Puissances de l'Europe au tribunal de la vérité (Les)
Auteur(s)
Paratexte
Texte
Argument
La Renommée traverse l'Europe appelant les puissances au Temple de la Vérité où cette Déesse va assigner à chacune d'elles son rang. – Description rapide des différens États qu'elle voit dans sa course. – Après l'avoir terminée elle retourne au Temple pour entendre le décret qu'elle doit annoncer au Monde.
Au sein de mon repos soudain quels forts accens
Étonnent mon oreille et réveillent mes sens
Un grand événement sans doute se prépare.
Puisse-t-il transformer cet Univers barbare
Où le Crime est puissant, et la Vertu sans droits !
Ah ! C'est la Renommée : on entend ses cent voix.
« Puissances qu'à la gloire on vit toujours prétendre,
Dit-elle avec transport, hâtez-vous de vous rendre
Au temple où dans ce jour l'auguste Vérité
Va marquer votre rang à la postérité. »
Heureux événement ! Ne puis-je le décrire ?
Sans doute je le puis ; la Vérité m'inspire.
Renommée à l'instant je vole sur tes pas.
Puissai-je de ta voix imitant les éclats,
Fixer l'attention de l'Europe égarée !
Lui montrer les périls dont elle est entourée!
Puissai-je de ses maux démasquant les auteurs
L'arracher à leur joug suspendre ses fureurs
La bruyante Déesse en sa course rapide,
Dédaignant les climats où le néant préside ;
Où les peuples, plongés dans un sommeil de mort,
Sont sourds à la raison, abandonnant leur sort,
Fuit les bords africains s'éloigne de l'Asie :
Et sur le continent où la philosophie
Dès long-tems combattit l'erreur, l'orgueil cruel,
Elle fixe son vol en ce jour solemnel.
Là sa voix, dans un tems, proclama leurs conquêtes :
Là, dans d'autres, sa bouche annonça leurs défaites :
Là, sa voix célébra les vertus des héros,
Le triomphe des arts, les immortels travaux :
Là, de la Liberté conduite par la Gloire,
De nos jours on la vue exalter la victoire.
Elle se trouve alors sur l'empire puissant
De la Chine voisin, et rival du Croissant.
Qui reçoit le tribut des mers Hiperborées ;
Et de la vaste Europe égale les contrées.
Où Pierre, sur un trône élevé tout à coup,
Fit trembler ses voisins les menaça du joug :
Où sa main alluma la torche redoutable
Dont une femme altière, en un règne exécrable,
Embrasa tour à tour le Nord et l'Orient ;
Et qui semble devoir, en ce lustre effrayant,
Servant le cruel Paul dans sa rage effrénée,
Dévorer l'Univers, changer sa destinée.
La Déesse quittant ces funestes climats,
Et côtoyant le pôle ou règnent les frimats,
Paroît au même instant sur l'antique Baltie,
Où l'on vit autrefois haïr la tyrannie ;
D'où sortirent enfin des peuples indomptés
Qui vainqueurs des Romains, au sein de leurs cités
S'ouvrirent un chemin, y portèrent la guerre :
Où Charles et Gustave ont étonné la terre.
On l'entend sous le ciel par le Cimbre habité
Peuple jadis fameux, du Romain redouté.
À sa voix le Sarmate
Lui qui long-tems des rois sut repousser l'outrage,
Défendre ses voisins, frapper l'ambitieux ;
Lui qu'on vit de la Gloire enfant audacieux,
Entouré de tyrans, d'une main libre et fière,
Aux peuples asservis entr'ouvrir la carrière ;
Lui qui sut mériter l'amour de l'Univers,
S'agite en frémissant sous ses horribles fers.
Sur l'Albis
Et découvre l'État, naguère à sa naissance,
Dont un roi ferme et brave assura le destin :
Et que la Gloire appelle au sublime dessein
D'arracher à ses maux l'Europe déchirée,
En lui rendant la paix, des peuples désirée.
Planant sur le Rhénus, elle s'approche alors
Des lieux ou l'Océan vit reculer ses bords ;
Où l'on vit le travail que soutint la constance,
Opposer à ses flots une barrière immense :
Où le Batave heureux, à la gloire porté,
Illustra ses destins fonda sa liberté
Attaquée en tout tems, par lui toujours chérie.
Ses accens vont soudain remplir la Germanie ;
Cet immense pays où l'on vit autrefois
Des peuples valeureux et dignes de leurs droits
Repoussant les efforts des Romains redoutables,
Près de la Liberté se montrer indomptables ;
Et qu'on a vus depuis dans les champs des hasards,
Cimentant de leur sang le trône des Césars,
Oublier leurs destins et leur grandeur première,
Et sous un joug affreux courber leur tète altière.
