Siècle (Le)
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Paratexte
Travaillez sans crainte, et faites tant de honte
au vice, qu'il ne reste que la vertu en France.
Anne d'Autriche, à un libraire de Paris,
Voyez l'Encyclop., art. Louis XIV, édition
in-4°, MDCCLXXX.
Texte
Une charte nouvelle amène un nouvel âge.
Du bonheur aux Français elle offre le présage.
Le héros qu'au pouvoir appeloient tous les cœurs
Veille au poste où dormoient nos tristes directeurs ;
Et, du rang où la gloire est maintenant assise,
Il a fait avec eux descendre la sottise.
Des hommes dont naguère on craignoit les talens,
Secondent au conseil ses regards vigilans ;
Mais, quoique leurs travaux nous donnent d'espérance,
Qu'il leur faudra d'efforts pour relever la France !
Le siècle est à son terme ; ô souvenir affreux !
Qu'il a roulé de fange, en son cours ténébreux !
Il vécut pour l'opprobre ; et sa triste existence
Ne parût qu'une vile et longue décadence.
Du siècle précédent ô fils dégénéré !
Sans doute, au Champ-de-Mars, un moment illustré,
Du héros de Hochstet il vit la main guerrière,
Sous les murs de Denain, renverser l'aigle altière
Et Saxe, de nos bords devenu le rempart
Briser, à Fontenoi, l'orgueil du léopard :
Sans doute, il vit encor, dans la guerre où nous sommes,
Tous nos jeunes soldats, conduits par de grands hommes,
Affrontant la fatigue et la soif et la faim,
Assujettir l'Escaut, l'Eridan et le Rhin ;
Et, de lointaines mers prompts à franchir les ondes,
Conquérir les cités que le Nil rend fécondes
Mais ce pompeux éclat ne brillait qu'au dehors.
Au dedans, s'éteignaient nos mœurs et nos trésors.
Siècle, remonterai-je aux jours de la naissance ?
Un roi dont la grandeur fit l'orgueil de la France,
Foible, vieux, s'épuisoit et de sujets et d'or.
Il légua des malheurs que l'on ressent encor.
D'Orléans, après lui, saisit le rang suprême :
Ce régent, ses mignons, et Lass et son système
Des générations dévorèrent l'espoir.
Cette Cour rassemblait, sous un honteux pouvoir,
Le vice souriant, la pauvreté splendide,
La bassesse orgueilleuse et la grandeur sordide.
Le Français abjura sa douce urbanité ;
La débauche bannit l'aimable volupté ;
De vils jeux tarissoient la fortune publique.
Enfin parût ce monstre, au regard famélique
Que le luxe des grands à sa suite conduit :
Il vint, de nos sueurs recueillant tout le fruit,
D'un peuple malheureux achever la détresse ;
Et lui laissa des pleurs pour sa seule richesse.
À ce vil d'Orléans succède un jeune roi :
L'espoir, dans tous les cœurs, a dissipé l'effroi.
À semer des bienfaits consacrant sa puissance,
Louis devient l'amour d'un peuple qui l'encense.
Mais bientôt les plaisirs ont égaré son cœur.
Ce prince, s'endormant dans sa molle langueur,
De l'État mieux régi par des mains souveraines,
Aux mains de Pompadour abandonne les rênes :
Plus de roi ; d'une femme on suit la volonté.
Du prince et des sujets souillant la dignité,
Les ministres, les grands viennent, sans résistance,
Peser, dans un boudoir, les destins de la France.
Du sein des voluptés, Pompadour, aux emplois,
Porte des magistrats qui font mentir les lois ;
Enfin, pour généraux, elle donne à l'armée
Des flatteurs sans vertu, comme sans renommée
Qui, faisant oublier l'éclat de nos succès,
Dégradent au combat l'honneur du nom Français.
Elle meurt : Du Barri, c'est toi qui la remplaces !
Toi qui, trop étrangère à l'amour, comme aux grâces,
Offrais au peuple entier le scandaleux aspect
De plaisirs sans pudeur et de goûts sans respect ;
Et, sachant ménager tes caresses vénales,
Pour garder ton amant, te cherchais des rivales
Le vice, par degrés, infecte tous les rangs.
La nation, d'excès dispute avec les grands.
