Seconde méditation - Inutilité des prêtres

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Point de religion sans un culte ; peut-être
Vous allez ajouter point de culte sans prêtre,
Et vous en tirerez cette conclusion
Que sans prêtre un peuple sans religion :
Faute de traitement la prêtrise est flambée,
Et de là vous jugez la nation athée,
La République impie, et, sans les prêtres, Dieu
N'y pourra, selon vous, trouver ni feu, ni lieu.
Mes pauvres raisonneurs, amis du sacerdoce
Votre conclusion à mon avis est fausse.

Discutons de sens froid, et sur tout point d'humeur
Je accorderay que cette vieille erreur
Aux crédules mortels fut jadis enseignée,
Dans maint et maint écrit je la vois consignée
Mais toujours par un prêtre, et son premier auteur
Autre prêtre, à coup sûr, étoit un imposteur
Qui ne parloit ainsi que pour son avantage ;
Toujours penser à soi des prêtres fut l'usage.

Car, distinguons d'abord le culte extérieur
D'avec le culte pur qui part du fond du cœur.
Sans doute, celuy-ci plaît à l'Être suprême ;
Mais contre le premier je prononce anathème.
C'est le plus grand fléau de la société,
S'il est un diable, il fut par le diable inventé.

Au culte intérieur le prêtre est inutile,
Mais pour l'extérieur il en faudra cent mille,
Certes je ne crois pas avoir mal calculé,
Cette engeance par tout n'a que trop pullulé.

Or pour honorer Dieu loin d'être nécessaire
Le prêtre fut toujours à Dieu même contraire.
À nos yeux il l'a peint capricieux, méchant,
Cruel, prenant plaisir à voir couler le sang,
Ordonnant le massacre et commandant les crimes,
Des pères exigeant les enfants pour victimes,
Du fruit de leurs travaux dépoüillant les mortels,
Pour satisfaire au luxe, au faste des autels.
Sainte religion ! Tu nous sera rendue,
Car nous ne voulons plus du prêtre qui te tue,
Qui ne parle de Dieu que pour nous allarmer,
Nous le croions aimable et nous voulons l'aimer.
Au dedans de nos cœurs sa loi précise et claire
Ne nous impose rien que nous ne puissions faire ;
Si nous sommes toujours justes et bienfaisants
Nous aurons accompli tous ses commandements.
Écartons loin de nous le scandaleux grimoire
De ces mistères vains qu'on s'imagine croire
Lorsqu'on a penser qu'en fermant les deux yeux
Vis-à-vis d'un objet on le distingue mieux.
De l'oeuil de la raison le prêtre se défie
Par la foi seule il veut que tout se vérifie,
Et s'étant fait un art d'en imposer aux sots
Il a pour cet objet ses phrases et ses mots,
Prononce-t-il ceux-ci, mistères inéfables,
Ou peut-être assuré qu'il débite des fables.

Croit-on avoir besoin de l'expiation
Le prêtre en est toujours, il faut rémission
Il absout à son gré de la plus grave offense.
De l'être tout puissant j'admets bien la clémence,
Je l'implore pour moy, mais je crois l'obtenir
Sans qu'un envieux prêtre ait droit d'intervenir.
Le prêtre accomodant vous donne des dispenses,
Il promet, il accorde, il vend des indulgences,
Il sçait vous attirer au confessional,
C'est tantôt son boudoir, tantôt son tribunal,
Et c'est là, bien souvent, que des vierges crédules
Contraintes d'avouer leurs soupçons, leurs scrupules,
Au pied de l'hypocrite apprirent, comme on dit,
Le merveilleux secret de trouver de l'esprit.
En tout tems, en tous lieux, même dans tous les cultes,
Les prêtres s'emparant de l'esprit des adultes,
Ont sçu par des moyens qui d'eux seuls sont connus,
Sur la crédulité fonder leurs revenus.
Ils se disent de Dieu les lieutenants sur terre,
Le pontife romain s'appelle son vicaire.

D'où viennent tant d'abus ? Du culte dépravé
Par le prêtre, et public au lieu d'être privé.
Dieu n'eut jamais besoin d'autel, de sacrifice,
Il est de sa nature, à tout être propice,
Il nous a créés tous, adressons-nous à luy,
Nous pouvons l'invoquer sans le secours d'autruy.
Il nous voit, nous entend, pénètre nos pensées,
Par luy-même sur nous ses faveurs sont versées,
Et le prêtre qui veut s'en dire l'instrument,
Comme ayant de Dieu même une mission, ment.
Un mensonge pareil a fait croire aux miracles,
Et le tout pour combler et de biens et d'honneurs,
De ces fraudes, messieurs les prêtres, inventeurs.
Un mensonge pareil a surchargé le monde
De moines fainéans, cette vermine immonde
De bonzes, de santons, calenders, caloyers,
Carmes, dominicains, bernardins, cordeliers ;
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome
Le prêtre au nom de Dieu fut l'ennemi de l'homme.
Heureuse cent fois plus qu'on ne peut le penser,
Sera la nation qui sçaura s'en passer ;
Au pouvoir éternel rendant un pur hommage
Elle conservera son gouvernement sage,
Elle restera libre à l'abri de ses loix
Elle triomphera de la fureur des rois.

C'est le vœu d'un vieillard plus que sexagénaire
À qui dans tous les tems la liberté fut chère,
Détestant les tirans, prêchant l'égalité,
Prêt à sacrifier tout pour la vérité.
Fermement convaincu qu'il est impolitique
De souffrir un clergé dans notre République
Je dénonce le corps, et dans l'individu
Quand je la reconnois, j'honore la vertu ;
Parmi les prêtres sont quelques-uns que j'estime,
L'habit seul à mes yeux ne fit jamais le crime,
Mais l'individu même, étant membre d'un corps
Qui sçait à son profit diriger ses ressorts
Quand même à nous tromper il seroit moins habile
Est pourtant dangereux, et toujours inutile.

 
 

Sources

AN, F17 1009A/1.