Républicains de la Section du Panthéon français aux mânes de Michel Lepeletier (Les)

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Paratexte

Épode à réciter près du tombeau de ce grand homme, au Panthéon

Purpureos spargam flores, animamque parentis
His saltem accumulem donis, et fungar amico Munere.

(Que je couvre sa tombe de fleurs, que j'offre au moins ce tribut à la mémoire d'un père,
et que je m'acquitte d'un devoir bien cher à mon cœur.)

Texte

Illustre fléau des tyrans,
Des tyrans illustre victime,
Ô toi, dont le cœur magnanime
Sut s'affranchir, avant le tems,
De ces préjugés, trop puissans,
Qu'au Panthéon du fanatisme
Perpétuait le despotisme,
Dans ce temple élevé sur ses trônes croulans ;
Où la raison te déifie,
Lepeletier, martyr de la Patrie,
Reçois nos vœux et nos sermens !

Sur ton cercueil inondé de nos larmes,
Nous jurâmes la mort de ton lâche assassin[1] ;
Il n'est plus ! Nous jurons, et ce n'est point en vain,
Nous jurons de plonger nos armes
Dans le sein des bourreaux qui conduisaient sa main.

Mais que t'a fait sa barbarie ?
Tu meurs pour ton pays et pour la liberté,
Tu meurs content, le terme de la vieillesse
Est pour toi le signal de l'immortalité.

Quel supplice, à la fois, quel triomphe s'apprête !
De Louis, ce grand criminel,
Quand la loi fait tomber la tête,
La loi te consacre un autel.
Eh ! Si ta perte irréparable
Ne causait d'éternels regrets,
Si l'on ne comptait les bienfaits
Dont nous ravit l'espoir cette fin déplorable ;
Quel Français, après tout, n'est jaloux de ton sort ?
La plus belle existence est le prix de ta mort.
De l'avare Alecto quelque soit la furie,
Ce n'est point cesser d'exister,
Que de mourir pour la Patrie.

De ta présence oserait-on douter ?
Dans tes écrits vit ta sagesse,
L'école y découvre un trésor[2],
La jeunesse y voit un mentor,
Et les dignes rivaux des Solons de la Grèce
De nos Solons-Brutus y trouvent le Nestor.

Non, la mort n'a pu te détruire,
Dans l'ombre vainement elle a porté ses coups,
Ta grande âme, ta voix, tout Peletier respire,
Il respire encor parmi nous.

Que nos David, nos Praxitèle
Sur l'airain, sur la toile éternisent tes traits,
C'est dans nos cœurs qu'ils prendront leur modèle,
C'est là qu'est tout entier ce Décius français.

Illusion, trop ingrate chimère !
Ah ! Tu ne trompes qu'à demi,
Sur un beau songe en vain ton trône est affermi,
Quand nous perdons un défenseur, un père,
Quand le peuple perd son ami.

Cependant, au milieu de ce terrible orage
Qui de la République agite le vaisseau,
Sur cette mer, hélas ! Si fertile en nauvrage,
Il peut encor du moins nous servir de flambeau,
Et nous guider vers cet heureux rivage
Où de tous les tyrans se creuse le tombeau.

Père d'un peuple libre, et d'un monde nouveau,
Lepeletier, veille sur ton ouvrage !
À longs flots, les rois conjurés
Sur nos bords vomissent leur rage,
Glace les bras désespérés
De cette horde anthropophage !
Aux horreurs de la faim que ces monstres livrés
Dans la fange et le sang, dans l'opprobre expirés,
Couvrent de leur cadavre une plaine stérile,
Et que leur phalange servile
De satellites égarés
Ne retrouvent par-tout que Jemappes, que Lille !
Que dis-je ? De leur chef, ce dernier de nos rois,
Législateur, tu votas le supplice,
Dieu, frappe ! Sous le fer des loix,
De tous ses pareils à la fois,
Que la race infâme périsse !

Trop de mortels sont encore enchaînés ;
De tous les brigands couronnés
Il est tems de purger la Terre ;
À l'échafaud qu'ils soient traînés,
Et que leurs corps empoisonnés
Dans un cercueil de feu soient réduits en poussière !

Est-il vrai ? Le sang des Français
Du Vatican inonde le portique !
Il ruiselle dans Rome, au nom d'un Dieu de paix,
Sous le couteau d'un prêtre fanatique !

De quel front les Brutus, les Coclès, les Catons
Ont-ils vu de leurs fils cette horde stupide,
Misérable instrument des crimes d'un druide,
De Brennus égorger les dignes rejetons !
Ils seront punis, nous partons.
Un cruel combat se prépare,
Avec nous, Peletier ! Accours, venge nos droits !
Basseville expirant te parle par ma voix,
Victime, comme toi, d'un assassin barbare,
Comme toi, de son sang il a scellé nos loix.
Va ! Que pour la dernière fois,
Ce peuple esclave, qu'on égare,
Soit reconquis par le Gaulois,
Que, pour tout fruit de nos exploits,
Le civique bonnet remplace la thiare !