Vers la fière Byzance elle prend son essor
Et voit ces champs fameux, où l'intrépide Hector
Disputa si long-tems le prix de la victoire
Aux plus vaillans guerriers que célèbre l'Histoire :
Où parurent bientôt de nouveaux conquérans :
Où régnèrent enfin les plus lâches sultans.
Tournant vers l'Hellespont, la véloce Déesse
S'avance au même instant sur le ciel de la Grèce
Où naquirent jadis les plus grands des mortels ;
Où de la Liberté brillèrent les autels ;
Où les arts triomphans dans le sein de la gloire,
Embellirent des jours si chers à la mémoire.
Le théâtre, depuis, des éclatans exploits
Qui mirent Alexandre au rang des plus grands rois ;
Sous un joug odieux en ces tems asservie.
L'Etna, que dans son sein la Sicile avilie
De bitume et de feux voit lancer des torrens,
De la divine voix rend les sons éclatans.
La Déité paroît sur ces rives fameuses
Qu'habitèrent long-tems des âmes belliqueuses ;
Un peuple qui parvint, par un brillant essor,
Au faite de la gloire, et maîtrisa le sort.
Où d'augustes mortels montrèrent leur sagesse :
Où l'austère Romain, vaincu par la foiblesse,
Dans un lâche transport plaça dans d'autres tems,
Au rang de ses héros les plus lâches tyrans :
Où le vice, l'erreur, le crime et l'ignorance,
Du Fanatisme altier fondèrent la puissance ;
Où dans ces jours enfin la fière Liberté
Rompit son joug sanglant, vengea l'humanité.
Bientôt loin de ces lieux où le Tibre se joue,
Au bout de l'Apennin on la voit sur Mantoue ;
Où naquit et brilla ce Cygne fortuné
Qui remplit de ses chants l'Univers étonné.
Le Toscan asservi la voit fuir son rivage
Et Milan, qui d'abord soustrait à l'esclavage
Aux mains de ses tyrans a remis ses destins,
Dans sa lâche apathie entend ses cris lointains.
Assise au sein des eaux la célèbre Apulée
Qui sembloit à la gloire en tout tems appelée ;
Qui comme un ferme appui regardant ses trésors,
Des rois usurpateurs méprisoit les efforts ;
Et qui sous les Césars vient de courber sa tête,
Apprend l'événement qui dans ce jour s'apprête ;
Mais sa gloire est éteinte, elle n'a plus de droits.
Les échos de ces monts témoins de mille exploits
Dont le fier Annibal, sur l'aile de l'audace,
Franchit les fronts couverts d'une éternelle glace ;
Et d'où prenant l'essor de l'orgueilleux Romain
On le vit menacer la gloire et le destin,
Répètent ses accens, les portent dans les plaines.
Aux bords liguriens ils vont étonner Gênes,
Cette cité superbe
Servit la Liberté, soutien de sa grandeur.
Ils résonnent soudain sur ces rives fécondes
Que le Pô, dans son cours, arrose de ses ondes :
Où tour à tour vingt rois portèrent leurs débats ;
Où maintenant la guerre enfante les combats
Du sein de l'Helvétie on entend la Déesse
De ces lieux renommés, où l'on vit la sagesse
Se montrer quand l'Europe encensoit la Fureur.
Où d'un Peuple opprimé l'intrépide valeur
Sut à la voix de Tell frapper la tyrannie,
Et d'un brillant laurier couronner sa patrie :
Où naguère il parut sous le joug écrasé ;
Où des tyrans le sceptre en ce jour est brisé.
La Renommée alors sur les Gaules s'élance,
Où brille ma patrie, où s'élève la France ;
Jadis l'heureux berceau de ces peuples fameux,
Dont Rome redouta les efforts belliqueux
Où de perfides rois, dirigés par l'audace,
Usurpèrent leurs droits, avilirent leur race :
Où l'on vit rallumer leur antique flambeau ;
Où la Vertu, les Arts, en un siècle nouveau,
Annoncèrent le jour de la Philosophie.
Où le Crime pâlit ; où d'une main hardie,
Le Français tout à coup, et libre et triomphant,
Du trône de ses rois brisa le fondement…
Ô France puisse-t-il ne jamais reparaître,
Et la vertu propice être enfin ton seul maître !