La morale reçoit une atteinte nouvelle :
Terrai qu'au ministère une Lays appelle,
Trompant la foi publique, en ces temps désastreux,
Ramène du régent le brigandage affreux ;
Comme lui, cherche l'or, par la fraude et le crime,
Et de notre misère approfondit l'abyme.
France, tu gémissais sous de coupables lois,
Quand parut à tes yeux le dernier de nos rois.
Ami de la vertu, mais chef sans caractère,
Il voulut ton bonheur et ne sut pas le faire !
Une cour qu'enivraient les plaisirs fastueux,
Trompa les sentimens de son cœur généreux.
Ces déprédations que souffrit sa faiblesse,
Ces erreurs où l'intrigue entraîna sa jeunesse,
Tout augmenta des maux qu'il fallait arrêter ;
D'un peuple mécontent les cris vont éclater !
Un parti, du pouvoir décriant l'imprudence,
Croit fonder une longue et juste indépendance :
Vain espoir ! Au signal de ses premiers succès,
Pour le précipiter dans les derniers excès,
Viennent, et ces brigands avides de pillage,
Et ces autres brigands avides de carnage,
Qui, de nos novateurs abusant tons les vœux,
Dans des sentiers perdus les traînent avec eux.
Ce n'est plus qu'un torrent qui partout se déborde.
En vain la raison parle, au sein de la discorde :
Le crime règne seul ; le sang coule à grands flots ;
Sur le trône écroulé se placent les bourreaux ;
Septembre, tu parais : sous des voiles funèbres,
Quels meurtres, des cachots vont souiller les ténèbres !
Des monstres, d'or, de crime et de sang affamés,
Égorgent froidement les captifs désarmés.
Plus d'âge, plus de sexe ; en leur coupable ivresse,
Oubliant le respect qu'on doit à la faiblesse,
Ils frappent le vieillard ; ils frappent la beauté :
Lamballe, c'est sur toi que leurs coups ont porté !
Ô regrets ! La douceur, ta jeunesse, tes charmes,
Et tes yeux embellis de leurs pénibles larmes,
Et ces cris, dans ta bouche encor plus déchirans,
Rien ne peut les toucher : sur les morts, les mourans
Pour toi de vingt trépas prolongeant le martyre,
Leur foule te saisit, t'entraîne, te déchire ;
Et, ta tête à la main, va promener long-temps,
Dans Paris effrayé, tes membres palpitans.
Je l'ai vu ce spectacle ; et j'en frémis encore !
Liberté méconnue, est-ce ainsi qu'on t'honore !
Ah ! Je sens de ma main échapper mes pinceaux ;
Mais ressaisissons-les, pour de plus noirs tableaux.
Quels nouveaux attentats ! Un Sénat, sur nos têtes,
Au lieu d'un ciel plus doux, ramène les tempêtes ;
Un Sénat ! Où siégeaient ces lâches assassins
Qui du sang de septembre avaient souillé leurs mains !
Leurs lois ne sont encor que du sang et des crimes.
D'abord, des sénateurs éclairés, magnanimes,
Opposant la sagesse à leurs cris odieux,
Voulurent prévenir leurs décrets factieux ;
Hélas ! Ils prodiguaient, pour détourner l'orage,
Un talent inutile, un impuissant courage !
On n'osa seconder ces orateurs fameux ;
Contr'eux on prononça, pensant tout bas comme eux.
Du crime plus hardi la lâcheté complice,
Ayant trompé leurs vœux, signe encor leur supplice ;
Ils meurent ; c'en est fait : tyrans, vous triomphez !
L'honneur, le sentiment sont partout étouffés,
Au gré des délateurs qui marquent leurs victimes,
Des cachots plus nombreux on peuple les abymes.
La France est devenue une vaste prison ;
Et la mort s'y promène au signal du soupçon.
Tout Français est captif ; tout captif est coupable :
Vertus, talens et loi, pouvoir d'un sexe aimable,
Vous excitiez leur rage, au lieu de la fléchir !
C'est sur vous que leur bras aime à s'appesantir.
À frapper tous les rangs la hache est toujours prête ;
Chaque heure, chaque instant voit tomber une tête.
Que la vertu fut noble, en ce règne cruel !
