Prophétie républicaine, adressée à M. Pitt et à ses complices
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Lue dans l'assemblée publique du Lycée républicain, le 17 nivôse de l'an II de la République française, une et indivisible
Texte
La sainte Liberté que révère la France,
À peine dans Paris eut reçu la naissance,
Que ton génie affreux, complice de vingt rois,
S'appliqua sans relâche à renverser nos lois.
Ton or corrompit tout pour nous donner des maîtres,
Parmi nous tu soldas ces nobles et ces prêtres,
Qui livrant la Vendée aux lâches assassins ;
De la France un moment troublèrent les destins ;
Et de morts, de mourans surchargèrent les rives
Du fleuve où s'assemblaient des bergères naïves.
Le noir fédéraliste eut part à tes bienfaits,
Et ton infâme Cour entassant les forfaits,
Au défaut des canons employa les guinées.
Tu crus, par ces détours, changer nos destinées.
Tremble ! Lyon n'est plus, et Toulon foudroyé
A vu fuir sur les mers ton drapeau déployé.
La Vendée espérait arrêter nos conquêtes,
Et repousser le calme à l'aide des tempêtes ;
Nos citoyens soldats l'ont à la fin dompté
Ce colosse ennemi de notre liberté,
Et de ses partisans la horde fanatique
A reçu, dans la Loire un baptême civique
Ils ressusciteront, disaient-ils… sûrement.
C'est un miracle à faire, et l'on verra comment.
Lyon que tu berçais d'une fausse espérance,
Du peuple souverain éprouvant la vengeance ;
Vainement le roi sarde appuyant tes desseins
Avait rempli ses murs de lâches émissaires,
La foudre a dispersé vos agents sanguinaires,
Et le Rhône indigné de l'orgueil des brigands
Roule encor vers les mers leurs cadavres sanglans.
Mais quel autre tableau se présente à ma vue ?
Du port des Toulonais ta flotte est disparue ;
Que dis-je ? Nos soldats y répandent la mort ;
Tout fuit à leur aspect, tout cède à leur effort.
Son roc est emporté : le jeune Robespierre
Se montre digne en tout de son vertueux frère
Et l'esprit incertain, au bruit de sa valeur,
Flotte entre le guerrier et le législateur.
Ricord, Fréron, Barras qu'un même zèle anime,
Font briller à leur tour un dévouement sublime.
Les voyez-vous tous trois ? Ils sont, n'en doutez pas,
Voisins de la victoire et plus près du trépas
Ils commencent tous trois une immortelle vie.
Et Paris s'en souvient, si la mort les oublie.
Ah ! Qui pourrait les peindre à l'envi sur les flots,
Excitant au combat les braves matelots,
De périls entourés, surmontant les obstacles,
Renouvelant enfin les antiques miracles,
Qui des Athéniens illustrèrent le nom
Aux champs de Salamine, aux champs de Marathon
Et du Xerxès anglais, renversant la puissance,
Pour jamais établir le bonheur de la France ?
Qui pourrait surtout peindre avec tranquillité
Ce combat des tyrans et de la liberté.
Lutte affreuse et sublime où sur l'onde applanie,
Vaisseaux contre vaisseaux avec même furie
Se croisant, se heurtant, offrirent aux regards
Tout Neptune couvert de leurs débris épars.
Prête-moi tes couleurs, ô David, ô mon maître !
Ce que j'ébauche ici vous le verrez paraître,
Vous verrez de la nuit le voile déchiré
Par le feu des vaisseaux l'horizon éclairé,
Et ce feu prolongeant une lumière sombre
Redoubler le combat des clartés et de l'ombre.
Vous verrez sur les flots les morts et les vivants
Balancés par les vents luttant contre les vents,
De l'airain qui grondait et de l'airain qui gronde
Vous entendrez la voix se mariant sur l'onde
Organiser partout une scène d'horreur
Et partout à grand bruit répandre la terreur.