Sa voix, sur ces hauts monts, où de brillans lauriers
La Liberté couvrit le front de ses guerriers,
Tonne aussi-tôt et va réveiller l'Hibérie
Que Scipion jadis soumit sa patrie ;
Où le fier Asdrubal vit creuser son tombeau :
D'où Colomb s'élança vers un monde nouveau :
Où ce navigateur ramena l'opulence,
Soutien de la splendeur, fléau de la puissance.
De son frappant discours retentissent ces bords,
Où l'Inde tributaire envoya ses trésors
Où Camoëns, guidé par le zèle et la gloire,
Célébra de Gama l'audace et la victoire :
Et que l'on vit hélas ! en des jours malheureux,
Théâtre d'un fléau par ses effets fameux.
Traversant l'Océan et la triste Hibernie
Où règne en ce moment l'affreuse Tyrannie,
L'ardente Renommée élève enfin sa voix
Sur Londres où César jadis dicta des loix
Où pour la liberté dont il fut idolâtre,
Un peuple généreux sut périr et combattre :
Où l'Erreur des vertus renverse les autels :
Où, par un noble effort, de courageux mortels
Du préjugé fatal abaissant la barrière,
De la Raison au monde offrirent la lumière :
Où dans ces jours on voit, par un retour nouveau,
La main du Despotisme éteindre son flambeau.
Aux bornes de l'Europe où parvient la Déesse,
Elle arrête son vol ; ses clameurs elle cesse.
Bientôt, lui redonnant l'impétuosité,
Dans le Temple elle va prés de la Vérité,
Attendre le décret que sa bouche doit rendre,
Et qu'à tout l'Univers la sienne doit apprendre.
Argument
Les puissances entourées de leurs attributs se disposent à se rendre au Temple. – Les quatre ambitieuses, qu'on voit aujourd'hui coalisées, montent sur le nuage de l'Ambition. – La Politique se présentant à elles veut en vain les empêcher de suivre cette première : elle n'est point écoutée et l'Ambition triomphe. – Les puissances qu'elle entraîne se placent sous le nuage, portées sur les ailes de la Terreur ; tandis que les autres sur l'aile de la Prudence se rangent près du char de la Raison où se montrent la France et les Républiques ses alliées. – Choc du nuage et du char qu'il veut arrêter. – Le char se fait jour à travers et le devance. – Les Républiques entrent dans le Temple avec les puissances qui les suivent : il est aussitôt fermé ; et les ambitieuses restent sous le portique. – La Renommée annonce alors que la Vérité va prononcer son jugement.
Muse suspends ta course, et décris hardiment
Ce qu'on voit en tous lieux suivre l'étonnement.
Des puissances, courant disputer la victoire,
Esquisse enfin les traits, et leurs droits à la gloire.
Du Midi jusqu'à l'Ourse on les voit à la fois,
Briguer l'heureux laurier, prix des nobles exploits.
D'invoquer ses appuis chacune alors s'empresse ;
Et pour mieux attacher les yeux de la Déesse,
S'orne des attributs signes de sa grandeur.
Sur son front, où paroît une fausse splendeur,
Par la Stupidité, l'arrogante Russie
Voit poser un bandeau fait par la Tyrannie,
Où se lit, en moi seule est l'absolu pouvoir.
Devant elle l'Orgueil allume l'encensoir.
Le Despotisme enfin met dans sa main barbare
La chaîne où l'on a vu, par un accord bizarre,
Unir des chaînons d'or à des chaînons de fer
Et près d'elle s'assied ce monstre de l'enfer
Que d'un nuage épais entoure l'Ignorance.
Vers la Russie alors l'Angleterre s'avance.
Dans l'une de ses mains se montre le trident,
Qui soumit tour à tour le Gange et l'Occident ;
Que l'on vit maîtriser les mers les plus lointaines ;
Où ce Globe asservi voit aboutir ses chaînes
L'autre de la Discorde a ravi le flambeau,
Qu'on la voit agiter dans un transport nouveau.
Auprès d'elle, où pâlit l'insatiable Envie,
Répandant ses poisons, paroît la Calomnie ;
Et l'Avarice enfin, par qui l'humanité
A vu son nœud détruit, son sceptre ensanglanté.
L'Orgueil, qui l'anima, mit sur son diadème,
Reine des mers, je suis la maîtresse suprême.
L'Autriche que guidoit l'aigle altier des Césars,
D'un pas hardi s'avance et s'offre à leurs regards.
Elle tient dans sa main le poignard de la Rage :
On découvre à ses pieds le Démon du carnage,
Du sang qu'elle versa vomissant les torrens.
Elle voit sur ses pas vingt États impuissans
Qu'à son trône de fer enchaîna son audace,
Et que de son poignard sans cesse elle menace.
