Vers sur le refus d'inhumer le corps de Voltaire
Auteur(s)
Paratexte
(lors de la publication du poème des Mois, le censeur fit retrancher ce morceau du chant II)
Texte
Ô de mon siècle éternelle infamie !
L'hydre du fanatisme, à regret endormie,
Quand Voltaire n'est plus, s'éveille, et lâchement
À des restes sacrés refuse un monument
Eh ! Qui donc réservait cet opprobre à Voltaire ?
Ceux qui déshonorant leur pieux ministère,
En pompe, hier peut-être, auraient enseveli
Un Calchas, soixante ans par l'intrigue avili,
Un Séjan, un Verrès, qui, dans des jours iniques,
Commandaient froidement des rapines publiques :
Leur règne a fait trente ans douter s'il est un Dieu ;
Et cependant leurs noms, vivant dans le saint lieu,
S'élèvent sur le marbre, et jusqu'au dernier âge,
S'en vont faire au ciel même un magnifique outrage.
Et lui, qui ranima par d'étonnant succès
L'honneur déjà vieilli du cothurne français ;
Lui qui nous retira d'une crédule enfance ;
Qui des persécutés fit tonner la défense ;
Le même en qui brillaient plus de talents divers
Qu'il n'en faut à cent rois pour régir l'univers,
Voltaire n’aurait point de tombe où ses reliques
Appelleraient le deuil et les larmes publiques !
Eh ! Qu'importe après tout à cet homme immortel
Le refus d'un asile à l'ombre d'un autel ?
La cendre de Voltaire en tous lieux révérée,
Eût fait de tous les lieux une terre sacrée.
Où repose un grand homme, un Dieu vient habiter.