Ode sur cette proposition : « L'étude des lettres et la culture des arts sont compatibles avec les emplois les plus importuns »

Auteur(s)

Année de composition

1798

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Texte

Hommage à quelques grands hommes

Ô vous, que dans leur sanctuaire
Les vierges du Pinde ont admis,
D'un injuste et jaloux vulgaire
Bravez les discours ennemis !
Eh ! Qu'importe, s'il vous condamne ?
Récusez ce juge profane
Que jamais le beau n'a touché :
Jouet d'une aveugle manie,
Jamais les accens du génie
N'ont ému son cœur desséché.

Souvent il transforme en folie
Du talent les nobles efforts ;
Il s'endort aux jeux de Thalie,
Il est sourd aux plus doux accords,
Un Achille, amant de Bellonne,
Si quelque muse le couronne,
Devient un Thersite à ses yeux :
Des lois le plus sage ministre
Déplaît à ce tyran sinistre,
S'il parle la langue des dieux.

Mais dédaignant ces injustices ;
Instruisez-vous de toutes parts,
Français, et goûter les délices
Que vous promettent les beaux-arts :
Entre Uranie et Melpomène,
Lisez Horace et Démosthène,
Et du sein des travaux guerriers,
Invoquant le dieu du Parnasse,
Aux lauriers sanglans de la Thrace
Joignez de paisibles lauriers.

Cent fois en des mains intrépides
On vit la lyre et le compas :
Sage Minerve, tu présides
À l'étude, aux arts, aux combats.
Ainsi, l'émule de Pompée,
Par le génie et par l'épée,
Sut à Rome imposer des lois :
Usurpateur couvert de gloire,
Avec le burin de l'histoire
Lui-même il grave ses exploits.

Vois le jeune héros d'Arbelles
Lorsque tout fléchit devant lui,
Aux Aristotes, aux Apelles,
Prêter un généreux appui ?
Il dit… Et le glaive barbare
Dans Thèbes, du divin Pindare
Respecte la postérité ;
Et je vois des mains triomphantes
Soustraire aux flammes dévorantes
Le toit qu'il jurait habité.

Plus grand encor parut Socrate,
Et sur-tout Socrate expirant,
Lui, qui de sa patrie ingrate
Fut la victime et l'ornement :
Tantôt philosophe sublime,
Et tantôt guerrier magnanime ;
Il défend Athène ou l'instruit.
Mais de l'envie affreuse rage !
On l'accuse, hélas !… Et le sage
Descend dans l'éternelle nuit.

Qui ne connaît Alcibiade ?
Vaincre et plaire étaient ses moyens :
S'il combat… nouveau Miltiade
Il sauve ses concitoyens.
C'était Amour lançant la foudre ;
Et quand il avait mis en poudre
Les ennemis de son pays,
Du plaisir peignant le délire,
Ses doigts errans sur une lyre,
Charmaient Aspasie ou Laïs.

Sans puiser aux sources antiques,
Sur ce siècle jetons les yeux ;
Exempte des erreurs gothiques
Que respectèrent nos ayeux,
L'Europe enfin sage et savante
Vous tend une main bienfesante,
Muses, délices de mon cœur ;
Du préjugé brisant la chaîne,
Vous versez sur la race humaine
Les lumières et le bonheur.

Malgré le fol orgueil du trône,
Frédéric, auteur et guerrier,
Au vain éclat de la couronne
Sut mêler un double laurier :
Sortant des bras de la victoire,
Mais amoureux d'une autre gloire,
Des beaux-arts il cueillait les fruits :
Des sciences dieu tutélaire,
Il fut poète avec Voltaire,
Géomètre avec Maupertuis.

Tu présidas, dieu du Permesse,
À l'enfance de Daguesseau ;
S'il te quitta dès sa jeunesse,
Ton laurier crût sur son berceau :
Ami de Boileau, de Racine,
Il suivit la trace divine
Des l'Hôpital et des Talons ;
Élève de Rome et d'Athènes,
À la force des Démosthènes,
Il joignit l'art des Cicérons.

Philosophe doux et sensible,
Qui sus plaire à tous les esprits,
Une éloquence irrésistible,
Rousseau, burina tes écrits :
Tu traças des routes certaines ;
Et des sociétés humaines
Ta main posa le fondement.
Dans l'Émile, on consulte un sage ;
Et dans le Devin du village,
On aime un poète charmant.

Et toi que l'Europe regrette,
Toi, dont la Grèce eût fait un dieu,
De la Raison digne interprète,
Parais, immortel Montesquieu ;
Vengeur des droits de la Nature,
Les préjugés et l'imposture
Vaincus, frémissent à ta voix ;
Viens et montre à mon œil avide
D'une main le Temple de Gnide,
Et de l'autre, l'Esprit des lois.

Sur les pas de ces divins guides,
Je veux réunir constamment
Dans mes travaux doux et solides
L'instruction et l'agrément.
Ô Liberté ! Sois mon génie ;
Puissé-je servir ma patrie
Par mes écrits, par mes discours,
Du Forum voler à Cythère,
Et chanter d'une voix légère,
Les arts, les Grâces, les Amours.

Oui, chastes nymphes du Permesse,
Vous occuperez mes loisirs,
Vous, qui des jours de ma jeunesse
Avez embelli les plaisirs.
Mais n'ayez plus rien de servile ;
Ma retraite est le pur asile
De la plus douce Égalité ;
Et gardez-vous de me distraire,
Quand, du peuple ardent mandataire,
Je défendrai la liberté.