Vers lus au dîner donné par l'administration du Musée central des arts, le 7 vendémiaire an XI, à M. West, directeur de l'Académie royale de Londres
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Texte
Alors que dans nos murs les marbres de Paros,
Les trésors de l'Attique, et le Dieu de Délos,
En triomphe portés sur le char de la Gloire,
D'Athènes et de Paris confondaient la mémoire,
Mes chants audacieux célébraient les héros :
Et Barde fortuné des belliqueux travaux,
Je vis à mes accens sourire la Patrie ;
Et du soldat français révélant le génie,
Mon vers, en traits de feu sur le front des palais
Du réveil des Beaux-Arts prédire les bienfaits.
Les tems sont arrivés : désormais sans alarmes,
Domptés par notre amour bien plus que par nos armes,
Le Germain, fier encor des aigles de Varus ;
Les descendants d'Odin, dans leurs lacs invaincus ;
Le Russe, unique orgueil de sa terre inféconde ;
L'Espagnol, qui d'un monde a surchargé le monde ;
Vingt Peuples dont les tems accrurent la splendeur,
Si grands de souvenirs, de vertus et d'honneur,
D'un courroux passager abjurant le murmure,
Sont, dans nos bras pressés, rendus à la nature.
Albion manquait seule à tant de noms fameux :
Hélas ! Erreur commune aux rivaux généreux !
Plus ces rivaux sont grands, plus la paix est tardive :
Mais quand de l'olivier l'heureuse époque arrive,
La guerre en expirant, pour laver ses forfaits,
Lègue à son dernier jour sa constance à la paix.
Français ! Anglais ! Pourquoi, martyrs d'un vain courage,
Vous charger des destins de Rome et de Carthage ?
À la gloire tous deux vous avez même part.
N'avez-vous pas tous deux épouvanté César ?
Coutre les Sarrasins déployant vos bannières,
Ensemble défendu les tombeaux de vos pères ?
La Neustrie a fourni des mères à vos fils ;
L'Armorique a reçu les enfans de l'Isis ;
Quand la Croix dépeupla notre Europe alarmée,
Vous mourûtes ensemble aux champs de l'Idumée :
Même amour pour les Arts et pour la Liberté,
Mêmes vœux pour la gloire et l'immortalité,
Égal attachement aux droits de la Patrie,
Philosophie égale et pareille industrie,
Ambition, grandeur, infortunes, succès,
Anglais, tout vous forma les frères des Français.
Soyez-le pour toujours, et nous donnons l'exemple.
Enfans des Arts ! Vos cœurs de l'honneur sont le temple ;
Soyez le premier nœud de ces nœuds solennels,
Et de l'auguste Paix les garans éternels.
Célèbre West ! Allez, portez à l'Angleterre
L'affection, l'espoir, les vœux de notre terre.
Si la guerre jamais rallumait ses flambeaux,
Convoquez vos Bretons autour de vos Tableaux ;
Montrez, peintre savant, à leur âme attendrie
Le sang que les combats coûtent à la patrie ;
Offrez à leurs regards ce Wolff, si jeune encor
Frappé loin de leurs bras au ciel du Labrador ;
Montrez-leur les tyrans besantés par la guerre :
Et Tacite nouveau, ressuscitant Tibère,
Traînez-les sur les pas de la sœur de Drusus,
Et que leurs pleurs encor vengent Germanicus.
Est-ce aux rivalités que l'Anglais sacrifie ?
D'un effroi généreux étonnez son génie !
Déroulez Régulus, fameux par ses bourreaux,
Fameux par sa vertu, fameux par vos pinceaux :
Tous vos chefs-d'œuvre, West, auront même éloquence.
Il en est un pourtant dont ma fierté s'offense :
Que dis-je ? Le Français, quand il brisa ses fers,
En effaçant le trône, effaça ses revers.
Nommons donc, sans rougir, cette rage navale,
Bataille de la Hogue, aux deux peuples fatale
Partisans des combats ! Contemplez ces vaisseaux,
Ministres du trépas, ensanglanter les flots.
Voyez leurs vastes flancs tourmentés par l'orage,
Vomir l'éclair, le feu, la foudre et le carnage ;
Voyez de ces volcans sur les mers balancés
Les immenses débris jusques aux cieux lancés,
Par leur horrible choc redoublant l'épouvante,
Retomber écrasés sur la vague écumante.
Ô West ! De ce tableau si leurs cœurs sont émus,
Offre ton âge d'or à leurs yeux éperdus ;
Dis-leur : voilà les jours créés par la nature,
Les beaux jours de la paix et de l'agriculture,
Les jours de la vertu, des talens et des mœurs ;
Étrangers aux remords, étrangers aux douleurs.
Puissent ainsi les Arts, en charma ut notre vie,
Être à jamais les fils de la Philosophie !
Ô West ! Que les Anglais, par un noble laurier,
De leurs peintres, en toi, couronnent le premier.
La France applaudira. Milton de la Peinture !
Tes travaux passeront à la race future.
Restaurateur d'un Art si chéri d'Albion,
L'équitable avenir consacra ton nom :
Et ne séparant plus la France et l'Angleterre,
Mêlant dans son estime et l'une et l'autre terre,
Si la postérité sent le besoin des Arts,
Et reconnaît dans Londres, aux chefs-d'œuvre épars,
Les progrès de l'École à tes leçons soumise,
Elle t'appellera le Vien de la Tamise