinte ou le respect de ces droits immuables
Devint le sceau du mal et le cachet du bien.
Philosophe égaré, qui sur une autre base,
Veux du bien et du mal établir la raison,
Fais-moi donc à mon tour partager ton extase,
Et contempler ce beau qu'imagina Platon.
Tes dieux même, tes dieux sont encore un mystère ;
Et tu fais la vertu l'attribut de tes dieux.
Ah ! Le secret des rois, pour usurper la terre,
Fut celui d'exiler la vertu dans les cieux.
Quels sont donc les forfaits de l'homme encor sauvage ?
Pour le croire un parjure, a-t-il fait un serment ?
Quels sont donc les forfaits de l'homme en esclavage ?
Le serment qu'il a fait, l'a-t-il fait librement ?
S'il y manquait un jour, pour me prouver son crime,
Diras-tu que la force est le titre des rois ?
Si la loi de la force est la loi légitime,
En détruisant la force, on en détruit les droits.
Un contrat solennel est le principe unique
Qui puisse à la vertu servir de fondement.
Ce n'est point chez ses dieux mais dans sa république,
Que ce Platon lui-même en trouva l'élément.
Homme, elle est la justice, asseyant l'équilibre
Entre tes intérêts et celui de l'État :
Elle est, à son défaut, la mort que l'homme libre
Garde au lâche infracteur d'un aussi saint contrat.
Elle est l'appel aux lois de l'honnête indigence,
Que l'opulent frustra du prix de ses travaux ;
L'équité de leur juge élevant la balance,
Et les pesant tous deux dans des bassins égaux.
La paix du patriarche, aux pieds d'un chêne antique,
Rappelant sans remords chaque instant de ses jours ;
Les combats du jeune homme, en son cœur héroïque,
Aux saints droits de l'hymen immolant ses amours.
Plus vertueux encor l'époux volant aux armes,
Pour venger son pays, menacé par les rois,
Et dont la chaste épouse, en essuyant ses larmes,
Élèvera ses fils dans le respect des lois,
Plus vertueux qu'eux tous, le hardi philanthrope,
Dont le zèle éclairé, fixant un but certain,
Loin par-delà son siècle et par-delà l'Europe,
Fait planer ses bienfaits sur tout le genre humain.
Déroulant à longs plis, du sommet des montagnes,
Dans les flots africains, ses flots majestueux,
Vois les rameaux du Nil abreuver les campagnes,
Et féconder au loin ce sol infructueux.
Du sein d'un peuple libre, émanant comme un fleuve,
La vertu porte au loin le tribut de ses eaux,
Et féconde à son tour les États qu'elle abreuve,
En partageant son onde en différents ruisseaux.
Ô généreux Français, voilà vos destinées :
Du monde, vos vertus feront tomber les fers.
Jugez, en mesurant l'œuvre de cinq années,
Ce que l'œuvre des temps fera pour l'univers.
Lorsque l'Europe un jour, achevant votre ouvrage ;
Verra le genre humain affranchi pour jamais,
Ils diront tous ensemble, en sortant d'esclavage,
Nos premiers bienfaiteurs ont été les Français.
Salut à vos tombeaux, paix et gloire à vos mânes,
Ô sage Helvétius, ô vertueux Rousseau,
Ô vous qui, de son temple, écartant les profanes,
Nous offrez la vertu sans fard et sans bandeau,
Si la faiblesse humaine, à l'éclat du génie,
Dans vos travaux sacrés mêla quelques erreurs,
L'opinion du peuple à jamais les oublie
Pour votre récompense, il vous offre ses mœurs.