Couplets civiques pour l'inauguration des bustes de Franklin, Voltaire, Buffon, Jean-Jacques Rousseau et Le Pelletier, dans la salle de la Société populaire, républicaine d'Avre-Libre (ci-devant Roye), département de la Somme

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Texte

À Franklin

Air : Je suis Lindor, etc.

Digne à jamais & de Rome & d'Athènes,
Il réunit Numa, Pline & Solon ;
D'un pôle à l'autre, il a porté son nom,
Et des humains il a brisé les chaînes.

Ô Delaware ! Ô fortuné rivage !
Qui n'enviroit & tes lois & tes mœurs ?
La Liberté, la Paix & ses douceurs
Sont de Franklin le bienfaisant ouvrage.

Il affranchit cet immense hémisphère
Par son génie & ses mâles vertus ;
Des rois il vit les trônes abattus ;
Aux immortels il ravit leur tonnerre !

Plane sur nous, ombre chère & sacrée ;
Verse en ces lieux l'esprit républicain ;
Parle à nos cœurs,… Tu le ferois en vain,
Si nos vertus n'assuroient sa durée.

Ce front blanchi par des veilles profondes,
Que l'olivier le couronne en ce jour !
Et que nos chants d'allégresse & d'amour
Disent son nom & sa gloire aux deux Mondes.

                                            


À Voltaire

Air : Triste raison

Père immortel de Brutus & d'Alzire,
Toi qui régnas sur le sacré vallon,
Viens m'inspirer ; daigne accorder ma lyre ;
Soutiens ma voix, & sois mon Apollon !

Viens habiter ces voûtes fraternelles,
Temple chéri de notre Liberté ;
Et donne-nous les leçons immortelles
Des Lois, des Mœurs & de l'Égalité.

Par tes écrits & brûlans & sublimes,
Le fanatisme expira de fureur ;
Et la Raison, de ses droits légitimes
Fit la conquête en terrassant l'Erreur.

Aux préjugés ta plume fit la guerre,
Elle écrasa ces superbes Titans ;
La Liberté reparut sur la terre,
Et pour jamais l'affranchit des tyrans.

Du Mont Jura tu bannis l'esclavage ;
Ton cœur frémit du meurtre de Calas ;
Ta voix, ton or vengèrent cet outrage,
Et l'opprimé se sauva dans tes bras.

Pour ton triomphe & ton apothéose,
Entends nos chants, applaudis à nos vœux ;
Puisque ta cendre au Panthéon repose,
Tes traits du moins embelliront ces lieux.

                                            


À Buffon

Air : Avec les jeux dans le village

Quel tribut de reconnoissance
Envers toi peut nous acquitter ?
Tu fis la gloire de la France,
Ses muses doivent te chanter.
Si ton génie honora l'homme,
Buffon, d'après mon propre cœur,
Je dis que le Buffon de Rome
Eût été ton admirateur. (bis)

Interprète de la Nature,
Tu lui dérobas ses secrets ;
D'une touche nerveuse & sûre
Ta main la peignit à grands traits.
Du chaos d'une nuit profonde,
On vit jaillir l'éclat du jour :
Qui fit les époques du monde,
A bien des droits à son amour. (bis)

Les préjugés dans les ténèbres
Rentrèrent devant ton flambeau ;
Ces tyrans trop long-temps célèbres,
Dorment dans la nuit du tombeau :
La Raison, la Philosophie
Te doivent leurs brillans succès,
Et ta douce philanthropie
A laissé d'immortels regrets. (bis)

Ton nom, tes écrits & ta gloire
Iront aux siècles à venir ;
Placée au Temple de mémoire,
Ton image doit l'embellir.
Tu vécus l'ami de ces sages ;
Les mêmes honneurs te sont dus :
Peut-on distinguer les hommages
Où règnent les mêmes vertus ?

Pensée de Confucius

La vertu naît dans tous les rangs ;
Mais si, dépourvu de talens,
Le noble encor languit sans énergie,
Dans le peuple éclairé, l'on doit choisir les grands,
Et dispenser les emplois au génie.

                                            


À Jean-Jacques Rousseau

Air : Alix & Alexis

Peintre touchant de la Nature,
L'ami des mœurs,
Rousseau vit dans cette peinture,
Et dans nos cœurs.
Offrons des couronnes civiques
À ce mortel,
Et consacrons par nos cantiques
Ce simple autel.

L'homme par lui connut son être
Qu'il ignoroit ;
Avili sous le joug d'un maître,
Il soupiroit.
Jean-Jacques vint, & son génie
Le dessilla ;
Et de sa longue léthargie
Le réveilla.

Il sut agrandir la science
Du cœur humain :
Le peuple est (dit-il) par essence
Seul souverain.
Le despote avec sa magie,
Tient le haut bout ;
Mais la saine Philosophie
Nivelle tout.

À l'homme il peint en traits de flamme
Tous ses pouvoirs ;
Il sait faire aimer à la femme
Tous ses devoirs :
À peine devient-elle mère,
Qu'au même instant
Elle donne un lait salutaire
À son enfant.

Tendre amant de la solitude
Et de la paix,
Pour lui le vrai, sa seule étude,
Eut mille attraits :
Il se cachoit sous les ombrages,
Loin des cités,
Pour y méditer ses ouvrages
Toujours cités.

Ce sage dont Ermenonville
S'enorgueillit,
Vient habiter dans cet asile,
Qu'il embellit :
Brûlons à sa fidèle image
Un pur encens ;
Plus tard elle obtiendra l'hommage
De nos enfans.