N'imite point des dieux l'ingrate oisiveté ;
Aux nouveaux Busiris montre un nouvel Alcide ;
Montre un Dieu citoyen, un Dieu tyrannicide !
Laisse du moine obscur, par des moines fêté,
Dormir sur un autel la sainte nullité !
Conserve parmi nous paix et fraternité ;
Qu'au Sénat ton ombre préside,
Propage de nos loix le code respecté,
Et qu'à ta voix le monde enfin ressuscité
Vienne y puiser l'horreur d'un despote homicide
Et l'amour de l'égalité !

Serait-ce une vaine espérance
Que cette résurrection ?
Des fils d'Albion
L'étendard s'avance,
La foudre s'élance,
Leur ambition,
Sur les mers errante,
Sème l'épouvante,
La mort, les débris,
Ranime et fomente
La ligue expirante
Des soudans proscrits.
Pour qui ces flots de sang, ces combats, ce ravage,
Ces fratricides, ce carnage ?
De leurs fers, se peut-il ! D'aveugles défenseurs
S'armer pour un tyran contre leurs rédempteurs,
Que dis-je ? Nous donner un maître !
Quoi ! D'un nouveau tyran peut-être
Le Temple serait le berceau !
Le Temple serait son tombeau.

Reconnais ta folie extrême
Peuple seul souverain ! Ce roi,
Ce monstre enorgueilli de ton pouvoir suprême,
Ce tigre qui te fait la loi,
Insensé ! N'est-ce point ton ouvrage, toi-même ?
C'est par toi qu'il naquit, par toi qu'il vit encor,
Par toi qu'il boit ton sang, qu'il dévore ton or ;
Du fruit de tes sueurs il nourrit sa molesse ;
Tes erreurs font ses droits, tes lauriers sa noblesse ;
Tes filles son sérail, tes dépouilles son bien,
Sans lui le peuple est tout, sans le peuple il n'est rien.

Où suis-je ? Quelle voix vient de se faire entendre !
Voyez-vous tressaillir ces divins ossemens ?
Est-ce toi, Peletier !… Écoutons ses accens !
C'est un oracle qu'il va rendre.

« Rassure-toi, Français ! Digne républicain ;
Ton sort, du monde entier le sort est dans ta main ;
Contre toi vainement tous les tyrans s'unissent,
Les bras, qu'ils ont armés, sur eux s'appesantissent ;
Leur chute est le signal d'une éternelle paix ;
La terre et l'océan, remplis de tes succès,
Vont demander tes loix ; sous les deux hémisphères,
La liberté conçoit un seul peuple de frères. »

Tuteur des nations, dont tu scellas les droits
D'un sang qui crie encor vengeance, mort des rois !
Dans nos cœurs ce présage était gravé d'avance ;
Mais cet oracle, enfin, notre unique espérance,
Le seul prix des lauriers, que nos mains vont cueillir,
C'est à toi de hâter l'instant de l'accomplir.

Ô toi, nouveau Caton, généreux Beaurepaire,
Dont la cendre, à l'aspect du sanglant Peletier,
Sembla se ranimer, pour se glorifier
De ton exemple salutaire,
Seconde son bras tutélaire,
Secondez nos efforts, grands dieux ! Au même instant,
Tous les tyrans détruits rentrent dans le néant.

                                                                                                   

À la Citoyenne Suzanne Lepeletier

Rejeton généreux d'un si vertueux père !
Cessez enfin, cessez vos pleurs ;
Cet immortel objet de vos chères douleurs,
Vous le retrouvez dans un frère,
Nous le retrouvons dans vos cœurs.

En vous revit sa bienfaisance[3],
Son amour pour l'humanité,
En vous l'indigent adopté
Croit reconnaître sa présence.

D'une double reconnaissance
Comment le saint tribut sera-t-il acquitté ?
Le vœu du pauvre, un cœur, seuls biens en sa puissance,
Voilà son Panthéon ! Vous y régner d'avance,
Digne fille d'un père à jamais regretté ;
Qu'un siècle de beaux jours soit votre récompense,
Vivez pour la félicité
Et pour l'exemple de la France !

  1. ^ L'assemblée générale permanente de la Section du Panthéon français, après avoir entendu le rapport de ses commissaires envoyés à la Société des amis de la liberté et de l'égalité, séante aux Jacobins, annonçant la mort de Michel Lepeletier à une heure du matin, et le serment qu'a fait la Société de le venger, arrête à l'unanimité qu'elle adhère à ce serment, qu'elle jure de punir l'infâme assassin et tous ses complices, par toutes les voies légales et légitimes.Extrait du registre des délibérations de la Section du Panthéon français, séance de la nuit du 20 au 21 janvier 1793, l'an deuxième de la République française, signés, Demanson, vice-président, Sérieys, secrétaire.
  2. ^ Michel Lepeletier a laissé sur l'instruction publique un ouvrage, qu'il appellait son enfant chéri ; le 22 février le Citoyen Félix Lepeletier, son frère, en a fait hommage à la Convention nationale, et lui a demandé la permission de lire cet écrit, quand l'ordre du jour appellerait cette partie de législation si importante ; sa demande est convertie en motion par un membre de l'assemblée ; décrétée.
  3. ^ Le 26 janvier, la Citoyenne Suzanne Lepeletier, digne fille d'un père si recommandable par sa bienfaisance, a fait remettre à l'assemblée générale de la Section du Panthéon français, la somme de mille livres pour le soulagement des pauvres de la Section.
 
 

Sources

BNF, 8 Ye 4414.