Le hideux Fanatisme est placé sous son dais ;
La lâche Perfidie y vante ses forfaits.
Après elle paroît l'indolente Turquie,
Que dirige l'Erreur, qu'encense la Folie.
Sur elle on aperçoit un glaive menaçant,
Par qui sera détruit sur son front le Croissant
Mais le bandeau fatal dont sa vue est couverte,
Le voile à ses regards, et lui cache sa perte.
Alors l'Ambition, qu'ont appelé leurs vœux,
Sur un sombre nuage apparoît à leurs yeux.
On entend leurs transports à l'aspect de leur guide.
Sur le nuage affreux, où la foudre réside,
Dans leur enthousiasme elles montent soudain,
Et sûres de leur gloire, exaltent leur destin.
À voler vers le Temple on voit la troupe prête,
Lorsque la Politique, et se montre et l'arrête.
« Eh quoi ! dit-elle enfin, en élevant sa voix :
Pourriez-vous, méprisant mes bienfaits et mes droits,
Refuser de marcher désormais sur mes traces,
Et près d'elle chercher la honte, et les disgrâces ?
Avez-vous oublié que secondant vos vœux,
Seule je vous sauvai dans le dédale affreux,
Où naguère à sa voix vous jeta l'imprudence,
Et que vous me devez vos droits, votre puissance ?
Si ma propice main n'eût sur tous vos forfaits,
Aux yeux des nations su mettre un voile épais,
Vous seriez dès long-tems rentrés dans la poussière !
La Vérité me craint ; j'obscurcis sa lumière :
De l'ardente Raison j'enchaîne les efforts ;
Et de la Gloire enfin je guide les ressorts.
De tout ce que je puis observez les exemples.
Mahomet à ma voix vit élever ses temples :
Il me dut son pouvoir et non à ses exploits.
Auguste ne devint le plus heureux des rois,
Que lorsque, repoussant l'Ambition perfide,
Il chercha mon soutien, et me prit pour son guide.
D'Henri qu'on exalta je gouvernai le cœur,
Et plus qu'à ses vertus il me dut sa grandeur.
De Pierre au fond du Nord je dirigeai la gloire :
Ma main lui préparant la plus belle victoire,
Abaissa devant lui l'écueil des Préjugés.
Si Rome sous son joug vit cent peuples rangés,
Et de l'Europe enfin naguère fut l'arbitre,
Elle me dut ses droits, son pouvoir, et son titre.
De ceux qu'elle guida contemplez les destins.
César, qui fut d'abord l'idole des Romains,
Périt comme un tyran, vit outrager sa gloire.
Charles, que sous le pôle éleva la Victoire
De ses brillans exploits eut, à la fin, pour prix
L'abandon de son peuple et même ses mépris.
Au char du fier Louis la Victoire enchaînée,
Annonça sa grandeur à l'Europe étonnée :
Bientôt il vit flétrir ses lauriers sur son front,
Détester ses travaux, et maudire son nom.
Le dernier des Louis n'eut un sort déplorable,
Que lorsqu'il dédaigna mon appui favorable.
Évitez ses malheurs en contemplant sa fin ;
L'Ambition vous garde un semblable destin. »
Ce Monstre alors réplique : « ennemi de la gloire
Fuis loin de nous, ce jour est fait pour la victoire.
Rompez de vils liens, et qu'un puissant effort
Vous ouvre un nouveau champ asservisse le sort.
Ma main aplanira devant vous la carrière ;
L'Audace abaissera pour vous toute barrière :
À vos pieds aussitôt pâliront vos rivaux ;
Et l'Univers dompté bénira vos travaux…
Et que sont ces mortels qu'enchaîna la Clémence,
Auprès de ces héros, enfans de ma puissance ?
Sans moi Rome auroit-elle élevé ses autels ?
Cyrus fut à ma voix le plus grand des mortels.
Vit-on borner enfin le destin d'Alexandre ?
Il acquit tous les droits où l'homme peut prétendre ;
À lui seul il montra ce que peut mon pouvoir.
Si le puissant Louis vit périr son espoir,
Charlemagne avant lui sut atteindre à la gloire,
Et son règne brillant frappe encor la mémoire.
La fière Catherine en marchant sur mes pas,
À son gré maîtrisa renversa les États :
Sans la Parque, qu'on vit l'arrêter dans sa course,
Elle eut mis sous son sceptre et l'Orient et l'Ourse…
Armez vous, foudroyez ; et si la Vérité
Vous refuse le prix de la postérité,
À vos pieds votre orgueil aura fixé la Terre.