Ministre ambitieux, oui, voilà ton ouvrage,
Tu jouis en secret des effets de ta rage,
Et crois jusqu'à la fin pousser la cruauté,
Mais le peuple partout aime la liberté,
Et de quelque beau qu'à Londres l'on te nomme,
Édimbourg ressaisit les droits sacrés de l'homme,
Édimbourg s'est levée : à sa puissante voix
Albion va bientôt refleurir les loix ;
Et les Français vainqueurs secondant son audace,
Elle va des tyrans exterminer la race.
Le pape, pour combattre aux rives de Toulon,
D'Antoine vainement t'offre le compagnon
Ce burlesque soldat non lâche qu'un prêtre
A subi le destin que subira son maître ;
Et pour vous décerner un honneur tout nouveau
Nous vous mettrons tous trois dans le même tombeau.
Tu ne peux ignorer qu'avec la poésie
A marché quelquefois le don de prophétie,
L'avenir tout à coup se dévoile à mes yeux,
Pour l'ennemi des rois quel tableau gracieux !…
Je vois l'ours du Piémont qui retourne en arrière,
Forcé de se cacher dans son humble tanière,
Et qui du saint suaire invoquant les vertus
Malgré lui dans Turin trouve un nouveau Brutus.
Je vois de l'Espagnol le monarque imbécile,
Par son peuple assiégé dans les murs de Séville,
Sur un ardent bûcher expirant ses fureurs.
Je vois ses alguasils, ses moines imposteurs
Consumés par les feux qu'ils attisaient eux-mêmes.
Vomissant contre nous d'inutiles blasphèmes,
Et le San-Benito, coëffure du démon,
Au grand inquisiteur servir de capuchon.
Je vois près du Vésuve un roitelet perfide
Qui prit stupidement sa colère pour guide,
Par les Lazaroni de son trône chassé,
Sur un gibet vengeur je le vois exhaussé ;
Du sang de Saint Janvier implorant la merveille
Secouer dans les airs sa risible bouteille…
Les tigres couronnés de Vienne et de Berlin,
De la veuve oppresseurs, fléaux de l'orphelin,
Je les vois se détruire en se faisant la guerre
Et des forêts du Nord la louve sanguinaire
Qu'a placée un forfait sur le trône des Czars,
Je la vois, pour se mettre à l'abri des poignards,
Essayer, mais trop tard, une utile enjambée,
Son pouvoir est détruit et sa gloire flambée.
Je vois pourtant revivre et Brutus et Caton,
Je vois toute l'Europe en révolution,
La Liberté voler de l'un à l'autre pôle,
Et tous les rois enfin danser la carmagnole.
Et vous qu'un peuple fier ne peut trop mépriser,
Qui, pour nous asservir, comptez nous diviser,
De Pitt, lâches amis, perdez cette espérance,
Il est un dieu là haut qui veille sur la France,
Et qui, pour triompher, nous a prêté son bras.
Ils finiront bientôt ces malheureux débats
Que l'homme contre l'homme élève avec furie,
Les intrigans mourront mais non pas la patrie.
Malgré tous les efforts de la cupidité,
Du haut de la montagne avec l'Égalité,
Je vois sur nos climats la Liberté descendre,
Tout le peuple, autour d'elle, empressé de se rendre,
Auprès de la Raison lui dresse des autels,
Et prépare à loisir le bonheur des mortels.
Mais ce bonheur est loin, me dira-t-on peut-être,
Et pourquoi si longtemps tarde-t-il à paraître ?
La terreur, je l'avoie, est à l'ordre du jour,
Il n'est plus de palais, plus de superbe Cour,
Où puissent les tyrans gouverner des esclaves ;
Mais ne fallait-il pas pour briser nos entraves,
Que la peur du supplice effrayât les pervers,
Et les forçât de fuir dans un autre univers ?
Née au sein des dangers, pour dissiper la crainte,
La Constitution repose en l'arche sainte ;
Mais elle sortira de l'étroite prison,
Et comme au même instant du jour de la raison,
Va s'étendre partout la paisible lumière !
Vous qui comptiez nous voir retourner en arrière,
Et qui pour étouffer nos bienfaisantes lois,
D'une foudre impuissante avez armé les rois ;
Voyez la République à l'abri de l'orage,
Triompher des tyrans qui voulaient son naufrage,
Et de l'Égalité, dans le sein de la paix,
L'indissoluble nœud lier tous les Français.