Pétrarque, ou Chant sur la guerre civile

Auteur(s)

Année de composition

1796-1797 (an V)

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

On a essayé de saisir dans ce chant les idées principales qui animent la belle Ode où Pétrarque déplore les guerres civiles de l'Italie.

Texte

Sur ces Alpes inaccessibles,
Qui dominent les airs de leur front souverain,
Mégère et ses sœurs inflexibles,
De la guerre civile avaient frappé l'airain.

Tel que la cloche aux sons funèbres,
Qui semble au loin gémir sur le jour expirant,
Ce bruit émut les bords célèbres
Où le Pô de son urne épanche le torrent.

Là, seul, dans sa douleur sauvage,
Pétrarque à son amante offrait de vains regrets ;
Et sa lyre dans le veuvage,
Reposait, détendue aux branches d'un cyprès.

Son cœur à ce signal frissonne :
Il voit flotter partout des étendards rivaux ;
Il voit Némésis et Bellone
À leur char fratricide atteler leurs chevaux.

Dans cette lice meurtrière,
Des glaives étrangers frappent ses yeux surpris…
Tu venais, perfide Bavière,
Repaître ton orgueil sur de sanglants débris.

Soudain la patrie éperdue,
De Laure dans son cœur fait taire le trépas ;
Il prend sa lyre suspendue,
Et dans les rangs guerriers précipite ses pas.

Le malheur qui le décolore,
Ses vêtements de deuil, ses longs cheveux épars,
Et son nom et celui de Laure,
Étonnent les esprits et fixent les regards.

Son luth commande le silence ;
On entoure à l'envi le chantre des amours ;
Et Mars, appuyé sur sa lance,
Dans son sein belliqueux recueille ce discoures :

Cruels, de vos bras sanguinaires,
Venez-vous creuser vos tombeaux ?
Pourquoi ces aigles mercenaires
Sont-ils mêlés à vos drapeaux ?
Cette alliance inviolable,
Ce pacte signé par vos mains,
Sera-t-il plus inaltérable
Dans le cœur vénal des Germains ?

Mère attentive et bienfaisante,
La Nature éleva pour nous
Ces Alpes, barrière imposante,
Où dut se briser leur courroux ;
Et bravant ses lois souveraines,
Nous, artisans de nos malheurs,
Pour assouvir d'injustes haines,
Nous appelons nos oppresseurs !

Ainsi, dans une même enceinte,
Les troupeaux amis de la paix,
Crédules, dormiront sans crainte
Avec les monstres des forêts !
Ô honte ! Leur antre sauvage
Nous vomit ces Cimbres vaincus ;
Et le Pô, d'un sanglant breuvage,
Calma la soif de Marius.

Bientôt, jusques dans leurs repaires,
Nous forçâmes ces vils troupeaux ;
Le Rhin, sur ses bords tributaires,
Vit flotter nos heureux drapeaux.
César, dans Rome satisfaite,
Traîna leurs rois chargés de fers,
Et s'essaya, par leur défaite,
À l'empire de l'univers.

Insensés !… Quel espoir frivole
Fondez-vous sur ces alliés ?
Rome et l'affront du Capitole
Seront-ils jamais oubliés ?
Rienzi, parjure à ma lyrePétrarque adressa à Rienzi sa fameuse Ode XI, o il conjure ce tribun de rendre à Rome sa majesté première,
Vient d'expier ses attentats ;
L'Italie à peine respire,
Qu'à Vienne vous tendez les bras.

Bientôt, enrichi de vos pertes,
Ces étrangers ambitieux
Fouleront vos villes désertes
De leurs coursiers victorieux.
De leur parricide alliance,
Vous goûterez les fruits amers ;
Vous saurez, après la vengeance,
Le poids que pèseront leurs fers.

Ah ! Prévenez votre ruine :
Voyez errer sur des tombeaux
La peste et la pâle famine,
Se disputant d'affreux lambeaux.
Par vos fils, vos tendres épouses,
Au nom de la patrie en deuil,
Étouffez vos haines jalouses :
À la paix immolez l'orgueil.

Bienfaitrice de la Nature,
La paix repeuple nos remparts,
Des champs anime la culture,
Relève l'empire des arts.
À l'erreur sa bonté pardonne :
Elle protège les vertus ;
Et les États qu'elle abandonne,
Tombent l'un sur l'autre abattus.

Ce rivage de mon enfance
N'est-il pas le berceau chéri,
Où, dans les jours de l'innocence,
Je fus si doucement nourri ?
Pour moi, cette terre est sacrée ;
Là, je pleure plus d'un trépas :
Un père, une mère adorée
Y dorment… Ne les troublez pas.

Là même… Il poursuivit encore :
Les sanglots, dans sa bouche, arrêtent son discours ;
Il n'ose, hélas ! parler de Laure ;
Sa douleur dit assez sa perte et ses amours.

Soudain, ô pouvoir de la lyre !
Tous ces guerriers, vaincus par la douce pitié,
Abjurent un fatal délire,
Et sous leurs étendards vint s'asseoir l'amitié.

La paix, fille de l'harmonie,
Couronna des amants le chantre révéré ;
Et l'aigle de la Germanie,
Loin de ces bords heureux s'enfuit désespéré.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an V de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1796, Paris, Louis, an V, p. 97-101.