Jupiter ne fut grand qu'en prenant le tonnerre. »
Les puissances, qu'anime un féroce transport,
S'écrient à l'envi : « Remplissons notre sort.
Sans voile à l'Univers montrons soudain nos têtes :
Sur les peuples altiers appelons les tempêtes ;
Sur leurs débris enfin montons vers la grandeur
À ces mots que dictoient la Haine et la Fureur,
Tel qu'un volcan affreux s'élève le nuage.
Des éclairs menaçans annoncent son passage
Et portent en tous lieux, l'épouvante et l'horreur.
La Suède, suivant les pas de la Terreur,
Avec le Portugal sons le volcan se range
Leurs yeux n'observent pas, aveuglement étrange !
Que ses foudres bientôt embraseront leur sein.
L'Espagne, qui d'abord oublia son destin
D'un vol majestueux au même instant s'avance
Sur l'aile qu'à sa voix lui tendit la Prudence.
De la Fidélité le sceptre est dans ses mains.
Son front porte ces mots, chers aux Républicains,
Je respecte le nœud qui m'attache à la France.
La Prusse à ses desseins attachant la constance,
Avec le Danemark se montre à ses côtés.
De ces mots, qui marquoient ses saints droits respectés,
L'Humanité couvrit leur double diadème ;
Nous avons dans la paix vu le bonheur suprême,
Le char de la Raison, ô spectacle frappant !
S'avance tout à coup aux regards présentant
Les puissances qu'on vit chères à la Nature.
La France dont la voix exalta sa loi pure ;
Qui brûle son encens devant la Liberté,
Dans le milieu du char s'offre avec majesté,
Et le sceau de la Paix est dans sa main chérie
À sa droite, le char présente l'Helvétie,
Qu'escortent la Franchise et la noble Équité :
À sa gauche le Zèle et la Sincérité,
Suivent la Batavie, en ses efforts constante :
Et l'Italie enfin, incertaine et tremblante,
Derrière elles, semblant méconnoître leur but,
Dédaigne leurs exploits sa gloire et son salut.
Le nuage orgueilleux qui remplit la carrière,
S'avance lentement, offrant une barrière
Au char qui des mortels emporte tous les vœux.
Il l'arrête un instant ; mais plus impétueux,
Le char en s'élançant à travers le nuage,
Dans ses flancs noirs pénètre, et s'y fait un passage.
La Raison irritée, ô prodige nouveau !
Sur les foudres qu'il porte attache son flambeau :
On les voit s'embraser ; et la Horde assassine,
Dont ces éclats affreux annoncent la ruine,
Les prend avec transport, dans son égarement,
Pour les signes certains d'un triomphe éclatant.
Le char de la Raison, qui le premier s'avance,
Du temple s'approchant, dans l'enceinte s'élance.
La Prudence le suit, et dépose en son sein
Les puissances qu'on vit dignes d'un tel destin.
Le nuage fatal au portique s'abaisse.
Les montres, que remplit une vive allégresse,
S'avancent en triomphe, et découvrent soudain
Une vaste barrière, offrant un mur d'airain,
Qui cache à leurs regards l'auguste sanctuaire,
Et que ne peut franchir leur ardeur téméraire.
Enfin nous parvenons à ce moment heureux,
Où l'Univers surpris, et transformant ses vœux,
Des puissances va voir la chute, ou la victoire,
Et ce qui peut fixer la véritable gloire.
Sur le faîte élevé de ce Temple éternel
Paroît la Renommée, et, d'un ton solemnel
Elle annonce aussi-tôt que la voix redoutable
Va prononcer l'arrêt qui doit être immuable.
Argument
Description du mont sur lequel est situé le Temple de la Vérité. – Monumens qu'on voit dans l'intérieur du Temple. – Description du trône de la Déesse. – Entrée dans le sanctuaire des Républiques et des puissances amies le la paix conduites par la Raison. – Les portes du Temple s'ouvrent. – Ordre donné aux puissances ambitieuses de n'en point franchir le seuil. – Discours où l'Angleterre fait son apologie et celle de ses alliés. – Réponse foudroyante de la Vérité, où elle développe la fausseté de leurs droits leur perfidie et prédit leur chute et leur opprobre. – Elle montre aux puissances qui les suivent l'abîme où elles vont se précipiter. – Son discours à la France en lui accordant le prix et la leçon qu'elle lui donne. – Ses conseils aux puissances libres et neutres ; enfin son appel à la Terre entière. – Rage des puissances ambitieuses et leurs menaces. – La France avec ses alliés les bravent, et s'éloignent sur le char de la Gloire. – La Renommée annonce à l'Univers le résultat de cet événement.
