Philippiques françoises contre nos éternels et perfides ennemis les Anglois

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Texte

Le sang bouillonne dans mes veines,
Mon cœur palpite de courroux ;
Où vont ces hordes inhumaines
Porter d'impitoyables coups ?
Quel est donc ce peuple barbare
Qu'une fureur jalouse égare,
Et qui longtemps maître des mers,
Prétend dans sa morgue insensée,
Rendre à la France terrassée
Ses rois, ses tyrans et ses fers.

Anglois vous retracez encore
À mes regards épouvantés,
Ces temps que l'Histoire déplore,
Et les climats dont vous sortez ;
Fléau destructeur de la terre,
L'habitant du Nord dans la guerre,
Plus féroce encor que ses ours,
Yvre de sang et de carnage
Écumoit encore de rage
Quand la paix en bornoit le coursL'Angleterre habitée par les Celtes, a été successivement peuplée par les Saxons et les Normands. On sait que ces derniers sortis des environs de la mer Baltique, désolèrent l'Europe pendant près d'un siècle par leurs affreux brigandages, sous les foibles descendans de Charlemagne. Les Anglois ont conservé les mœurs de leurs anciens maîtres dans la conduite qu'ils tiennent avec nous.

Que dis-je infidèle et parjure,
Tous ses exploits les plus vantés
N'étoient qu'une coupable injure
Faitte[sic] à la foi de ses traités :
L'or de sa soif inaltérable
Brûlant cette race indomptable,
N'en avoit fait que des brigands,
Et leurs barques sur nos rivages
Bravant les flots et les naufrages,
Ne rassembloient que des forbans.

Mais un plus saint devoir colore
Albion, tes nobles exploits,
Et ton ministère s'honore
Du beau nom de vengeur des rois.
Ta fidélité que j'admire,
Et l'humanité qui t'inspire,
Pour eux conduisent tes vaisseaux,
Et la seule philantropie[sic]
T'arme contre la main hardie
Qui leur dressa des échaffauds[sic].

Traîtres, qui croyez nous surprendre,
Vains simulacres de vertu,
Est-ce en effet pour les défendre
Que vos guerriers ont combattu ?
Généreux appuis de leur trône,
N'est-ce qu'aux droits de leur couronne
Que votre sang est immolé,
Et que d'un beau zèle victime,
Sous le joug honteux qui l'opprime,
Gémit votre peuple accablé ?

J'ouvre vos annales antiques,
Monumens de tant de forfaits,
Grand Dieu, quelles scènes tragiques !
Et quels épouvantables traits !
Monstres couverts de diadème,
La fleur dont vous prîtes l'emblèmeDeux branches de la maison royale d'Angleterre, l'une connue sous le nom d'York et l'autre sous celui de Lancastre, ont couvert pendant le cours de près d'un demi-siècle ce royaume de sang. Celle d'York portoit dans son écu une rose blanche et celle de Lancastre une rose rouge. La première finit par exterminer la seconde,
Ne fut qu'un symbole trompeur ;
La ronce qui perce et déchire,
Eut mieux peint le sanglant délire
Qui signaloit votre fureur.

Tout fut dans cette île sauvage
Des plus noirs poisons infecté ;
Tout y respiroit le carnage,
La haine et la férocité :
Le fils s'arma contre le père,
Le frère u fit périr le frère,
Et souvent même par ses coups ;
L'épouse à l'époux infidèle,
Dans son audace criminelle,
En brava les transports jalouxCeux qui tiront l'histoire de cette nation, verront par eux-mêmes qu'on n'a point chargé le tableau qu'on présente ici.

Une race à l'autre succèdeDans la personne d'Henri Tudor qui n'appartenoit à la maison royale que par sa mère princesse de la branche de Lancastre. C'est Henri VII de qui l'avarice souilla les bonnes qualités. Il fut père d'Henri VIII,
Mêmes forfaits, mêmes horreurs ;
La scène n'a point d'intermède,
Le temps n'a point changé les mœurs.
En vain le successeur avare
De ce Richard oncle barbareRichard III qui pour s'emparer du trône, fit étouffer ses deux neveux. En lui finit la maison des Plantagenêt anciens comtes d'Anjou,
Couvre le trône ensanglanté,
Son fils tyran plus détestableHenri VIII le Néron de l'Angleterre, et l'un des plus sanguinaires tyrans que la fureur des controverses ait animés,
Ne fut qu'un monstre inexorable
De fureur et de cruauté.

