Pie VI et Louis XVIII, conférence théologique et politique trouvée dans les papiers du cardinal Doria et traduite de l'italien

Auteur(s)

Année de composition

1798

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Texte

Louis XVIII :

Quoi ! Saint Père, c'est vous ! Vous, loin des bords du Tibre !
Rome aurait-elle aussi le malheur d'être libre ?
Le nouveau mal français gagne-t-il ces remparts
Où des pontifes rois remplaçaient les Césars ?
A-t-il du Vatican souillé l'auguste enceinte ?

Pie VI :

Mon fils, j'ai pour jamais quitté la cité sainte.
J'ai mal joué mon rôle, à vous parler sans fard ;
J'ai fait la paix en traître, et la guerre en cafard.
Quand l'acteur est mauvais le parterre le hue :
Il a fallu s'enfuir sifflé par la cohue.
J'ai fait des tours d'espiègle, au fond très innocents ;
Et vous en jugerez, car vous avez du sens.
Mes saints prédécesseurs, en des jours difficiles,
Dans l'art d'empoisonner se montraient fort habiles :
Suivant la circonstance on se laisse tenter ;
Et de l'assassinat j'avais voulu tâter.
Il faut s'aider un peu quand les temps sont critiques.
Basseville, Duphot, ces damnés hérétiques,
Ont été massacrés pour le bien de la foi,
Par mes soldats, poltrons autant que vous et moi,
Mais très bons assassins, et grands serveurs de messes.
En France on a mal pris toutes ces gentillesses.
Lors j'ai renouvelé près des soldats français
Un lazzi qui jadis avait quelque succès.
Pour leur en imposer et procéder en forme,
Je revêts la tiare et le grand uniforme,
Et, les deux doigts en l'air, avec componction
Je propose aux guerriers ma bénédiction :
Refus net et formel ; ils ont le goût bizarre.
Dépouillant sans tarder l'étole et la tiare,
De Rome adroitement je me suis esquivé,
Et comme vous, grand roi, je suis sur le pavé.

Louis XVIII :

L'accident est fâcheux ; mais j'ai peine à vous plaindre.
Lorsqu'en son crépuscule, et commençant à poindre,
Ce soleil inconnu, luisant aux nations,
Vint obscurcir les rois de ses premiers rayons,
Que n'avez-vous éteint ces clartés menaçantes ?
Vous pouviez, sans lancer des bulles impuissantes,
Comme autrefois Urbain, conjurant le danger,
Ordonner aux chrétiens de courir nous venger.
L'aventureux Gustave, héritier de Christine,
Aux bords de la Neva, la chaste Catherine,
Brûlaient de seconder les monarques germains :
Que faisiez-vous alors ? Une épître aux Romains ?
Tandis qu'il eût fallu sanctifier la guerre,
Faire parler le Ciel pour soulever la terre,
Sortir avec éclat de vos sacrés remparts,
Et des nouveaux croisés bénir les étendards.
La chrétienté, suivant son pontife suprême,
En faisant son salut, vous eût sauvé vous-même.
Les grâces du Très-Haut se répandaient sur nous.

Pie VI :

Donneur de bons avis, prenez-les donc pour vous.
Vos manifestes, pleins d'une imbécile emphase,
Plus gascons que les vers du rimailleur Despaze,
Ont aux républicains causé peu de frayeur :
Ils ont ri du vaincu pardonnant au vainqueur.
Battez-les.

Louis XVIII :

Des combats qu'un autre soit l'arbitre :
De Louis le Prudent j'ai mérité le titre ;
Malgré leurs attentats j'épargne mes sujets,
Et la guerre a prouvé combien j'aime la paix.

Pie VI :

Eh bien ! Feu Charles sept fut un roi pacifique ;
Abandonnant la France à l'Anglais hérétique,
D'Agnès, tant douce amie, il recevait la loi :
Vous n'avez point d'Agnès, et nous savons pourquoi.
Lahire cependant donnait force batailles ;
Ainsi faisaient Poton, la Trimouille et Xaintrailles,
Mais en vain ; chaque jour apportait ses malheurs ;
Charles se lamentait auprès d'Agnès en pleurs.
Une pucelle advient ; l'espoir les réconforte ;
Dunois, le beau bâtard, et Jeanne la très forte,
Du monarque un peu plat vengent le long affront,
Et l'ampoule sacrée a coulé sur son front.
Dieu vous gratifia du don de couardise ;
Vous n'êtes pas pour rien fils aîné de l'Église ;
Vous vivrez longuement ; mais il faut, entre nous,
Trouver des ferrailleurs qui soient vaillants pour vous.
Cherchez en votre Cour, pour tenter la conquête ;
Un bâtard un peu brave, ou quelque fille honnête,
Qui, dans les cabarets instruite, à la vertu,
Soit l'appui de son prince et du trône abattu.

