Proscrivez-moi, seigneurs, je vous le rends, mes frères

Auteur(s)

Année de composition

1796

Genre poétique

Description

Dizains

Paratexte

Vaudeville

Texte

Air : Ma mère étoit pot

Le nouveau Solon, Abolin,
Fait de belles emplettes !
Comment ce petit jacobin
Sans argent les a faites ?
Rien n'est plus aisé,
Lorsqu'on est rusé,
Je veux bien vous l'apprendre :
Il faut être un sot,
Un grand idiot,
Pour ne savoir rien prendre.

Ayant vu que la nation
Bat souvent la campagne,
Plein d'une vive émotion,
Le vieux marquis d'Espagne,
Par un beau matin,
Prenant le chemin d'une ville étrangère,
Les yeux tout en pleurs,
Laisse avec douleurs
Sa famille si chère.

Il eût bien voulu transporter
Au moins sa jeune fille ;
Mais auroit-il pu le tenter,
Courbé sur sa béquille ?
Il part, tout seul, donc.
L'émigration,
C'est un fait notoire,
Doit le ruiner
Et l'assassiner,
A-t-on peine à le croire ?

Pour fuir la mort, ou la prison,
Le vieux seigneur d'Espagne
Quittant la révolution,
Jouoit à qui perd gagne.
Adieu protégés,
Prenez vos congés.
Mais Abolin fort leste,
Voulant s'acquitter,
Sans un sou compter,
Prend tout le bien qui reste.

Tout vassal, révolté, soudain,
La chose est assez claire,
Veut devenir un suzerain ;
Il ne sauroit moins faire !
Par la liberté,
Sur l'égalité
Maître Abolin s'élance :
Puis au grand galop
Arrive bientôt :
Sa fortune commence.

Un jour, dans son département,
D'Espagne, aimable et jeune,
Désire, et croit, imprudemment,
Qu'on annule le jeûne
De tous les enfans,
Dont les grands parens
Sont sortis de la France !
Et, sur ce bruit-là,
La pauvrette va
Courir nouvelle chance.

Bientôt d'un air simple et naïf
Notre illustre bergère,
S'avance au corps législatif,
Parle de son affaire :
« Le vôtre et le mien :
Rendez-moi mon bien !… »
Nous n'en voulons rien faire :
Car maître Abolin
Seroit un coquin !
Il est notre confrère[1].

Chacun alors se récria
Quelles lois ! Quel caprice !
Chacun alors s'épouvanta
D'une telle justice.
La première part,
On se la départ,
Et l'autre est un ôtage ;
La troisième, enfin,
Sera le butin
De plus fort, le plus sage.

  1. ^ Mademoiselle d'Espagne, saisie d'une indignation aussi juste qu'involontaire, en apprenant au Conseil des Cinq-Cents qu'elle ne rentreroit pas dans le bien de son père, soupçonné d'émigration, ni même dans celui de sa mère, morte depuis douze ans, ne put s'empêcher de s'écrier : vous êtes tous les complices d'Abolin… Cela est vrai