Peuple enseigné par de tels maîtres,
Et de leur esprit animé,
Je vois le plan de tes ancêtres
Dans celui que tu t'es formé :
Foibles ennemis de la France,
Pour triompher de sa puissance,
Ils en armoient les citoyens,
Et leurs succès dans nos provinces
Étoient le crime de nos princes,
Bien plus que l'ouvrage des tiensC'est une vérité qui ne sera pas contestée par les Anglois et que toutes les pages de leur Histoire démontrent.

Telle aujourd'hui la politique
De ces insulaires si fiers
Au sein de notre République
Souffle la rage des enfers.
Ce peuple inconstantLes Anglois changèrent quatre dois leur croyance dans l'espace de 20 ans, lorsque Henri les eut séparés de Rome et farouche
Qu'aucune vérité ne touche,
Qu'aucun culte ne réunit,
Pour diviser et pour détruire
Chez nous veut rétablir l'empireLe ministère anglois protège aujourd'hui la Cour de Rome
Qu'il a chez lui-même proscrit.

Le voile tombe, et le prestige
Ne doit plus fasciner tes yeux ;
Tout va dissiper le vestige
Qui longtemps troubla tes ayeux ;
En vain pour dépouiller la France,
Tu disois tenir la balance
Et l'équilibre du pouvoir,
Ta force déjà chancelante,
Sous les coups de sa main puissante,
Trompe tes vœux et ton espoir.

Poursuis cependant ton ouvrage,
Charge les mers de tes vaisseaux,
Et brave, imprudente Carthage,
Tes plus redoutables rivaux ;
Pour t'appuyer dans la carrière,
Arme contre eux l'Europe entière,
Et contraire à tes propres loix,
Prouve aux nations étonnées
Qu'au trône elles sont enchaînées,
Et n'existent que pour les rois.

De ton utile prévoyance
J'admire pourtant les effets ;
Tu crains de notre indépendance
Les sûrs et rapides progrès ;
Tu voudrois nous les rendre encore
Ces jours que la France déplore,
Où l'infâme lubricité
Bravoit l'honnêteté publique,
Sous un Sibarite impudique,
Abbruti[sic] par la volupté.

Tu voyois avec complaisance
Nos vœux, nos intérêts trahis
Par la dangereuse influence
De ses impudentes Laïs,
L'insouciance et la crapule
Souvent par un choix ridicule,
Insulter à tous nos guerriers,
Et par de honteuses retraites,
Ou par sanglantes défaites,
Flétrir nos antiques lauriers.

Alors parcourant de la Terre
Les climats par nous habités,
On vit la jalouse Angleterre
Envahir nos propriétés ;
On vit ses armes menaçantes,
Ses flottes partout triomphantes,
Insulter à nos pavillons,
Et dans ces lointaines contrées,
Nos légions désespérées,
De leur sang couvrir les sillons.

Tu nous voudrois encor peut-être
Ce Louis par toi détesté,
Fastueux prince, orgueilleux maître,
Quelquefois grand dans sa fierté,
Qui prodiguant son opulence,
De sa redoutable puissance
Vit s'affoiblir tous les ressorts,
Et dont le luxe impardonnable
Dans une Cour insatiable,
Laissa se fondre nos trésors.

Pour satisfaire sa rivale,
Et remplir ses nobles désirs,
La nôtre à tant d'autres égale,
S'endormoit au sein des plaisirs,
Dans cette agréable apathie,
Oubliant loix, devoirs, patrie,
Le trône engloutissoit nos biens,
Et prêt à tarir dans ses sources,
Le fisc épuisoit nos ressources
Pour nos besoins et pour les siens.

Fidèle enfin à son systhême[sic]
D'invasions et de fureurs,
Albion en tous temps la même,
Se fait reconnoître à ses mœurs :
La main qui perça JumonvilleLes Anglois préludèrent aux hostilités et aux invasions de leur dernière guerre contre la France sous le règne de Louis XV, par l'assassinat de Jumonville. Leur marine étoit alors dans un état de force redoutable, et la nôtre bien inférieure, leur permettoit de tout oser pour avilir la France et la dépouiller. Et ces généreux ennemis ont réclamé les droits des nations, lorsqu'elle a prêté ses secours aux Américains que Londres prétendoit écraser !,
Ne sait point respecter d'azile[sic],
Ni de droits sacrés des États,
Et sa politique profonde
Ne craint pas de donner au monde
L'exemple dans ses attentats.

Que vois-je, et quel objet horrible
A frappé mon cœur éperdu ?
Ce crime infâme est-il possible,
L'auroit-on jamais attendu ?
Mais c'en est fait, tu les abjures
France, ces traîtres, ces parjures,
Ces vils esclaves des tyrans,
Ces monstres nés pour ta ruine,
Qui démentant leur origine,
Ont rougi d'être tes enfans.