Vingt vierges que leur foi liait au même autel
Vers l'injuste échafaud en un vil char traînées,
Le front privé du voilé et les mains enchaînées,
Demandaient aux bourreaux qu'au moins un chaste lin,
Au nom de la pudeur, s'étendit sur leur sein ;
Dans leurs hymnes, d'un Dieu célébraient les louanges ;
Pensaient unir leur voix au doux concert des anges ;
Et semblaient entonner, dans ce louchant transport,
Les chants de l'allégresse et non ceux de la mort.
C'est peu, des assassins les fureurs meurtrières
Frappent, en s'étendant, jusqu'aux cités entières !
Bedoin, tu leur déplais ; tes remparts condamnés
Aux flammes tout à coup tombent abandonnés ;
Et d'affreuses lueurs la nue an loin rougie
À Lyon effrayé conte ton incendie.
Lyon, dans cet image a lu son sort prochain,
Les pleurs de la patrie avaient ému son sein :
Il oppose aux tyrans une élite vaillante ;
Il dispute à leurs lois la France gémissante ;
Mais le crime triomphe, et Lyon est vaincu.
Ses murs, ses habitans auront bientôt vécu.
Un histrion, jadis sifflé dans leur enceinte,
De leurs justes mépris se venge sans contrainte :
La hache est trop tardive ; il commande ; et soudain,
Sur un peuple enchaîné, trente bouches d'airain
Tonnent : mais des combats l'instrument magnanime
Semble s'épouvanter d'être celui du crime :
Ses traits sont incertains ; la plupart des proscrits,
Sanglans, tout mutilés ; et poussant de grands cris,
Se débattent long-temps sous des coups si funestes :
Le glaive des soldats vient déchirer leurs restes ;
Et, dans leur lente mort trouvant d'affreux plaisirs,
Le féroce histrion a compté leurs soupirs !
Le meurtre, aux pieds sanglans, court du Rhône à la Loire.
Là, Carrier, dont le nom fait frémir la mémoire,
Du tigre de Lyon se montre le rival.
Déployant, dans sa rage, un génie infernal,
Il invente un supplice où, sur l'onde étonnée,
Il fait trouver la mort dans un faux hyménée.
Les deux sexes tout nus, l'un à l'autre enchaînés,
Pour la première fois, de s'unir indignés,
Bientôt précipités de cent barques perfides,
Roulent, en s'embrassant, au sein des flots avides,
Les prêtres au trépas sont en foule envoyés,
Dans ces mêmes esquifs qui s'ouvrent sous leurs pieds ;
Et les morts, par milliers, rejettes sur les rives,
Où n'osent les pleurer leurs familles plaintives,
Les morts, accumulés en de vastes monceaux,
Semblent un noir trophée à l'honneur des bourreaux,
Partout enfin, partout la France malheureuse,
Et de la Loire au Rhin, et du Var à la Meuse,
Voit conduire à la mort ses habitans proscrits ;
L'épouse avec l'époux, le père avec le fils :
Raffinement affreux qu'un règne affreux présente !
Et ces forfaits encor dont le nombre épouvante,
Des journaux, des beaux arts la voix les a loués !
Et Barrère en a fait des rapports enjoués
Qui causoient du Sénat le rire inextinguible,
Et glaçaient la vertu de leur gaîté terrible !
Salut, neuf thermidor ! Salut, ô jour d'espoir !
Tu vins précipiter du faîte du pouvoir
Ce monstre qui long-temps bourreau de sa patrie
Renversa l'échafaud, en y laissant sa vie.
La France respirait ; mais, changement trop vain !
L'intrigant, le voleur, remplacent l'assassin.
On a frappé nos jours ; on frappe nos fortunes :
D'un papier prodigué les feuilles trop communes
De la propriété trahissent tous les droits,
Comme l'on égorgea, l'on vole, au nom des lois :
De l'or qu'on lui commit, l'État dépositaire,
Dans le palais du riche a porté la misère.
Le rentier n'en reçoit qu'un signe sans valeur
Qui de tous les besoins lui fait subir l'horreur.
Époux, pleurez vos nœuds ; ce fils, leur premier gage,
Dont vingt maîtres divers instruisaient le jeune âge ;
Que destinaient vos biens et qu'appelaient vos vœux
À servir son pays par des talens heureux ;
De son instruction s'arrête l'espérance :
Et celui que sans doute eût applaudi la France,
Va, privé de leçons, grossir, au dernier rang,
Le ramas trop nombreux d'un vulgaire ignorant.
