Ode à Louis XVI martyr

Auteur(s)

Année de composition

1795

Genre poétique

Description

Douzains

Mots-clés

Paratexte

Présentée au roi, à Vérone, le 21 janvier 1795

Avant-propos

Le silence que tous nos journaux se sont accordés, depuis quinze ans, à garder sur cet opuscule, qui fait partie de mes Essais de poésie en 2 vol., imprimés chez J. G. Dentu en 1800, m'avertit trop de son faible mérite pour qu'il me soit permis de me dissimuler que, si le public daigne accueillir sa réimpression avec quelque faveur, je n'en serai redevable qu'au choix de mon sujet et à l'intérêt que lui donnent les circonstances.
Peut-être cependant ce silence de nos journaux a-t-il eu d'autres motifs que celui que me fait lui prêter une trop juste défiance de mon peu de talent.
Tandis qu'épouvantés de ce qu'ils auront appelé mon imprudence, et n'osant, comme moi, braver le digne héritier des assassins du vertueux Louis XVI, les uns auraient, par ménagement pour moi-même, évité d'appeler sur un tel ouvrage l'attention de Buonaparte et de sa police ombrageuse ; il ne serait pas impossible que les autres se fussent, par calcul, abstenus de signaler cet acte de courage, dans la crainte de réveiller les idées généreuses que la terreur avait cachées au fond de tous les cœurs, et de voir la France entière répondre avec une vertueuse énergie à mes écris de douleur et d'indignation.
Ces cris, tels que la faible étincelle qui, si on ne se hâte de l'éteindre, va bientôt allumer un incendie universel, ont alarmé peut-être la prévoyance des experts de la révolution, et ils se sont moins occupés de les punir que de les étouffer.
Que dis-je ? Les punir ! C'eût été leur donner d'autant plus d'importance, que mon caractère connu ne leur permettait pas d'espérer que je me laisserais courber sous d'obscures persécutions.
Aussi, lorsqu'un chef de bureau de la préfecture de police s'empressa de m'honorer d'un mandat d'arrêt, le jour même de la mise en vente de mes Essais de poésie ; mieux avisé que ce chef à vues courtes, le préfet, auquel je me présentai de mon pur mouvement, dès que j'eus connaissance de ce mandat, se fit-il un mérite de supprimer cet acte de violence, de m'accueillir avec égards, et de m'assurer, en me congédiant (je me sers de ses expressions), que je pouvais dormir tranquille sur mes deux oreilles.
J'explique d'une manière assez plausible ce silence des journaux sur un recueil presque uniquement consacré à combattre les maximes révolutionnaires, et où se trouvent beaucoup d'autres pièces non moins remarquables sous le rapport du courage que suppose, dans leur auteur, l'époque de leur publication.
Mais, à moins de le rattacher, à la conspiration de l'île d'Elbe, ce qui répugne, non pas à ma raison, mais à mon caractère, je ne sais à quoi attribuer le refus que quelques-uns m'ont fait obstinément, il y a un an, d'accorder une place à mon ode.
Je désirais la reproduire au jour le 21 janvier 1815.
Je n'y pus parvenir.
N'ayant pensé qu'à la faire insérer dans quelques journaux, leur refus trop tardif me prit au dépourvu.
Il ne me resta plus assez de temps pour en faire une édition particulière.
Je pris donc le parti d'attendre un autre anniversaire de la mort du meilleur des rois, pour lui payer ce tribut douloureux de regret et de vénération.
Un an s'est écoulé.
L'attentat le plus odieux n'a abouti qu'à manifester l'impuissance du crime, lorsque, lasse de ses succès, la Providence a résolu d'en arrêter le cours.
Sous le règne du plus magnanime des princes, du plus clément des rois, la tribune législative a retenti des plus vertueuses imprécations contre les assassins du malheureux Louis XVI. Les Français restés purs et fidèles, ou rentrés dans le chemin de l'honneur et de la vertu, ont éprouvé la douce, la divine consolation d'entendre proclamer comme la loi de tous les cœurs honnêtes, le Testament de ce saint roi martyr ; monument éternel de tout ce que les plus rares vertus, rehaussées par la religion, peuvent inspirer de sublime à un roi très-chrétien.
Loin de me plaindre du retard que j'ai éprouvé, je m'estime heureux des contrariétés qui ont réservé des circonstances aussi favorables à là réimpression de cet ouvrage, honoré, il y a 21 ans, des regards du roi.
Je le présente aux bons Français avec quelque confiance, persuadé que la pureté de mon zèle, qui ne peut être méconnue, les rendra indulgens sur ses imperfections.

