Stances patriotiques, sur le combat naval du 13 prairial, et le dévouement sublime de l'équipage du vaisseau « Le Vengeur »

Auteur(s)

Année de composition

v. 1794

Genre poétique

Description

Texte

Quoi ! La mort devançant nos cohortes guerrières,
Aura vu le Français, maîtrisant les hasards,
Immoler sans pitié les hordes sanguinaires
Qu'Albion vomissoit jusques dans nos remparts ;
Et ces farouches insulaires
S'agitant sous le bras qui les a terrassés,
De l'Océan voudroient nous fermer les barrières ;
Et sur ses flots, contr'eux dès long-tems courroucés ;
Promener en tyrans leurs voiles téméraires !

Allez, de ce peuple pervers,
Châtier la fureur impie,
Braves guerriers, au nom de la patrie,
Assurez pour jamais la liberté des mers.
Déjà sortant de ses grottes humides
L'Océan vous appelle à des succès nouveaux ;
Le voilà qui s'avance, il ouvre à nos vaisseaux
Le chemin des plaines liquides.

Trop long-tems, nous dit-il, des brigands odieux
Ont sur vous assouvi leur haine ;
Usurpateurs de mon domaine,
De leurs crimes sans nombre ils ont lassé les cieux,
Voici l'instant de la vengeance,
D'un rival trop ambitieux
Venez réprimer l'insolence,
Foudroyer ses mâts orgueilleux,
Et défendre en héros les trésors précieux
Qui dans vos ports amènent l'abondance…

C'en est fait ; des vaisseaux nombreux,
Pour combattre l'Anglais s'éloignent du rivage.
Matelots et soldats, par des chants belliqueux
S'excitant d'avance au carnage,
De vaincre ou de mourir prononcent le serment.
De ce serment sacré que l'effet soit terrible,
La liberté rend tout possible :
Par elle désormais sur un autre élément
Le Français doit être invincible.

Mais quel bruit vient troubler le vaste sein des mers ?
Est-ce un orage qui s'apprête ?
Dieux ! Quels mugissemens prolongés dans les airs
Semblent annoncer la tempête ?
Le feu redoublé des éclairs
Est soudain suivi du tonnerre.
Les élémens veulent-ils dans leur guerre,
La ruine de l'univers ?

Non, le Français a vu les voiles homicides
Qu'un despote insolent déploya contre nous,
Dans ses projets liberticides :
Aux armes, a-t-il dit, plein d'un juste courroux,
Frappons, et si l'Anglais du nombre a l'avantage,
À des républicains il suffit du courage ;
Les enfans de la liberté
Affrontant l'ennemi dans les champs du carnage
Rougiroient de l'avoir compté. 

Tel qu'un tigre sorti des forêts d'Hircanie,
Assouvit sa fureur dans une bergerie ;
Brebis, chiens et bergers, rien n'échappe au trépas :
Tel le Français dans sa furie
Des vaisseaux d'Albion disperse au loin les mâts
Engloutis par les flots ou volant en éclats.
C'est en vain que l'Anglais vend chèrement sa vie,
Il fuit, & de son sang rougie,
La mer peut dire un jour aux siècles à venir,
Qu'ennemi de la tyrannie
Le Français mit toujours sa gloire à la punir.

Mais ici quel tableau sublime
Attire mes regards surpris ?
Un vaisseau qui s'entr'ouve entouré d'ennemis ;
Des Français méditant un effort magnanime ;
Tout ravit à la fois et confond mes esprits :
Muse, à tant de grandeur ma voix ne peut suffire,
Prête-moi tes mâles accens,
Et mon poëtique délire
Ira porter l'effroi dans le cœur des tyrans.

De l'Anglais repoussé les foudres combinées
S'unissent contre le Vengeur,
Dont les flancs entr'ouverts, les voiles déchirées,
N'offrent bientôt qu'un spectacle d'horreur.
Mais ces guerriers mourans dont le noble courage,
Brave tous les dangers, affronte le naufrage,
Sauront jusqu'à la fin conserver leur grandeur
Et répondre à leur destinée ;
La gloire de cette journée
Défend de vivre aux dépens de l'honneur.

Tout-à-coup le tumulte cesse,
Et le calme succède aux cris de la douleur ;
Déjà le pavillon se dresse
Étalant sa triple couleur.
Vive la liberté ! Vive la République !
Tels sont les derniers cris de ces cœurs généreux,
Pour qui l'instant le plus affreux
N'est plus qu'une fête civique.

Donnons à la patrie un exemple nouveau,
De la mer, disent-ils, faisons-nous un tombeau… 
C'en est fait, l'Océan dans ses profonds abymes,
Aux yeux de l'ennemi surpris,
Reçoit ces illustres victimes,
Et du Vengeur engloutit les débris.

Ô passion sublime ! Amour de la patrie !
C'est toi qui fais les vrais héros.
Un esclave peut bien, au péril de sa vie,
D'un despote servir les caprices nouveaux ;
Mais connut-il jamais la puissante énergie
Qui du républicain consacre les travaux ?
Le voit-on comme lui se jouer des obstacles,
Et le fer à la main prodiguer ces miracles
Qui glacent d'effroi nos rivaux ?

Français, honorez la mémoire
De vos généreux défenseurs :
Loin de vous d'inutiles pleurs ;
Qu' […] leur gloire,
[…] parmi nous
Du […] enflamme le courage :
[…] voilà l'hommage
Que (?) attend de vous.

Ouvre tes portes solennelles,
Temple augusteLe Panthéon, la liberté
Dans ton sein veut transmettre à la postérité
Le souvenir de ses guerriers fidèles
Sous ton dôme imposant reçois leurs noms chéris ;
Et malheur au Français dans ton enceinte admis,
Qui les verra sans nourrir l'espérance,
Ou de livrer l'Anglais à sa vengeance,
Ou de mourir pour son pays.

De vos exploits suivez la brillante carrière,
Soyez toujours fidèles à l'honneur,
Braves marins, bientôt sur un autre Vengeur
Vous irez d'Albion sonner l'heure dernière,
Lui ravir le sceptre des eaux,
Et jusques dans ses ports foudroyer ses vaisseaux.

Pour moi dont le foible génie,
Enorgueilli par vos succès,
Osa chanter la gloire des Français,
Je veux, toujours fidèle au dieu de l'harmonie,
Toujours brûlant d'amour pour ma patrie,
Lui consacrer ma lyre (?) ;
Et quand la mort (?)
J'irai, de vos nombreux exploits,
Entretenir dans les demeures sombres,
Les héros du Vengeur autour de moi rangés
Et dire que par vous leurs mânes sont vengées.

 
 

Sources

BNF, 8 Ye 4096.