Époux, pleurez vos nœuds ; dans votre âme enivrée,
Vous méditiez l'hymen d'une fille adorée ;
Sur le vœu de son cœur choisissant son époux,
Vous lui donniez vos biens ; sont-ils encor à vous ?
Non ; l'État les ravit : non ; plus d'hymen pour elle ;
De pertes, hélas ! La suite est plus cruelle,
Quand d'injustes destins condamnent aujourd'hui
Ses appas au veuvage et son cœur à l'ennui.
À la Bourse, au Perron, la cupide bassesse
Des Français dépouillés trafique la richesse ;
Et les force, à l'envi, spéculant sur leur faim,
De vendre leurs foyers, pour un morceau de pain.
L'espoir de leurs enfans passe en des mains avides.
Soudain, sur leurs débris, cent fortunes rapides
S'élèvent dans nos murs, et d'un éclat honteux,
Insultent, chaque jour, aux pleurs du malheureux.
Ceux-ci, jadis courbés dans une étude obscure,
Ceux-là qu'avait couvert la livrée ou la bure,
Gauchement étendus en des chars éclatans,
De leur faste grossier font rire les passans :
Chacun reconnaissant ou Labrie ou Lapierre,
Se dit à leur aspect : « ils étaient mieux derrière. »
Dignes de tels époux, sous de pompeux habits,
Leurs femmes, s'écrasant et d'or et de rubis,
Ornant leurs fronts hâlés de perruques énormes,
De leurs charmes épais mettant à nu les formes,
Dans ces lieux autrefois à Therspcicore ouverts,
Amusent un moment de leurs plaisans travers ;
De leur grosse gaîté font retentir les voûtes ;
Et, prodiguant cet or, fruit de vingt banqueroutes,
Du matin jusqu'au soir, du soir jusqu'au matin,
Sur un tapis fatal tourmentent le destin ;
Et, portant au salon le ton de l'antichambre,
Exhalant, à la fois, de vapeurs d'ail et d'ambre,
Dans leur danse pesante ou leur luxe odieux,
Elles révoltent l'âme et fatiguent les yeux.
À ces vils enrichis le pouvoir est propice.
Tout s'achète, se vend ; le crime et la justice.
Aux yeux des parvenus, l'honnête homme est un sot ;
Thémis ivre prononce aux banquets de Méot
Le Sénat, pour le mal, s'unit au Directoire.
Chaque jour voit éclore une loi dérisoire.
Le vol s'appelle emprunt ; l'emprunt est un impôt.
Le Luxembourg devient le plus obscur tripot,
Où, mettant leur pays à de vils enchères,
Fournisseurs et phrynés, magistrats, commissaires,
Dispersent à l'envi les trésors de l'État ;
Et la sueur du pauvre et le sang du soldat.
C'est ainsi que nos chefs, régnant avec scandale,
Prolongent au dehors une guerre fatale ;
Fomentent au dedans l'esprit des factions ;
Nous donnent, chaque jour, des révolutions ;
Et, dilapidant tout, dans leur longue ineptie,
Sur l'abyme entr'ouvert font pencher la patrie.
Parmi tant de fléaux, où porter nos regards ?
Qui peut nous consoler ? Parlerai-je des arts ?
Le génie est muet ; l'art trompe la Nature.
Naguère, dans Paris, la noble architecture
Fit admirer l'école où de savantes mains
Enseignent à guérir tous les maux des humains
Mais, au palais fameux que l'œil au loin découvre,
Aux jardins de Lenôtre, aux colonnes du Louvre,
Du repos d'un grand roi nobles amusemens,
Comparez de nos murs les nouveaux ornemens.
Où les talens sont-ils ? Quelles mains subalternes
Oseraient avouer ces monumens modernes
Dont le travail mesquin, sur la pierre ou le bois,
Par un hommage indigne a flétri nos exploits
Et cette liberté que le peuple idolâtre,
Devoit-on à nos yeux l'offrir sous un vil plâtre
Pour qui réserve-t-on et le marbre et l'airain ?
