Vieillard donnant à son petit-fils l'exemple de la bienfaisance (Le)
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Paratexte
Idylle à l'imitation de celle de Berquin, intitulée : Le Berger bienfaisant
Mortels, souvenez-vous que c'est l'humanité
Qui sert de premier culte à la divinité.
Ducis
Texte
Lycas et Myrtil
Un jour disoit Myrtil, en exerçant ses jeux
Près du vieillard Lycas, son aïeul vertueux,
Qu'as-tu donc, ô mon père !… & pourquoi ton visage
Offre-t-il de la joie une si douce image ?
Ton front, tu me l'as dit, n'a jamais su mentir…
Ouvre-moi donc ton cœur ; daigne m'y découvrir
Le sentiment profond & mêlé de tendresse,
Qui semble te plonger dans une heureuse ivresse.
- Mon fils ! répond Lycas, en poussant un soupir,
Je goûte, il est bien vrai, le charme du plaisir ;
À tout autre que toi j'aurois voulu le taire :
Mais pour toi, mon ami, je vais te satisfaire,
Si tu promets pourtant de garder un secret,
Que la vertu commande & révèle à regret.
Le jeune Licidas dont la mère est souffrante,
Et qu'avec huit enfans la pauvreté tourmente,
Hier, les yeux en pleurs, accourt… & tout tremblant :
« Sauve-nous, me dit-il… Sous un sort accablant,
Sans toit mon père expire !… Un créancier avare,
Malgré nos cris touchans, veut d'une main barbare
Le traîner en prison : déjà de gens armés
Une troupe l'emmène… à pas précipités
Je viens, humain Lycas ! Sachant ta bienfaisance,
Implorer tes secours & ta prompte assistance ;
Si de ton cœur, hélas ! Je n'obtiens qu'un refus,
Cher Lycas, c'en est fait : nous sommes tous perdus ! »
En finissant ces mots, plein de trouble & d'allarmes,
Il tombe à mes genoux, qu'il baigne de ses larmes.
Saisi… Je le relève & le presse en mes bras ;
Puis, tirant de ma bourse environ vingt ducats,
« Cours, lui dis-je, porter cet argent à ta mère,
Pour être la rançon de ton malheureux père ;
S'il reste un excédent, qu'il serve à vos besoins…
Va, mon fils, calme-toi : Dieu bénira tes soins. »
Il voulut me parler… « Non, lui dis-je : va vite,
Ton père est dans les fers, pars à l'instant… Évite
Un moment de supplice à sa vive douleur ;
Ce que tu ne dis pas, je le lis dans ton cœur. »
Voilà, voilà, mon fils, puisqu'enfin ma tendresse
N'a su te rien cacher, d'où vient mon alégresse.
Je vois une famille arrachée au trépas ;
Par un léger secours sauvant ses embarras,
Moi-même je jouis du bien que j'ai pu faire :
Est-il plaisir plus grand, que d'assister son frère,
Que d'essuyer les pleurs du pauvre gémissant ?…
Peut-on faire un heureux, & n'être pas content ?…
Myrtil à ce récit, attentif, l'âme émue,
Pleuroit, en détournant modestement sa vue ;
« Mon père, ô je le sens ! dit-il avec transport,
Combien de la vertu l'on doit chérir le sort !
Digne rayon des cieux, la douce bienfaisance
Toujours porte avec soi sa juste récompense.
« Eh ! Bien, je vais aussi te dire mon secret :
Tu fais, pour mes plaisirs, le don que tu m'as fait ;
De ta tendre amitié comme il m'offroit l'image,
J'avois, jusqu'à ce jour, bien conservé ce gage ;
Mais je veux aujourd'hui, pour le mieux employer,
À mon cher Licidas, par surcroît l'envoyer.
Daigne aussi m'accorder un second avantage ;
Parmi ces huit enfans, un d'eux est de mon âge :
J'ai deux habits complets, tandis qu'il est tout nu !
Permets que j'en donne un, puisqu'il m'est superflu
Ce sera décharger d'autant sa pauvre mère,
Et soulager encor d'un degré sa misère. »
Viens, mon fils, dit Lycas, levant les mains aux cieux
Viens m'embrasser, mon fils !… Le sort comble mes vœux.
Oui, la mort n'a plus rien qui pour moi soit à craindre.
Dès que ton cœur est bon, que déjà tu sais plaindre,
Et partager les maux des êtres malheureux,
Je n'ai plus, en mourant, qu'à rendre grâce aux dieux !