Sur la mort du citoyen Le Pelletier de St Fargeau

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Paratexte

Poëme lyrique dédié à l'Assemblée nationale

Texte

Du dernier des Capets infâme satellite
Monstre né pour le crime et noirci d'attentats,
Si le Ciel a souffert, s'il a permis ta fuite,
Ne crois pas qu'il t'absout de tes assassinatsL'auteur de ce poëme ignorait que l'assassin Paris, accusé depuis longtems de plusieurs autres crimes, s'était brûlé la cervelle. C'est pour cela que ce monstre est supposé encore vivant dans cette pièce.

Tu n'échaperas point aux traits de sa vengence ;
Paris, et son courroux, allumé contre toi,
Par un juste retour succède à son silence
Pour te livrer enfin au glaive de la loi.

Déjà j'entens le bruit des fers qu'on te prépare…
Ô si de Saint Fargeau les mânes révérés
Pouvaient dans ce moment voir mourir ce barbare
Sous la main des boureaux de plaisir enivrés.

Saint Fargeau ! (que ce nom à la France éplorée
Inspire de respect, de douleur et d'amour!)
Saint Fargeau, tu n'es plus… mais ton ombre sacrée
Sçait elle que Paris respire encor le jour !

Paris respire !… Ô dieux ! Et votre providence
Souffre que ce perfide avec impunité
Jouisse de son crime et de votre indulgence !…
Pour qui donc gardez-vous votre sévérité ?

Levez-vous, il est tems, et de votre justice
Déployez, dieux jaloux, la force et la rigueur !
Que du traître expirant l'éclatant sacrifice
Dans l'âme des pervers répande la terreur !

Que jamais l'œil du jour n'accorde sa lumière
À l'exécrable lieu que son sang rougira !
Que ce lieu soit maudit de la Nature entière !…
Malheur même à celui qui la regardera !…

Allez y désormais établir vos retraites,
Serpens, oiseaux de nuit, insectes venimeux !…
Nuages embrasés, ministres des tempêtes
Ne vomissez que là vos careaux et vos feux !…

Croissez y sucs vengeurs, noirs poisons de Colchide
Et toi froid aconit aux enfers consacré ;
Et que l'air dévorant de ce sol homicide
Donne la mort à ceux qui l'auront respiré !

Hélas ! Si tu m'entens, que ton ombre appaisée
Reçoive, ô Saint Fargeau ! L'hommage de nos pleurs !
Et dis aux citoyens de l'heureux Élisée
Que ta cendre à jamais sera chère à nos cœurs.
Mais tandis qu'accablés du poids de nos douleurs,
Nos femmes, nos enfans te consacrent des larmes ;
Tandis qu'au milieu des allarmes
Compagnes du dieu des combats,
Tous nos braves guerriers en armes
Mettent à couvert nos États ;
Du plus éclairé des Sénats
La clair-voyante providence
Secondant l'effort de leurs bras,
Affermit et protège en France
Malgré l'audace et l'insolence
Des esclaves et des ingrats,
La liberté dont l'ignorance
Ne connut jamais les apas.
Saint Fargeau, tu suivis ses pas,
Tu vécus, tu mourus pour elle :
À ses drapeaux toujours fidèle,
Tu sçûs des horreurs du trépas
Marcher à la gloire immortelle
Des Mirabeaux et des Marats.
Philosophe ennemi de toute tirannie
Tu jouis maintenant de cette liberté
Qui, seule ennoblissant le fardeau de la vie,
Rapproche les humains de la divinité.
Que ton âme, en partant, montra d'égalité !
Et que ton sort est désirable !
Plein de la même fermeté,
Que ne puis-je aussi, sage aimable,
Par une conduite semblable
Obtenir l'immortalité !

Envoi :

De ces vers nés dans la douleur
Daignez agréer l'humble hommage
Des mains de leur timide auteur
Qui, dégagé, de l'esclavage
Des préjugés et de l'erreur,
Ose vous offrir une image
De son civisme et de son cœur.
Humiliés par le malheur,
Allez enfans de ma tristesse,
Allez, montrez-vous sans frayeurs :
Le Sénat sur votre faiblesse
N'exercera point de rigueur :
Malgré la fortune ennemie,
Malgré sa jalouse fureur,
Ami des enfans du génie
Il en est le dieu protecteur.

 
 

Sources

AN, F17 1009A.