Le Panthéon s'élève ; et déjà, son déclin
A menacé Marat qu'un lâche apothéose
Mit auprès d'Arouet dont la cendre y repose.
Comme ils ont dégradé le palais d'un héros
Quel art, se conformant aux Cicérons nouveaux
Qui durent y porter leur ridicule emphase,
L'a surchargé, sans goût, du fardeau qui l'écrase ?
Quel art, du vandalisme étalant les progrès,
D'Orléans en un cloître a changé le palais
Le peintre et le sculpteur, moins égarés, sans doute,
De la Nature encor n'ont pas perdu la route :
Honneur à toi, David ! Honneur à toi, Vernet !
Honneur à vous, Pigal, Houdon, Moitte, Pujet !
Du faux goût vos travaux nous sauvent les outrages ;
Mais pourquoi le Salon, auprès de vos ouvrages,
Par un honteux mélange, admet-il, sur ses murs,
D'artistes sans élan tous les essais obscurs ?
Du pinceau d'Hennequin quelle caricature,
Guérin, ose toucher ta savante peinture ?
Pourquoi tous ces portraits d'hommes si peu connus ?
Ils nous font désirer que les murs restent nus.
Vous gâtez nos plaisirs, par un tel assemblage.
Renoncez pour jamais à ce moderne usage
Qui présente au Salon, dont il fait un chaos,
L'enfance du talent, près de ses grands travaux.
Que dirai-je de vous, ô fils de l'harmonie !
Des campagnes du Tibre et de la Germanie
Votre lyre sans doute apporte, sur nos bords,
Des chants audacieux et de savans accords.
Mais pourquoi tout ce bruit que votre orchestre étale ?
Mais pourquoi cet abus du cor, de la timballe ?
Au fracas le vrai goût n'a jamais applaudi.
Par de tels instrumens l'auditeur assourdi,
Quoiqu'il ait quelquefois des grâces à leur rendre
De bien couvrir des vers qu'il redoutoit d'entendre,
S'éloigne, en gémissant, de ce genre nouveau
Qui fatigue l'oreille et brise le cerveau.
Il regrette le temps où ce génie aimable,
Sacchini, déployait un charme inexprimable ;
Où Grétry, par des sons et si doux et si vrais,
Flattait nos sens émus, sans les blesser jamais.
Ce siècle a-t-il au moins la gloire littéraire ?
Il cite Montesquieu, Buffon, Rousseau, Voltaire
Mais quels contemporains les ont environnés ?
Quels tristes successeurs le sort leur a donnés !
Ces astres, emportant leur lumière divine,
N'ont laissé que la nuit sur la double colline.
Sous le ciel ténébreux dont ses mont sont couverts,
Quel torrent déplorable et de prose et de vers ?
D'où viennent ces romans dont les sanglantes pages,
Entassant à plaisir de fatales images,
D'un style plat et lourd habillent des horreurs ?
D'où viennent ces romans qui trahissent les mœurs ?
Là, des plus vils excès la licence altérée,
Se plaît à surpasser les transports de Caprée,
Justine, de ce siècle ô forfait odieux !
Quel esprit corrompu, dans son délire affreux,
Assembla sans effroi tant de noires maximes ?
Quelle main sans trembler a tracé tant de crimes ?
Ah ! Rejettons au loin ces écrits scandaleux,
De fange et de poisons assemblage hideux !
Mais devant ces tableaux mon esprit qui recule,
À l'horrible échappé, trouve le ridicule :
François de Neufchâteau, c'est toi qui m'apparais
Dans tes divers emplois, grand homme à peu de frais,
Ta main à nos malheurs chaque jour attentive,
Traçait aux magistrats une aimable missive,
Où ton esprit galant savait enjoliver
Les lois des directeurs qu'on te vit approuver ;
Écrit officiel, respecté du critique,
Dont les journaux vantaient la grâce politique !
Mais il fallait rester à ce travail charmant.
Loin de là, devais-tu, poète sans talent,
Lire en public ces vers dont la faible cadence
Fit bailler l'Institut qui fait bailler la France ;
Et révéler ailleurs aux lecteurs étonnés
Que la cigogne est chère à tous les cœurs bien nés ?
À ce fou Lemercier, François, cède la place,
Il se traîne, froissé de plus d'une disgrâce.
