Vers faits en 1790
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Musique
Paratexte
Texte
Ô mes amis, vive la liberté !
Un vent plus doux a soufflé sur la France.
L'égalité, la fière indépendance,
Voilà, pour nous prodigue en sa bonté,
Les deux trésors que le Ciel nous dispense.
Quels dons plus chers pouvions-nous espérer ?
Depuis longtemps meurtris de notre chaîne,
Infortunés, nous ne vivions qu'à peine,
Et sous son poids il fallait expirer
Douze cents rois, douze cents Démosthène,
Ont de l'État débarrassé les gênes,
Vu nos malheurs et su les réparer.
Hommage donc aux sauveurs de l'Empire !
Et dans quel temps, il le faut avouer,
Eut-on du sort autant à se louer ?
B** paraît, l'humanité respire ;
S** écrit, nous connaissons nos droits ;
Mirabeau parle, et nous avons des lois :
Quels jours heureux ce siècle aura vu luire !
Vils détracteurs de leurs nobles travaux,
Cessez, cessez une plainte importune.
Il vous sied bien d'accuser la Fortune
Quand elle apporte un remède à vos maux !
Dans ses canaux desséchés par l'intrigue,
À flots plus grands l'or coula-t-il jamais ?
De plans meilleurs et de plus beaux projets
Quand le génie a-t-il été prodigue ?
Nouveaux cantons, nouveaux départements,
Nouveau régime, et nouveaux règlements ;
Plus de pouvoirs dans la main d'un seul homme ;
Nouvelle forme en tout point, en tout sens
Paris, l'émule et le rival de Rome,
Des légions de soldats citoyens,
Des orateurs jusque dans nos boutiques,
Trois cents journaux, quatre mille chroniques ;
Quel changement et quel torrent de biens !
Mais je vous vois, fougueux enthousiastes,
Saisissant mal de glorieux contrastes,
Vous épuiser en soupes superflus,
Et regretter un siècle qui n'est plus ;
Siècle d'orgueil, règne du despotisme
Où le monarque, ivre de sa grandeur,
Substituait au fier patriotisme
Dont le feu pur embrase notre cœur,
Le vain éclat de son trône oppresseur.
Il est bien vrai qu'altière et triomphante
La France alors dictait partout ses lois ;
Que Louis seul, vainqueur de quatre rois,
Vit à ses pieds l'Europe suppliante ;
Qu'à son lever Turenne et Catinat,
Soldats héros sous un héros soldat,
Avec respect contemplaient sa présence ;
Que ses voisins, que vingt peuples divers,
En l'admirant, des bouts de l'univers
Accouraient tous briguer son alliance
Que sur les mers grondant sous sa puissance,
Maître des vents, il fit avec succès
Flotter l'honneur du pavillon français
Que le bienfait, la noble récompense
N'attendaient pas, grâce à sa prévoyance,
Que le mérite indigent abattu,
Vînt mendier le prix de sa vertu ;
Qu'il vit Racine et l'aîné des Corneille,
Associant leur gloire à ses plaisirs
Pour amuser ses studieux loisirs
Créer leur art en créant des merveilles
Qu'à Despréaux pour causer avec lui
Il accordait une heure par semaine ;
Que, des cagots pour terrasser la haine,
Molière obtint sa voix et son appui :
Mais, après tout ce siècle de prodiges
S'évanouit avec ses vains prestiges.
Le roi régnait et non la nation
On daignait croire à la religion
Le haut clergé recueillait sa richesse ;
On distinguait le Tiers et la noblesse ;
Condé touchait des droits seigneuriaux,
Et Luxembourg comptait deux cents vassaux.
Le Livre-Rouge
Où Biauzat se pâme à chaque page
Et dont Camus enrichit l'avenir,
Jusques à nous n'avait pu parvenir.
Ah ! Pour juger ce siècle de grands hommes
Osons citer ceux du siècle où nous sommes.
Voyons Duport éclipsant d'Aguesseau :
Condé tremblant au nom de R***,
Et La F*** élevé jusqu'aux nues,
Instruit surtout au grand art des revues,
Plus que Vendôme, et Turenne, et Villars,
Sûr d'abaisser l'aigle et les léopards ;
Voyons Cahier, et L*** et N***,
Mieux que Louvois soutenant la couronne ;
Le grand Corneille effacé par Chénier ;
L'abbé Fauchet l'emportant sur Fléchiér ;
Les P***, les G***, les G***
De Bossuet étouffant la mémoire,
Molière à peine égal à Palissot,
Racine éteint par Samson Laignelot,
Les Ch***, les Th***, les B***
En peuple libre érigeant des esclaves,
Et pour hâter la révolution,
En Jeanne d'Arc transformant d'Aig**llon ;
Voyons Chab***, Tar***,et Robespierre
De l'éloquence agrandir la carrière,
Et pour conclure au gré de Pétion,
Voyons surtout la constitution,
Cette sublime et rare invention
Mariée au sceau de la perfection
Qui, de la France en contemplation
Est à la fois la consolation,
Et l'espérance et le palladion.
Sources
VIGÉE Étienne, Poésies diverses, Paris, Delaunay, 1813, p. 285-290.