Superbe arsenal de la France,
Toi dont les remparts et les forts
Des ennemis de sa puissance
Vingt fois ont bravé les efforts,
Qui dans ton port, sur tes rivages,
Voyois à l'abri des orages,
Jadis mille vaisseaux flottans,
Toulon ta splendeur est éteinte,
Et Pitt a fait de ton enceinte
Un vil repaire de brigands.

À cette infâme perfidie
Albion joint la cruauté,
Le tigre que sa main délie,
Se livre à sa férocité :
Aux cris de mille voix plaintives,
Au sang qui coule sur ses rives,
Gênes veut opposer ses droits,
Vaine et tardive résistance !
L'impitoyable violence
Ne connoît ni raisons, ni loix.

Tu crois sans doute qu'il sommeille
Le maître puissant des forêts ;
Le lion endormi s'éveille
Au bruit de tes lâches forfaits ;
Ils ont lassé sa patience ;
Tremble et redoute sa vengeance,
Il a brisé tous ses liens,
Et va malgré tes artifices,
Éclairer enfin tes complices,
Punir leurs crimes et les tiens.

C'en est trop, deux siècles d'outrages
Justifiront[sic] votre fureur,
Soldats, ranimez vos courages
Contre ce peuple usurpateur ;
Vengez dans les champs de la guerre,
Sur une horde sanguinaire
Nos droits, notre honneur offensés,
Pressez, poursuivez ces barbares,
Et frappez ces courtiers avares,
De nos dépouilles engraissés.

Qu'entends-je ? Des cris de victoire
Retentissent de toutes parts !
Toulon va reprendre sa gloire,
L'esclave fuit de ses remparts ;
Déjà par nos mains enchaînées,
J'ai vu frémir les Pyrhénées[sic],
Leurs monts s'incliner sous nos pas,
Les Alpes même sur leurs traces,
Baisser leurs fronts couverts de glaces,
Aux approches de nos soldats.

De nouveaux bruits se font entendre,
Et la Renommée aux cent voix,
Vient de nos guerriers dans la Flandre
M'annoncer les brillans exploits.
Quel feu, quelle audace intrépide !
Déjà de leur marche rapide
Rien n'a pu suspendre le cours,
Et la Gloire qui les appelle,
Par quelque conquête nouvelle
A marqué chacun de leurs jours.

Ici, François la force cède
À votre indomptable valeur,
Et le vaincu souvent excède
En nombre de bras le vainqueur.
Sur l'autre élément circonspecte,
Pitt dont la prudence suspecteOu mieux : Pitt, ta prudence circonspecte, / Qui sur l'autre élément suspecte / La Bravoure de tes héros, / Double celui de tes vaisseaux.
La fortune de ses héros,
Par une égale prévoyance,
Pour combattre avec assurance,
Double celui de ses vaisseaux.

C'est avec de tels avantages
Que ces prétendus rois des mers
Osent infecter nos parages
Et triompher de nos revers ;
Mais non la fortune inconstante
Loin de seconder leur attente,
Rioit de leurs vastes projets ;
La proie à leurs mains échappée,
Et leur avidité trompée
Font notre gloire et nos succès.

Vengeur, sous toi la mer s'entrouvre,
Tes mats et tes flancs sont brisés ;
L'abyme des mers se découvre
Sous tes défenseurs épuisés,
Le danger qui les environne,
N'a rien contre eux qui les étonne,
Sa vue enflamme tous les cœurs ;
Lâches, préparez vos amorces,
Contre un seul rassemblez vos forces,
Ils mouront[sic] libres ou vainqueurs.

C'en est fait, les eaux engloutissent
Jusqu'à tes derniers matelots ;
Les airs de leurs voix retentissent,
Tes débris nagent sur les flots,
Mais non la Gloire de ses ailes,
Couvre les ombres immortelles
De ces généreux combattans,
Et leur mémoire qui surnage,
Et qui s'échappe du naufrage,
Va braver l'injure des temps.

Je te salue, ô toi qu'adore
Le sage éclairé sur tes droits,
Ô toi que le despote abhorre,
Et qui fuis les Cours et les rois,
Ta main en merveilles féconde,
Dans la France qui te seconde,
S'assure un culte et des autels ;
C'est par elle, c'est par ses armes,
Que de leurs maux et leurs alarmes
Tu vas consoler les mortels.

Liberté, toi de qui l'image
Me rend les feux de mon printems,
C'est toi dont l'aspect encourage
Tous les ennemis des tyrans ;
Par toi le François invincible
Va dans sa colère terrible,
Écraser ses plus fiers rivaux,
Et pour étendre ton empire,
Déjà plein du Dieu qui l'inspire,
D'Alcide égaler les travaux.

 
 

Sources

AN, F17 1010D.