Ode sur la Révolution française

Auteur(s)

Année de composition

1792

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Paratexte

Lue à la séance publique de la Société nationale des Neufs Sœurs du mois de janvier 1792

Texte

Ce n'est point l'esclave en délire
Qui chante sa captivité.
Qu'on accorde à présent la lyre
Sur le ton de la liberté.
Du jour la lumière plus pure
Semble, au réveil de la Nature,
Éclairer des hommes nouveaux.
De la raison qui régénère
Les peuples de cet hémisphère,
Muses, consacrez les travaux.

Quand las d'errer à l'aventure
De son image épouvanté,
L'homme sauvage et sans culture
Fonda la première cité :
Heureux si son cœur indocile
N'eût brisé le sceptre facile
Du régime patriarchal !
La foule des besoins factices
Créa ses chaînes et ses vices,
L'homme à l'homme fut inégal.

La terre ne devient fertile
Que pour enrichir l'oppresseur,
Qui du cultivateur utile
Craignit d'honorer la sueur.
Tels on voit ces fleuves rapides
Mépriser les tributs limpides
Que leur portent d'obscurs ruisseaux.
Mais si noble que soit leur source,
L'Océan qui borne leur course,
Confond tout dans ses vastes eaux.

On vit la race trop féconde
De cette horde de brigands
Disputer l'empire du monde,
Prix mobile des conquérants ;
Et de leurs aïeux sans mérite
Étaler une longue suite,
Souvent l'histoire des forfaits.
La vertu trop peu recherchée
Sous l'humble chaume fut cachée,
Le crime habita les palais.

Pendant des siècles de silence
Courbés sous des maîtres hautains,
De la féodale insolence
Nous dévorâmes les dédains.
Les préjugés de la noblesse
Humiliaient notre faiblesse
Jusques sous le fer des bourreaux.
Enfin ces grands dont la puissance
Fut un hasard de la naissance,
Sont redevenus nos égaux.

Aux pieds de la philosophie
Ils sont tombés ces vains mortels
Et l'orgueil qui les déifie
Ne peut relever leurs autels.
Semblables à ce chêne antique,
De qui la cime magnifique
Paraissait ombrager les cieux ;
La hache a frappé ses racines,
Il étale au loin les ruines
De ses rameaux ambitieux.

Philosophes de tous les âges ;
Voltaire, Montesquieu, Rousseau ;
Tels sont les fruits de vos ouvrages,
Vous enfantâtes Mirabeau.
Sa voix tonnant à la tribune
Servit mieux la cause commune
Par son éloquente âpreté.
Il fut l'Hercule politique
Vainqueur de l'hydre despotique
Qui dévorait l'humanité.

Faut-il de cette vie utile
Voir sitôt le brillant fuseau,
Échapper à la main débile
Qui le livre au fatal ciseau ?
Trop impuissante tyrannie !
La mort n'a pu de son génie
Éteindre l'immortel flambeau.
Jouissons des bienfaits sans nombre
Que répand sur nous sa grande ombre
Victorieuse du tombeau.

Oui, c'est son ombre qui vous guide,
Citoyens qu'il rendit soldats,
Allez, comptez sous son égide
Vos victoires par vos combats.
Que le Tage s'allie au Tibre ;
La Seine toujours pure et libre
Bravera leurs flots ennemis ;
Et sous nos rames vagabondes
Au sein des écumantes ondes
Nous verrons Neptune soumis.

En vain du pontife de Rome
Le conseil de terreur frappé
Contre les droits sacrés de l'homme
Veut armer l'univers trompé.
Combien de plus saintes maximes
Dirigent ces cœurs magnanimes,
De l'église fidèle espoir,
Dont le patriotique zèle
Prenant Fénelon pour modèle,
Des mœurs affermit le pouvoir !

À leur aspect, le fanatisme
Frémit, et retourne aux Enfers ;
Il entraîne le despotisme
Enchaîné de ses propres fers.
La raison marche sans entraves,
Les peuples cessent d'être esclaves
De leurs prêtres et de leurs rois,
Et le monarque, au rang suprême,
N'est sous l'éclat du diadème
Que le premier sujet des lois.

Mais si l'abus de la puissance
A ramené l'égalité,
Souvenons-nous que la licence
Tue à son tour la liberté.
Redoutons l'orateur perfide
Dont l'éloquence légicide
Par des sophismes nous trahit.
La loi n'a ni parti ni secte,
Et le sage qui la respecte
Est libre alors qu'il obéit.

 
 

Sources

BNF, Ye 26109.