Du Temple où la Vertu, seule digne du prix,
De ses nobles travaux doit recueillir les fruits,
Où par la Vérité ma Muse soutenue,
À travers les écueils est enfin parvenue,
Esquissons le tableau : montrons le sur ce mont
Dont un nuage obscur couvre le vaste front,
Et qu'on voit entouré d'horribles précipices,
Creusés par l'ignorance et par la main des Vices.
Un seul sentier étroit, escarpé, raboteux,
Conduit à son sommet le mortel courageux,
Qui, bravant tout danger, prend la Raison pour guide.
À peine a-t-on franchi cet espace rapide,
Qu'il n'est plus de périls ; c'est un nouveau séjour,
Où de la sombre nuit on passe au plus beau jour.
Là de rians tableaux se montrent à la vue.
Dans le lointain un mont d'une immense étendue,
Qui touche à l'Empirée où s'offre la splendeur,
Découvre à l'œil surpris le Temple du Bonheur.
Une route facile et de roses semée,
Où le sage est conduit par la Vertu charmée,
Y mène de ces lieux et montre l'heureux port.
La Vérité peut seule en permettre l'abord ;
Il n'y paroît que ceux qu'elle admet dans son Temple.
On vit peu de mortels, ô déplorable exemple !
Pénétrer dans son sein obtenir ses bienfaits.
Ah ! Proclamons les noms de ceux dont les hauts faits,
Méritèrent le prix, servirent la sagesse !
Ces colonnes déjà me montrent de la Grèce
Les monumens sacrés, les signes glorieux.
Lycurgue avec Solon parvinrent en ces lieux
J'y vois leurs noms je vois la coupe dont Socrate
Vit payer ses bienfaits par sa patrie ingrate ;
Le flambeau de Platon et de Léonidas
Qui sauva son pays par un heureux trépas
Le bouclier fameux, l'épée étincelante
Plus loin de Rome libre et toujours triomphante
Les faisceaux redoutés se montrant suspendus :
Et le glaive sanglant, dont l'austère Brutus
Dans un noble transport vengea Rome asservie ;
Et le poignard enfin, qu'en pleurant sa patrie,
Qu'il ne put voir livrée au plus affreux destin,
Le vertueux Caton sut plonger dans son sein
Mais quel nouveau trophée aux regards se présente ?
C'est de l'illustre Tell
Et le cor si vante dont les sons triomphans
Annoncèrent des jours funestes aux tyrans.
Quels sont enfin ces noms qu'un sombre voile couvre
Soulevons : Barnevelt à mes yeux se découvre
Auprès de ce martyr cher à la liberté,
Sidney je vois ton nom à jamais respecté
Quittons ces noirs tableaux qui rappellent les crimes.
Mortels que de vertus ! Tyrans que de victimes !
Le sanctuaire s'ouvre : ô le pompeux aspect !
Je m'arrête, rempli de trouble et de respect.
Oserai-je fixer mes yeux sur la Déesse ?
Dépeindre de son front la splendeur, la noblesse ?
Montrons ses attributs, l'effort est assez grand.
Son trône dont la base est le dur diamant,
Se présente entouré par la Philosophie,
Cette fille du ciel qui d'un baume de vie
Remplit nos cœurs flétris, et les rend au bonheur :
Par l'austère Équité, dont l'heureuse rigueur
Fait cesser des mortels les débats sanguinaires ;
Et par l'Humanité, qui des droits de nos frères
Nous vante le pouvoir, resserre nos liens,
Et nous découvre enfin la source des vrais biens.
Du trône qui paroît le foyer de lumière,
Partent ces vifs rayons, qui, dans la Terre entière,
Ont guidé dès long-tems les sages, les héros.
Arrêtons ; d'autres traits appellent nos pinceaux.
La Raison conduisant la glorieuse France,
Auprès du brillant dais en ce moment s'avance.
Les libres Alliés paroissent sur ses pas.
Les puissances qu'on vit renoncer aux combats ;
Et celle avec la France aux despotes contraire,
Pénètrent à leur tour an sein du sanctuaire.
Alors la Vérité se soulève, et soudain
S'abaisse avec éclat le fier rempart d'airain.
Les puissances qu'entraîne un audacieux guide,
Vont montrer dans le Temple un aspect homicide ;
Mais une voix terrible enchaîne leur transport.
« Cessez, cessez, dit-elle, un téméraire effort ;
Et redoutez plutôt le jour qui va vous luire. »
L'Angleterre, d'un ton que l'arrogance inspire,
S'écrie au même instant : « N'avons-nous pas des droits
Par la gloire établis, fondés sur nos exploits ?