Texte

Quelle sombre vapeur dans les airs suspendue,
A changé nos beaux jours en une affreuse nuit !
Toute entière aux enfers Hécate est descendue,
Et ne remplace plus le soleil qui s'enfuit.
Les chants de la simple bergère
Ne portent plus la joie en mes sens attendris ;
Je n'entends plus que les lugubres cris
De l'oiseau de la nuit, du hibou solitaire.
La foudre a brûlé nos moissons ;
L'olivier renversé flotte sur nos campagnes ;
Cérès fuit avec ses compagnes,
Et déjà nos vergers se couvrent de glaçons.

Sous ce ciel obscurci, sur ce sol misérable,
Quel monstre se promène au milieu des tombeaux ?
De la destruction, ministre inexorable,
Veut-il donc ramener les horreurs du cahos ?
De l'orgueil et de l'impudence
Les traits sont sillonnés sur son front odieux ;
L'impiété s'agite dans ses yeux ;
De ses poisons infects il inonde la France.
Entouré d'horribles serpens,
L'un dévore des lis la céleste bannière,
L'autre roule sur la poussière
De nos arts tant vantés les tristes monumens.

Ah ! Je te reconnais, fille de l'imposture,
Qu'un siècle trop frivole osa déifier ;
Qui, sans cesse outrageant l'auteur de la Nature,
Jusque sur ses autels osas le défier !…
D'une fausse philosophie,
Peuples, s'il en est temps, repoussez les erreurs ;
Fermez l'oreille aux conseils corrupteurs,
Aux cris séditieux de cette secte impie.
Heureux sous vos antiques lois,
Fuyez des novateurs les trompeuses maximes ;
Leur souffle exhale tous les crimes :
Forcez-les au silence et défendez vos rois.

Mais, hélas ! C'en-est fait ! Et la France avilie ;
D'un ramas de brigands subit le joug honteux !
Dans des fleuves de sang sa gloire ensevelie,
Appelle la vengeance et la pitié des cieux !…
Couvrez-vous de voiles funèbres,
Filles de l'Hélicon ; répondez à mes pleurs ;
Imitez-moi. Sur le ton des douleurs
Je vais monter ma lyre en ces jours de ténèbres.
Rempli d'une sainte fureur,
Je dirai les malheurs de la Seine infidèle,
Les forfaits d'un Sénat rebelle,
D'un peuple trop crédule insolent oppresseur.

Paraissez à ma voix, malheureuses victimes ;
Ô vous, hélas ! Ô vous, dont les membres épars
Sur le sol de la France attestent tant de crimes !
Venez de l'univers effrayer les regards !…
Voilà le fruit de l'anarchie !
La liberté, pour elle, est le droit du plus fort :
L'égalité, dans le sein de la mort,
Creuse les fondemens de son triomphe impie
Mais quoi ! De la nuit du tombeau,
Louis !… La plume échappe à mes mains défaillantes !…
Déchire mes strophes sanglantes,
Muse ; brise, à la fois ta lyre et mon pinceau.

Que dis-je ?… Contre lui la noire calomnie,
De son fiel corrupteur épanche le venin !…
Non… Je reprends courage. Auguste Polymnie,
Grave, grave mes vers sur ton livre d'airain :
De Louis venge la mémoire ;
À ses vils assassins refuse tes faveurs,
Et ne remplis de tes saintes ardeurs
Que ceux qui, comme moi, voudront chanter sa gloire.
Accourez, enfans d'Apollon ;
Jouissez des honneurs que ce dieu vous destine.
Prenez le luth de Mnémosine
Pour célébrer Louis sur le sacré vallon.

Profanateurs fougueux de l'autel et du trône !
D'un succès éphémère osez vous applaudir…
Du haut des cieux, ce roi que la gloire environne,
Marque déjà le terme où nos maux vont finir.
Bientôt sa mémoire chérie,
Par la religion consacrée à jamais,
En saints transports va changer nos regrets.
Rentrez dans le néant, bourreaux de ma patrie ;
Louis échappe à vos fureurs :
Il reprend sur la France un éternel empire.
Couvert des palmes du martyre,
C'est un dieu bienfaisant qui séchera nos pleurs.

 
 

Sources

BNF, Ye 22582.