Ode patriotique sur les évènements de l'année 1792
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C'est depuis longtemps que ma lyre,
Amante de l'égalité,
Préludait à la liberté,
Dans son prophétique délire.
Ces jours prédits à nos neveux
Devancent et comblent nos vœux ;
Ma lyre n'est point mensongère :
Le souverain reprend ses droits ;
Et leur couronne passagère
Expire sur le front des rois.
Eh ! Que peut une ligue infâme
De tous les brigands couronnés,
Contre ces peuples détrônés
Qu'un noble désespoir enflamme ?
Ô couple trop fallacieux !
Que de complots séditieux !
Que d'espérances homicides !
Vous vous armiez de nos bienfaits ;
Et vos mains de carnage avides,
Nous payèrent par des forfaits.
Grand Dieu ! Je crois entendre encore
Tonner les bronzes en courroux !
Hélas sur qui tombent leurs coups ?
Un trouble mortel me dévore.
Ô jour de sang ! Ô jour d'effroi !
Qui vaincra d'un peuple ou d'un roi ?
Mais déjà cesse leur tonnerre…
L'affreux despotisme a cédé :
C'en est fait ! Du sort de la terre
Un seul moment a décidé.
Soleil ! Témoin de la victoire,
Applaudis ces brillants essais !
Sois fier d'éclairer des Français
Répands tes feux et notre gloire !
Que sur leurs trônes chancelants,
Tous les rois pâles et tremblants,
Craignent la même destinée.
Enfin les peuples ont leur tour,
Et leur justice mutinée
Les venge d'un aveugle amour.
Venez voir, conseillers sinistres,
Un roi sans peuple, sans amis !
Vous seuls fûtes ses ennemis,
Vils courtisans ! Lâches ministres !
Où sont-ils vos secours vainqueurs ?
Il pouvait régner sur les cœurs,
Ce monarque faible !… et parjure,
Il prétend régner sur des morts
Vainement la pitié murmure :
Le ciel veut plus que des remords.
Quelle est cette ombre épouvantée,
Louis, qui frappe ton regard ?
« Malheureux ! Reconnais Stuart
À ma couronne ensanglantée,
Hélas ! Trop égaux en revers,
Victimes de conseils pervers,
Notre faiblesse fut un crime,
Vois-tu l'appareil menaçant ?…
Viens, viens. » Il dit et dans l'abîme
Stuart le plonge en l'embrassant.
Abus de la toute-puissance,
Tu deviens son fatal écueil !
Tu précipites au cercueil
Tout prince qu'un flatteur encense.
Néron même eut quelques vertus ;
On lui crut l'âme de Titus ;
Rome le nomma ses délices :
Et Charles[1], horreur de l'univers,
Avant le poison des Narcisses
Cultivait les arts et les vers.
Je l'exhumai, ce misérable !
Je l'arrachai de son tombeau ;
Je le traînai jusqu'au flambeau
De l'avenir inexorable.
Ivre d'un zèle généreux,
Je gravai sur son trône affreux
Son nom tout sanglant d'homicides ;
Et mieux que nos faibles sénats
De ce roi, fils des Euménides,
J'ai puni les assassinats.
Si l'Égypte, école des sages,
Jugea ses rois ensevelis,
Que n'ont les monarques des lis
Subi ces antiques usages !
Ah ! Quand il a perdu le jour,
De l'esclavage de Pompadour
Si l'on eut dénoncé la vie
L'horreur des crimes paternels
Eut à sa race poursuivie
Sauvé des complots criminels.
Aux rois, aux peuples, à la terre
Nous avions tous juré la paix.
Les rois s'arment : ah ! Désormais
Qu'ils tremblent ! Nous jurons la guerre.
Soldats, esclaves des tyrans,
Vous tomberez, lâches brigands,
Sous nos armes républicaines !
Plus grands que ces Romains si fiers
Qui donnaient au monde des chaînes,
Peuples nous briserons vos fers.
C'est en vain que le Nord enfante
Et vomit d'affreux bataillons ;
Leur corps est promis aux sillons
De notre France triomphante :
Deux sœurs, immortelles cités !
Thionville, aux murs indomptés,
Brave et repousse leur furie ;
Lille ! Tes débris glorieux,
De leur atroce barbarie
Sont fumants et victorieux.
Des Beaurepaire, des Désille,
La mort a prédit nos succès :
Venez phalanges de Xerxès,
Et nous aurons nos Thermopyles !
Plus heureux que Léonidas,
Le chef de nos braves soldats,
Avec l'Olympe auxiliaire,
Les chassera loin de nos murs,
Comme l'astre qui nous éclaire
Chasse des nuages impurs.