Contemplez les effets nés de notre puissance.
Dans mes travaux divers montrant ma bienfaisance,
Sur les deux continens que je sus tout à coup
Ranger sous mon trident, et courber sous mon joug,
On me vit transformer des nations barbares,
Leur faire aimer les lois, changer leurs mœurs bizarres :
Sur ce vaste théâtre où parut ma grandeur,
J'ai par-tout fait couler les sources du bonheur.
L'Europe, où dès long-tems j'ai fixé l'opulence,
Me voit dans ses États répandre l'abondance ;
Et lui servant de guide en ces tems incertains,
Conserver sa splendeur, et sauver ses destins.
Fut-il une puissance, en sa plus haute gloire,
Qui sut au but commun diriger la victoire ?
De mon ambition tel est l'heureux exploit.
En vain de fiers rivaux méconnoissent ce droit :
L'avenir bénira le nom de l'Angleterre ;
En moi verra la gloire et l'appui de la Terre.
À l'illustre Russie est dû le second rang.
Cette heureuse puissance à peine hors du néant,
De ses voisins divers sut effacer la gloire,
Et la splendeur du Nord naquit de sa victoire.
En ce jour, partageant mes généreux exploits,
Avec moi de l'Europe elle défend les droits.
Elle y veut rétablir la paix et l'harmonie,
En frappant au berceau la farouche Anarchie ;
Que bientôt on verroit embraser les États,
Éterniser le trouble et les sanglans débats.
Vois son ambition, en tout tems bienfaisante,
Et mets le beau laurier dans sa main triomphante.
L'Autriche qui rendit cinq siècles glorieux
Fixe de l'Univers, et l'estime et les vœux.
Dans ses vastes travaux on a vu sa constance.
On la vit, unissant le zèle à la prudence,
Pour la Religion nécessaire aux mortels,
S'armer et soutenir mille combats cruels :
Elle maîtrise enfin des voisins redoutables
De l'ordre et de la paix ennemis implacables.
Ses exploits sont pompeux et ses titres puissans :
De la gloire après nous qu'elle obtienne l'encens !
Celle qu'on vit mille ans du Nil jusqu'au Bosphore,
Étendre son pouvoir qu'elle agrandit encore ;
Qui sous son joug heureux au barbare Orient
Amena le repos et le bonheur constant ;
Et qui cherche avec nous une illustre victoire,
Mérite tes faveurs, a des droits à la gloire.
De celles, qui comme elle embrassent nos desseins,
Noble et suprême arbitre élève les destins ;
Et place au dernier rang ces fières Républiques,
Qu'on voit, méconnoissant les puissances antiques,
Dans leur délire affreux attenter à leurs droits,
Enfantés par le ciel reconnus par ses lois ;
Et qui rompant les fers du propice esclavage,
Vont livrer l'Univers aux troubles au carnage.
Toujours l'indépendance excita la fureur.
Montre aux peuples l'effet de leur funeste ardeur :
Montre la royauté favorable à la Terre ;
Et de leurs mains enfin arrache le tonnerre. »
L'Angleterre se tait : soudain la Vérité
Dit, en montrant un front plein de sévérité :
« C'est vous profanateurs des lois les plus augustes,
Vous bourreaux des humains, vous puissances injustes,
Qui pensez obtenir l'inestimable prix,
Que la gloire dispense, à la vertu promis ?
Et quels titres affreux portent vos mains perfides ?
De votre histoire, ô ciel ! Les pages homicides !
Vous osez appeler monumens de grandeur,
Les fers qu'à votre voix a forgés la Fureur,
Et dont vous écrasez et l'Europe et la Terre ?
Du voile de la paix couvrant l'horrible guerre,
Et colorant ici ses plus noirs attentats,
En elle vous montrez l'égide des États ?
Vous osez, outrageant la noble Indépendance,
À l'esclavage affreux unir la bienfaisance ?
Comme un propice dieu vous présentez l'Erreur ?
C'en est trop ! Frémissez ! Il s'élève un vengeur.
Juste Postérité, dont la main redoutable
Démasque l'imposteur, punit l'homme coupable,
Du sceau de l'infamie empreins leurs fronts hideux :
Brise de leurs fureurs les monumens affreux ;
Trace tous leurs forfaits par la main de l'Histoire ;
À l'exécration livre enfin leur mémoire.
Craignez un pareil sort, ô vous que la Terreur
Entraîne en ce moment dans un sentier trompeur !
Aux périls les plus grands vous exposez vos têtes.