Louis XVIII :

Vous parlez de ma Cour ? Quelle Cour ! En icelle
Il est force bâtards, mais pas une pucelle ;
Et mes preux chevaliers aimeraient mieux, je crois,
Manger, boire, dormir, et régner comme moi,
Qu'exposer leur noblesse à l'incivile rage
D'un peuple roturier qui n'a que du courage.
Tous ces républicains, soldats peu complaisants,
Font la guerre pour vaincre, et sont mauvais plaisants.
J'avais organisé des moyens plus faciles ;
Deux cents gredins bien plats, mais si bons, si dociles,
Pour moi, chaque matin, griffonnaient maint écrit :
Je payais leur sottise aussi cher que l'esprit.
Le rapsode Villiers, Dantilly, Baralere,
Le langoureux Crétot, l'éveillé Souriguière,
Le nocturne Langlois, messager de malheur,
Et Lacretelle, enfin, le lugubre penseur,
Barbouillaient tous les jours d'une couleur cynique
Le guerrier, l'orateur, ou le chantre énergique
Qu'à leur pinceau vénal désignait mon courroux :
Suard les dirigeait et les surpassait tous.
Mon peuple avait élu, grâce à leur industrie,
Des sénateurs n'ayant ni Sénat ni patrie ;
Par l'amour de leur roi des juges ennoblis,
Dans le cœur, sur le dos portant les fleurs de lis.
Sans avoir combattu je gagnais la victoire ;
Déjà de mon triomphe on écrivait l'histoire ;
Je voyais mon clergé, mes cours de parlements,
Mon trône rétabli sur ses vieux fondements,
Et de la liberté la France délivrée…
Mais les républicains ont battu ma livrée.

Pie VI :

Je vous dois un aveu, mon cher, et le voici.
Ils ont le même jour battu la mienne aussi.
Mes agents secondaient l'adroite politique
D'un estimable Anglais, d'un charmant hérétique,
De Pitt, mon digne ami, quoiqu'il ait peu de foi ;
Intrigant comme un prêtre, insolent comme un roi.
Quels hommes j'ai perdus ! J'avais saint du Vaucelle,
Renonçant à l'esprit par un excès de zèle ;
Le clément saint Rovere, à Vaucluse fêté ;
L'éloquent saint Gallais, à Montmartre écouté ;
Saint Mailhe, au maintien faux, au ton rogue, à l'œil triste ;
Saint Quatremere, issu de race janséniste,
Fils, petit-fils, neveu, cousin de marguillier ;
Saint Laharpe, infidèle à son premier métier,
Longtemps anti-chrétien, mais toujours fanatique :
Autrefois, possédé du démon dramatique,
Le nouveau converti, du diable abandonné,
Expiait le plaisir qu'il n'avait pas donné.
J'avais saint Vauvilliers, leur guide et leur oracle,
Apôtre de Gonesse, et témoin d'un miracle.
Mais parmi ces grands saints, canonisés tout vifs,
Du vicaire de Dieu vicaires adoptifs,
Nul n'était comparable à saint Jordan Camille ;
Chacun valait un saint, lui seul en valait mille.
Cet apprenti sous-diacre, en vrai pauvre d'esprit,
S'était senti toujours du goût pour Jésus-Christ :
II aimait du vieux temps les sottises prospères,
Et réclamait surtout les cloches de nos pères ;
Cent oisons répétaient ses pieuses clameurs.
Dans le château Saint-Ange, au bruit de ces rumeurs,
Mon âme était ouverte à la douce espérance
De voir des indévots le sang couler en France ;
Et j'entendais de loin crier de tout coté :
« Guerre aux républicains ! Meure la liberté !
Mais vivent les clochers, la tiare, l'étole,
Camille, et les oisons, sauveurs du Capitole ! »

Louis XVIII :

