Prophétie contre Albion
Texte
Je chanterai la paix. Je vais chanter la gloire.
De Mars, Apollon seul consacre les lauriers,
Hymne des combattans, et prix de la victoire,
Mes accens charmeront l'oreille des guerriers.
Tremble, vaine Albion, dans tes rochers sauvages.
Sois moins fière de tes rivages.
Et du nombre de tes vaisseaux.
Les enfers ont reçu tes phalanges barbares,
Et le sort, dans tes mains avares,
A brisé le sceptre des eaux.
Sur ses murs abattus, Carthage désolée,
Expia les succès de ses murs triomphans.
Qu'est maintenant Carthage ! Une reine exilée.
Elle n'armera plus le bras de ses enfans.
En vain de tes soldats tu m'opposes la foule,
Et de ta grandeur qui s'écoule,
Tu m'as pas différé l'écueil.
Les rois des nations ne seront plus ta proie.
Entends-tu ces longs cris de joie !…
C'est la pompe de ton cercueil.
Tu buvais à longs traits le sang de tes victimes ;
Cesse d'accumuler des forfaits superflus.
La vengeance du monde a franchi tes abîmes.
Les flots que tu domptais ne te connaissent plus.
Prépare tes flambeaux, implacable mégère !
Des palais de cette étrangère,
Consume les derniers débris !
Qu'errante, fugitive, et ravie à ses trônes,
Elle aille au sein de tes gorgones
Cacher ses pénates proscrits.
Aux plages du Cocite elle assied son empire,
Elle vient : son aspect souille les sombres bords,
Elle vient : odieuse à tout ce qui respire,
L'horreur du genre humain la poursuit chez les morts,
Les tyrans qui dormaient sur ces parvis funèbres,
Au bruit de ses crimes célèbres,
Ont soulevé leurs fronts jaloux.
C'en est fait, disent-ils ! Du poids de ta fortune,
Bellone a délivré Neptune.
Albion est semblable à nous.
Le tems a fait un pas. J'ai cherché la superbe.
Qu'est devenu l'orgueil qu'affectaient ses remparts !
Son génie insolent s'est prosterné dans l'herbe,
Et je n'entendrai plus rugir ses léopards.
Le néant règne seul dans sa ville déserte.
La terre s'instruit de sa perte,
Et s'applaudit de ses revers.
Ses prêtres sont bannis, et ses filles plaintives,
Implorent de leurs mains captives,
La pitié d'un autre univers.
Le souverain des dieux a juré sa ruine :
Il a dit : « qu'elle tremble au jour de ma fureur.
J'enverrai dans ses ports la guerre et la famine,
J'enverrai dans ses camps la fuite et la terreur.
Cendre de Scipion, Scipion va renaître.
Tamise, reconnais ton maître.
Peuples, immolez vos bourreaux.
Mers, applanissez-vous ; nuit, déroule tes voiles,
Phares des cieux, chastes étoiles,
Protégez le sort des héros ».
Il parle, et nos vaisseaux, sur les vagues soumises,
Glissent, d'un cours rapide, au gré des matelots.
Leurs vœux, impatiens des régions promises,
Accusaient la lenteur de la rame et des flots.
Mais leurs vœux sont comblés. La perfide succombe,
Et ma lyre autour de sa tombe,
Évoque la postérité.
Ainsi le favori des vierges d'Aonie,
Le Tasse, aux loisirs du génie,
Dédiait sa captivité.