Voyez autour de vous se former des tempêtes :
Contemplez ces volcans, où les ambitieux
Croient braver en vain et la Terre, et les cieux,
Bientôt ils ouvriront sous leurs pieds des abîmes,
L'opprobre et le néant seront le prix des crimes. »
Vers celles que l'on vit, par d'augustes exploits,
Moissonner l'olivier protecteur de leurs droits,
Elle tourne aussi-tôt un regard favorable.
« Ô vous qui, méprisant leur projet exécrable,
Et découvrant le piège où vous guidoient leurs pas,
Avez fui la carrière où naissent les débats,
Conservez à jamais votre nouveau système.
La Prudence et la Paix de la grandeur suprême
Vous ouvriront alors les glorieux chemins ;
Alors au second rang brilleront vos destins.
Méritez ces beaux droits et restez dans mon Temple
Je vais à vos regards offrir un grand exemple. »
Sous un voile qui s'ouvre, un trône radieux
Auprès de la Déesse alors frappe les yeux.
Il est environné par la palme immortelle ;
La France enfin s'y montre : on découvre autour d'elle
Ses libres alliés, partageant sa splendeur.
La Vérité soudain, proclamant sa grandeur,
Lui dit : « Reçois le prix, ô France fortunée !
Seule tu méritas l'auguste destinée,
Seule des préjugés ennemis des mortels,
Tu sus rompre le joug, renverser les autels ;
Seule tu rétablis la propice maxime,
Qui dans le vœu de tous met le droit légitime :
Seule tu sus enfin, couronnant tes exploits,
Venger les nations, et reprendre tes droits.
Du rang où t'éleva ta célèbre victoire,
Observe les devoirs que t'impose la Gloire.
Tu n'atteindras au but où t'attend le bonheur,
Qu'en marchant d'un pas ferme, et redoublant d'ardeur.
Des ennemis nombreux s'opposent à ton zèle.
Écarte l'Anarchie, en ses projets cruelle,
Qui de la Liberté voila le plus beau jour.
Que de toi l'Égoïsme éloigné sans retour,
Lui qui des seuls tyrans doit guider l'âme impure,
Dans ton sein laisse agir les lois de la Nature.
L'Avarice surtout menace tes destins.
Ah ! Ferme lui ton cœur ; son bras loin des humains
Chasse l'Humanité repousse la Justice.
Crains le Luxe perfide ; il affermit le Vice.
L'Ambition te montre un appât séducteur
Méprise-le ; connois où tendroit ton erreur.
En montrant à tes yeux le sceptre de la Terre,
Elle veut t'entraîner sur les pas de la Guerre,
Et tarir par ses mains le sang de tes enfans.
Borne tes vœux alors tes droits seront puissans…
Eh quoi ! Lorsqu'en frappant la lâche tyrannie,
Le redoutable Orgueil, le Fanatisme impie,
Ta main sut maîtriser tes plus grands ennemis,
Ceux qu'on voit te braver ne seroient point soumis ?
Ils céderont bientôt, poursuis avec constance.
Du voile qui répand sur les yeux l'Ignorance
Soulève tous les plis ; fais briller mon flambeau :
Ramène avec la Paix un jour pur et nouveau ;
Alors au sein des Arts, du Bonheur, de la Gloire,
Tu verras tes destins fixés par ta victoire.
Et vous qui la suivant pleins d'une noble ardeur,
Avez cueilli des fruits au champ de la Grandeur,
Des vertus avec elle ouvrez le sanctuaire.
Que le nœud qui vous joint en ce jour se resserre :
Alors s'affermiront vos travaux fortunés ;
Et vos destins enfin ne seront plus bornés…
Mais le pacte se rompt : je te vois, Italie,
Préférer au laurier les fers et l'infamie ;
Et la fureur encor s'emparer de ton sein.
Ô Terre ! Par ma voix entend l'arrêt divin :
Connois de la grandeur le signe ineffaçable ;
Et brise avec éclat la chaîne qui t'accable. »
Le Temple retentit des glorieux accens.
Sur son seuil profane d'affreux rugissemens
Annoncent les transports des enfans de la Rage.
On les entend soudain, appelant le carnage,
Jurer de se Venger dans le sang des mortels,
Et des Vertus, partout, d'abattre les autels.
La France, qu'enhardit leur fureur menaçante,
Tenant avec les siens la palme triomphante
Monte au char de la Gloire asservie à ses lois.
Alors, la devançant, la Déesse aux cent voix
Annonce à l'Univers l'abaissement du Crime,
Et le triomphe enfin du pouvoir légitime.