Ah ! Que n'ont-ils pu vivre aux Petites-maisons !
Tous les rois sont perdus par vous et vos oisons.
Faites taire à la fin ces innocents adeptes
Ressasseurs d'arguments, de lieux-communs ineptes,
Que les moindres bedeaux ont cent fois répétés,
Mais que le ridicule a cent fois réfutés.
Laissez là votre bible, et votre premier homme,
Ève, le paradis, le serpent, et la pomme ;
Dans l'arche de Noé renfermez vos docteurs ;
Oubliez d'Israël les rêves imposteurs ;
Le soleil s'arrêtant ; la mer, non moins docile,
Ouvrant au peuple juif une route facile ;
Holopherne, martyr de son goût libertin
Caressé dans la nuit, égorgé le matin ;
Le gourmand Esau vendant son droit d'aînesse ;
Balaam le voyant instruit par son ânesse ;
En un lieu malhonnête Olla coulant ses jours,
Et d'Olliba sa sœur les robustes amours ;
Le dieu pigeon faisant à la pucelle-mère
Un enfant, Homme et Dieu, dont il n'est pas le père ;
Dieu, père, fils, esprit ; un, par conséquent trois ;
Dieu né dans une étable et mort sur une croix ;
Dieu sur le haut des monts emporté par le diable ;
Jean, Luc, Marc, et Matthieu, gens d'un goût admirable,
Tous, quatre par Dieu même à la fois inspirés,
Contant diversement leurs mensonges sacrés ;
Constantin, sur la foi de l'authentique histoire,
Brisant pour l'homme-Dieu l'autel de la victoire ;
Le Panthéon fermé ; les sectaires nouveaux
Sur le trône montant du sein des échafauds ;
Et leur religion, lasse d'être victime,
Passant avec orgueil de la sottise au crime.
Les pontifes romains, du pied des saints autels,
Vendaient à juste prix les sept péchés mortels.
Les trésors de vingt rois brillaient sur vos madones,
Et la boîte aux agnus vous valait des couronnes.
Ici, c'est l'empereur, c'est le roi très chrétien,
Qui dans sa propre Cour est fessé pour son bien ;
C'est un autre empereur, mort dans la sacristie,
Pour avoir trop aimé la sainte eucharistie :
Le rusé saint Bernard vend les plaines du Ciel ;
Là d'un autodafé le plaisir solennel
Réjouit les regards du bon saint Dominique ;
Saint Robert d'Arbrissel, plein d'un zèle héroïque,
Pour voir et pour braver le démon de plus près
La nuit de deux nonains caresse les attraits :
Le Ciel voit voyager la maison de Marie :
Afin d'exorciser le Vésuve en furie,
Un prêtre escamoteur, habile en son métier,
Fait bouillir à propos le sang de saint Janvier :
Plus loin de saint Dunstan la montagne flottante
Accourt, se fait bénir, et s'en va très contente.
Ah ! Du trône papal remontez les degrés.
Quels sont d'un tel pouvoir les fondements sacrés ?
Dogmes impertinents, mystères ridicules,
Miracles des Crépins, des Fiacres, des Ursules,
Ramas de contes bleus et d'antiques rébus,
Aux faiseurs de sermons inspirant du phébus,
Mais qui par dom Calmet contés avec simplesse,
D'Arouet l'indévot égayaient la vieillesse.
Croyez-vous rétablir un empire usurpé
Et, gouverner encor le genre humain trompé ?
Non ; votre jonglerie est une erreur usée,
Et des maux qu'elle a faits la coupe est épuisée.
Simon Barjone en vain présente l'hameçon ;
Le filet du pécheur ne prend plus de poisson ;
Audrein chérit tout seul la divine bêtise ;
Puisque l'homme a pensé, c'en est fait de l'Église.
Le coup qui vous détruit fut préparé longtemps ;
Les prêtres, en honneur, étaient trop charlatans ;
Eux-mêmes ils ont hâté leur chute nécessaire ;
Et les papes sont mûrs : soit dit sans vous déplaire.

Pie VI :