Rempli de quatre auteurs dont on vanté le nom,
Il saisit un succès avec Agamemnon,
Ouvrage en style dur qu'a soutenu Cassandre.
Mais quel est cet Ophis, où, prompt à redescendre,
Lemercier, violant et la nature et l'art,
Dans tous ses vers forcés, ressuscite Ronsard ;
Et, croyant nous offrir une image savante,
Fait ouïr Anubis et rend la mort vivante
Mais quel est ce Pinto, ce cahos monstrueux
De mots pris à la halle et de tableaux honteux,
Qui, digue des tréteaux, fait, ainsi que la prude ,
Des chutes à l'auteur reprendre l'habitude ?
À toi, mon cher Guyot ; mon tendre Desherbiers
Tu ravis à Scarron ses burlesques lauriers !
N'est-ce pas dans tes vers que, de son ambroisie,
Le plaisir vient sucrer le banquet de la vie
Chantre des chats, en vain lu travaillas pour eux.
Dans l'ombre, sur nos toits, quand soupirent leurs feux,
Ce sont tes vers encor que leur voix fait entendre :
Mais de la dent des rats pourront-ils les défendre ?
Volmerange et Mercier, vous réclamez mon choix
Mais d'autres au sarcasme ont encor plus de droits :
Tel, Masson, cet auteur d'un helvétique ouvrage
De la nation suisse il a pris le langage,
Chacun voit, dans son style et barbare et nouveau,
Qu'il prétend n'imiter Racine ni Boileau,
Comme, en effet, le dit sa burlesque préface ;
Et que Neufchâteau seul dût l'offrir au Parnasse.
Une femme les suit ; c'est Théïs-Pipelet
Pour un art dangereux, quittant son flageolet,
Naguère elle voulut, en rimes non exactes,
Sur la scène française, obtenir les cinq actes ;
Mais un autre théâtre, où brillent ses attraits,
Est le seul où Théïs mérite ce succès.
Tu soupires pourtant, Muse aimable et badine,
Dont Destouches, Piron et Fabre d'Églantine
Ont d'un triple veuvage affligé la gaîté.
Collin qui dérida ton visage attristé,
Et Picard, trop souvent moins plaisant que folâtre,
Ne peuvent prévenir la honte du théâtre.
Cuvelier-Pantomime y règne sans rival
De ses drames souvent l'acteur est un cheval ;
Franconi, sur la scène, a remplacé Molière
Les chaînes, les cachots, le deuil d'un cimetière,
Les sorciers, les combats, le moine et Belzébut
De l'art, en triomphant, semblent remplir le but.
Mais fuyant ces auteurs, faibles quoique barbares,
J'applaudis aux talens dont nos jours sont avares :
Laharpe, aux arts rendu, nouveau Quintilien,
Du goût, par ses leçons, est le premier soutien.
J'aime, dans Bernardin, le charme heureux du style.
Je lis avec transport les beaux vers de Delille,
Et du vol de Lebrun j'admire la hauteur.
Fontanes, bon poète, élégant prosateur,
Legouvé qu'aujourd'hui préfère Melpomène,
L'auteur de Fénélon, autre honneur de la scène,
Nous donnent des plaisirs par le goût avoués.
Et vous, par quelles voix serez-vous donc loués,
Monge, Proni, Lagrange et Le Gendre et Laplace
De Newton vos talens font revivre l'audace.
Le Ciel s'est dévoilé pour Delambre et Méchain
Buache et Bertholet, Guyton-Morvaux, Vauclain
Nous ouvrent les trésors de plus d'une science :
Et Bougainville enfin dont s'honore la France
Pour apporter nos arts aux peuples ignorans,
Osa franchir des mers les gouffres dévorans ;
Et, comme le soleil, fesant le tour du monde,
Il versa la lumière, en sa course féconde.
Ah ! Pour mieux seconder les efforts d'un héros,
Poètes et savans, ralliez vos travaux :
Il poursuivit partout les brigands de la France ;
Poursuivez le faux goût, le vice et l'ignorance.
Faites vaincre les mœurs, la raison et les arts.
Que ce siècle nouveau qui s'ouvre à nos regards,
Des malheurs de nos jours effaçant la mémoire,
Par vos efforts unis, nous rende enfin la gloire.