Ode sur le rétablissement du culte

Année de composition

1802

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Paratexte

Texte

Loin de moi, muse mercenaire,
Esclave du crime puissant,
Des tyrans lâche tributaire,
Fléau du malheur innocent.
Descends de la voûte éternelle,
Ô vérité ! Vierge immortelle
Dont j'ai toujours chéri la loi ;
Descends, et prête-moi la lyre
Que d'un religieux délire
Animait le prophète roi.

Tu m'exauces ; mon cœur s'embrase
D'un feu qu'il avait ignoré ;
Je le sens, ta divine extase
Dans mes veines a pénétré.
Ce n'est point cette feinte ivresse
Qu'affectait l'antique prêtresse,
Organe de son dieu menteur,
De qui la faveur usurpée
Pesa sur la Grèce trompée,
Et trafiqua de son erreur.

Veillé-je ! Quel nouveau spectacle
A frappé mes yeux étonnés ?
Partout, devant le tabernacle
Je vois les Français prosternés.
Un Dieu bienfaisant nous renvoie
Ces jours d'espérance et de joie,
Ces jours vainement souhaités
Lorsque la discorde fatale
Secouait sa torche infernale
Sur nos champs et sur nos cités.

Je l'ai vu, le superbe athée,
Ivre d'un coupable bonheur,
Dans ma patrie ensanglantée
Semer le deuil et la terreur.
L'impie, exhalant le blasphème,
S'attaquait à l'Être suprême :
« Peuples ! S'il est un Dieu, sur moi
N'ose-t-il donc lancer la foudre
Lorsque je vais réduire en poudre
L'arche et les tables de la loi ? »

À ce cri, l'ange des ténèbres,
Applaudit du fond des enfers :
Il en sort ; ses ailes funèbres
Couvrent et la terre et les mers.
Il croit ressaisir sa vengeance,
Il croit renverser la puissance
Du Dieu qu'il voulut défier ;
Et sur des chrétiens infidèles,
Plus que sur les anges rebelles,
Son espoir ose s'appuyer.

À sa voix, les Amalécites
Courent aux marches de l'autel
Égorger les pieux lévites
Priant en paix pour Israël.
Leur sang rougit le sanctuaire
Où, pour le bonheur de la terre,
Au ciel ils élevaient leurs mains :
Ils tombent ; leur charité sainte
Implore, d'une voix éteinte,
Le pardon de leurs assassins.

Soudain, sur un nouveau théâtre
Élevé par des factieux,
On prêche à la France idolâtre
Un nouveau culte et d'autres dieux.
La raison et la tolérance
S'indignent de voir la licence
Profaner leur nom respecté,
Et de ses innombrables chaînes
Lier des victimes humaines
À l'autel de la liberté.

Apôtre de la loi nouvelle,
Quels biens m'oses-tu présenter ?
De mon existence immortelle
Tu prétends me déshériter ;
Le présent est sans récompense,
L'avenir est sans espérance,
Dans le néant tout se confond.
Le néant !… L'athée infidèle
À son dernier soupir l'appelle ;
Mais l'éternité lui répond.

Et tu veux qu'au Dieu de mes pères
Je cesse de sacrifier ;
Qu'à tes désolantes chimères
Mon cœur ose se confier ?
Non, non ; d'une céleste flamme
Dieu mit le foyer dans mon âme ;
Des jours de mon adversité,
Lui seul écarta le nuage,
Et fit briller, pendant l'orage,
Un rayon d'immortalité.

Enfin les pleurs de l'innocence
Ont désarmé le Dieu jaloux,
Et les trésors de sa clémence
Vont encor se rouvrir pour nous.
Des méchants le sceptre fragile
Se brisera comme l'argile
Entre les mains du roi des rois.
Sur l'aile des vents il s'avance ;
Il parle, et la terre en silence
Frémit aux accents de sa voix.

« Mortel ! De ton erreur grossière
Enfin il est temps de sortir ;
Mon souffle anima ta poussière,
Mon souffle peut l'anéantir.
Eh ! Que m'importent tes outrages,
Et ta fureur et tes hommages,
À moi, dont le doigt tout-puissant
Conduit la marche de l'année,
Et contient la mer mutinée,
Qui m'obéit en mugissant ?

Faible roseau, dans la tempête
En vain tu cherchais un appui ;
Lorsqu'elle grondait sur ta tête,
L'ami de ton cœur t'a trahi.
Ton épouse, ton fils lui-même,
Contre toi lançaient l'anathème
Et te dévouaient au trépas ;
Tu disais : L'amitié mondaine
Est mouvante comme l'arène
Qui glisse et s'enfuit sous mes pas.

Ta douleur était sans refuge,
Tu viens te jeter dans mon sein ;
Ton repentir fléchit ton juge,
Il saura changer ton destin.
Je vais prodiguer les miracles ;
Et Cyrus, malgré les obstacles
Qui s'opposent à ses desseins,
Dans Jérusalem consolée
Bientôt, sur sa base ébranlée,
Relèvera le saint des saints.

Envoyé par ma providence
Pour dompter la rébellion,
Du serpent il a la prudence
Avec la force du lion.
Il sera terrible à la guerre ;
Il rendra la paix à la terre ;
Il doit, enfin, avec le Ciel
Renouvelant son alliance,
Contraindre ma famille immense
À s'embrasser sur mon autel.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an XI, ou Choix des poésies fugitives de 1802, Paris, Louis, an XI, p. 25-30.