Vous tenez là, mon fils, un fort mauvais propos.
Qui n'est pas charlatan ? Demandez aux héros :
C'est des pauvres humains la tache originelle ;
Homme d'esprit et sot, sage et fou, tout s'emmêle.
Vous ne concevez pas d'où vient notre pouvoir ?
Et moi, mon cher féal, j'ai peine à concevoir
Comment un peuple entier, esclave volontaire,
Pouvait subir d'un fat le joug héréditaire ;
Comment vingt nations fléchissaient sous vingt rois ;
Comment cent mille fous, s'armant à votre voix,
Couraient s'entr'égorger pour vous et pour les vôtres :
Ce mystère est étrange, et vaut bien tous les nôtres.
L'autel ne va pas bien ! Le trône va-t-il mieux ?
Si les papes sont mûrs, les rois sont un peu vieux.
Vous autres potentats, ou qui prétendez l'être,
Vous savez commander ; mais apprêtiez qu'un prêtre
Sait flatter la puissance, en tout temps, en tout lieu.
Le diable fut longtemps vaincu par le bon Dieu ;
Nous avons loué Dieu d'une âme satisfaite ;
Mais le diable est vainqueur ; sa volonté soit faite.
Certain roi, pour fléchir le Saint-Siège irrité
Fut fessé : Pourquoi pas, s'il l'avait mérité ?
Henri le calviniste entendit bien la messe :
Et vous, si vous aviez une sûre promesse
De rentrer aussitôt dans vos droits souverains,
En vous laissant fesser au maître-autel de Reims,
Ne baiseriez-vous pas la verge salutaire
Dont les coups vous rendraient le rang héréditaire ?
Ne nous reprochons rien ; soyons de bonne foi :
Le prêtre doit toujours s'unir avec le roi :
Ce sont mangeurs de gens ; c'est la même famille.
Meurtre, empoisonnement, telle autre peccadille,
Orgueil, ambition, luxure,… et cætera ;
Chez nous c'est à peu près tout ce qu'on trouvera.
Mais l'histoire des rois, qu'on l'ouvre, qu'on la lise ;
C'est tout comme chez nous, le crime et la sottise.
Prenez les saints cahiers ; car la bible a du bon :
Vous y verrez que Dieu, qui souvent a raison
Pouvant punir les Juifs, en leur donnant la peste,
Leur fit présent des rois, don, cent fois plus funeste.
Les peuples divisés ont rampé sous nos lois ;
Unissant leur fureur, les prêtes et les rois
Ont jeté dans un puits la vérité plaintive :
L'imposture, pesant sur la terre captive,
Enivrait les humains pressés d'un lourd sommeil ;
La vérité maudite, en sonnant le réveil,
Remonte de son puits, et n'y veut plus descendre,
Les peuples ralliés commencent à s'entendre.
Rois, voyez le présent, devinez l'avenir :
Notre rôle est fini ; le vôtre va finir.
Gutenberg, en creusant sa caboche insensée,
Trouva l'affreux moyen de graver la pensée.
Ce jour vit ébranler et le trône et l'autel,
Et de loin aux erreurs porta le coup mortel.
Dès lors on réfléchit, tandis qu'il fallait croire ;
Chaque jour la raison, conquit une victoire ;
Bientôt nos livres saints parurent amusants,
Nos mystères joyeux, nos miracles plaisants ;
On rit à nos dépens, et de plus, on fit rire.
En nous voyant percés des traits de la satyre,
Les rois un peu prudents devaient, sans balancer,
Punir tout scélérat convaincu de penser.
Plusieurs, loin de tenir cette sage conduite,
Ont fait les esprits forts. Mais attendons la suite.
On s'est longtemps moqué des serviteurs de Dieu ;
Et, pour l'avoir souffert, les rois verront dans peu
Leurs édits respectés comme le Décalogue.
Sur ce point, mon cher fils, oyez un apologue,
Simple, court, mais surtout contenant vérité :
Le cardinal Maury me l'a souvent conté.
Chez un fermier dormeur, et qu'on nomme Nicaise,
Le renard et le loup volaient tout à leur aise.
C'était du fond des bois que le couple assassin
Accourait, quand la nuit, favorable au larcin,
Étendait sur les cieux ses vêtements funèbres :
Meurtriers et voleurs sont amis des ténèbres.
Vainement aboyaient les chiens officieux ;
Tranquille en un bon lit, Nicais en dormait mieux.
Maître renard croquait la poule timorée ;
Maître loup des moutons faisait large curée.
Mais Nicaise eut un fils qui fut son héritier ;
Morphée habitait peu chez ce nouveau fermier.
Il entendit des chiens les avis charitables ;
Sans bruit il prépara ses filets redoutables,
Le fin renard périt en un piège tendu ;
Près de son compagnon le loup fut étendu.
Les loups et les renards sont les rois et les prêtres :
Par le fermier dormeur j'entends nos bons ancêtres ;
Par les chiens vigilants, ceux qui de la raison
Versent dans leurs écrits le damnable poison ;
Par le fils du fermier les hommes de notre âge.
On n'est plus imbécile, et c'est vraiment dommage ;
Nous arrivons trop tard pour régner en repos ;
Dans ce monde il faut naître et mourir à propos.

 
 

Sources

BNF, Ye 18370.