Pareils aux flots de ces ravines
Dont le bruit sème la terreur,
Ils s'avançaient et leur fureur
Méditait de vastes ruines.
Leurs vœux se disputaient nos biens ;
Du meurtre de nos citoyens
Ils ensanglantaient leurs pensées :
Ils ont paru ! Mais ils ont fui,
Comme ces feuilles dispersées
Qu'Éole souffle devant lui.
Oui, le ciel jura leur défaite ;
Le ciel aime les cléments.
Voyez sur les ailes des vents
La mort qui poursuit leur retraite.
En vain couverts d'un triple acier,
Tombent en foule, homme, coursier ;
Ils mordent nos plaines sanglantes,
Triste pâture des vautours,
Non loin des villes opulentes
Dont leur espoir brisait les tours.
Ô Renommée ! Ces nouvelles,
À ces prodiges que tu vois,
Prête l'éclat de tes cent voix !
Ranime ces rapides ailes :
Va par un fidèle rapport,
Glacer la despote du Nord :
Conte au Danube, au Boristhène,
Que vengeur de sa liberté,
Le Français, de Sparte et d'Athènes
Surpasse l'antique fierté.
Des Alpes jusqu'aux Pyrénées,
Partout sous les drapeaux flottants,
Courent nos jeunes combattants,
Ces âmes de gloire effrénées.
L'Allobroge, amant de nos lois,
Ouvre tous ses murs à la fois ;
Le Var nous a soumis ses ondes ;
Et le Rhin cachant sa terreur,
Frémit dans ses grottes profondes,
De son impuissante fureur.
La Seine, qui vit son rivage
Chargé de monarques épais,
Y promène enfin des regards
Libres de rois et d'esclavage.
Belle Nymphe, honneur de Paris,
Au sein de Neptune surpris
Roule ton onde souveraine.
Et que tous les fleuves divers
Te reconnaissent pour leur reine,
Dans le palais du dieu des mers.
Quoi ! Ressuscité par la honte
Le reste de ces légions
Va chercher d'autres régions
Où déjà leur Mars nous affronte !
Pour tenter un nouveau hasard,
Armés de tout ce que peut l'art
Dont jadis Vauban fut le maître,
Les voilà fiers et menaçants !
Français ! La valeur doit renaître
Avec les périls renaissants.
Non, non rien n'est inaccessible
À qui prétend vaincre ou périr.
Ce cri, vivre libre ou mourir,
Est le serment d'être invincible.
En vain cent tonnerres croisés,
Grondant sur ces monts embrasés,
Opposent trois remparts de flamme ;
Parmi ces orages brûlants,
Chefs, soldats, prodiguez votre âme ;
Triomphez sur des corps sanglants.
Ils l'ont fait. Le lion belgique
A vu fuir l'aigle des Germains ;
Il rugit, charmé que nos mains
Aient rompu son joug tyrannique :
L'ombre de nos seuls étendards
Fait tomber les tours, les remparts ;
Bruxelles voit briser ses portes ;
Et le souffle de nos guerriers
Précipite au loin ces cohortes
Qui menacèrent nos foyers.
Mais vous, généreuses victimes
Qui repoussâtes leur effort,
Vous ne perdez point votre mort !
Vos exploits furent légitimes :
Vos tombeaux sont parés de fleurs ;
Un encens qu'arrosent nos pleurs
Vous suit jusqu'aux voûtes célestes
Et Mars, dont le rapide char
Vous enlève aux Parques funestes
Vous fait partager le nectar.
Ouvre tes portes immortelles,
Panthéon ! Reçois ces héros :
Que sur le marbre de Paros
Y revivent leurs traits fidèles !
Que les chantres et les guerriers
Y ceignent les mêmes lauriers !
Et toi, donc je fus l'interprète,
Déesse aux accents belliqueux,
Liberté fais que ton poète
Y repose un jour avec eux.
Mais que dis-tu quand tu contemples
Les honneurs vains et criminels
Des usurpateurs solennels
Dont la cendre envahit nos temples ?
C'est trop respecter le néant
D'un roi cruel ou fainéant !
C'est trop révérer sa poussière !
Moins crédules que nos aïeux,
Abjurons cette erreur grossière
Qui les changeait en demi-dieux.
Purgeons le sol des patriotes
Par des rois encore infecté.
La terre de la liberté
Rejette les os des despotes !
De ces monstres divinisés
Que tous les cercueils soient brisés
Que leur mémoire soit flétrie
Et qu'avec leurs mânes errants,
Sortent du sein de la patrie
Les cadavres de ses tyrans.
- ^ Charles IX.