                                            


Couplets civiques pour l'inauguration des bustes de Marat et Le Pelletier

Air : Charmante Gabrielle

Dans cette pompe auguste
Faut-il que les cyprès,
Peuple sensible & juste,
Attestent tes regrets !
Deux illustre victimes
Ont en ce jour
Des droits bien légitimes
À ton amour.

Espoir de la patrie,
Tendres adolescens,
Cette noble effigieLe Pelletier, qui a fait un Traité sur l'Éducation nationale
Réclame votre encens :
De sa sollicitude
Objets chéris,
Livrez-vous à l'étude
De ses écrits.

Suivez de ses ouvrages
Les utiles leçons ;
Il dit à chaque page :
« Soyez justes & bons ;
Hâtez-vous de reprendre
Vos droits perdus,
Mais cessez d'y prétendre
Sans les vertus. »

Peuple, masse imposante,
Qui n'obéis qu'à toi,
Entends la voix tonnante
Qui t'a proclamé roi :
Marat, tant qu'il respire,
Est ton ami ;
Et par lui ton empire
Fut affermi.

Ainsi qu'à son émule,
Le fer d'un assassin,
Sur la chaise curule,
Vint lui percer le sein :
Tous deux quittent la vie
Avec fierté,
Laissant à leur patrie
La Liberté.

D'une double couronne
Ceignons ces deux mortels ;
Nous leur devons un trône,
Dressons-leur des autels :
Consacrons la mémoire
De leurs bienfaits ;
Et que leur nom, leur gloire
Vivent à jamais !

                                            


Les images de la Liberté

Air : Hymne des Marseillais

Chantons, enfans de la patrie,
Les douceurs de l'Égalité ;
S'il est deux bonheurs dans la vie,
Le premier c'est la Liberté. (bis)
Voyez l'oiseau qui dans sa cage
S'agite du matin au soir ;
Il s'y nourrit du seul espoir
D'échapper à son esclavage.
Triomphe, Citoyens ! Dégagés de nos fers,
Chantons, chantons ; que les échos répètent nos concerts.

Le tendre enfant qui vient de naître
Se tourmente & pousse des cris ;
Il se plaint qu'au pouvoir d'un maître
Ses petits bras sont asservis. (bis)
À peine la main caressante
De celle dont il tient le jour,
Lui rend l'essor avec amour,
Qu'il montre une joie innocente.
Triomphe, Citoyens ! Dégagés de nos fers,
Chantons, chantons ; que les échos répètent nos concerts.

Échappé d'une source pure,
Je vois un limpide ruisseau ;
Il bondit, se joue, & murmure
Sur un gravier toujours nouveau. (bis)
Capricieux, libre & volage,
Il ne revient plus sur ses pas :
Liberté, tels sont tes appas,
Dont mes airs ne sont que l'image.
Triomphe, Citoyens ! Dégagés de nos fers,
Chantons, chantons ; que les échos répètent nos concerts.

Pour franchir cette onde fatale
Qui le retenoit dans les fers,
Jadis l'ingénieux Dédale
S'ouvrit un chemin dans les airs. (bis)
Tel fut le surprenant ouvrage
De l'amour de la Liberté ;
C'est la seule divinité
Digne d'inspirer le courage.
Triomphe, Citoyens ! Dégagés de nos fers,
Chantons, chantons ; que les échos répètent nos concerts.

Quel talent, quel art, quelle étude,
Quelle confiance en ses travaux,
De nos jours déploya Latude
Pour se soustraire aux noirs cachots ! (bis)
Il voit son projet téméraire ;
N'importe, il brave le péril ;
Auprès d'un si cruel exil,
La mort n'est rien, il la préfère.
Triomphe, Citoyens ! Dégagés de nos fers,
Chantons, chantons ; que les échos répètent nos concerts.

Vous que l'horreur du despotisme
Excite à voler aux combats,
Triomphans, brûlans de civisme,
Revenez bientôt dans nos bras ; (bis)
Tous heureux de votre victoire,
Dont le prix est la Liberté,
Nous chanterons l'Égalité,
Notre bonheur & votre gloire.
Triomphe, Citoyens ! Dégagés de nos fers,
Chantons, chantons ; que les échos répètent nos concerts.

                                            


Le Credo de l'honnête homme

Cultiver la Raison, chérir l'Égalité,
Aux lois, aux mœurs être fidèle,
Propager, affermir la douce Liberté,
Servir son pays avec zèle,
Instruire, consoler, aider l'humanité,
Du faible épouser la querelle,
Dépouiller la vertu de son austérité,
À tous les yeux la peindre belle,
Adorer dans son cœur la suprême bonté,
Imiter un si beau modèle ;
Voilà l'autel, l'encens que la divinité
Trouvera toujours dignes d'elle.

                                            


Inscriptions placées au-dessous des emblèmes de la République, dans la salle des séances de la Société populaire d'Avre-Libre (ci-devant Roye)

Au-dessous des Droits de l'Homme :

La vérité triomphe ; homme, voilà tes droits ;
Pèse-les sagement, gardes-en l'équilibre ;
Mais apprends que pour être libre,
Il faut être esclave des lois.

Liberté

Si de la Liberté le Français est jaloux,
Qu'il apprenne quelle est la raison éternelle,
Et qu'elle lui prescrit cette tâche si belle,
De ne nuire à personne, & d'être utile à tous.

Égalité

Ce niveau nous offre un emblème
Qui, peignant à nos yeux les préjugés vaincus,
Ne laisse qu'aux talens & qu'aux seules vertus
L'espoir de s'élever au-dessus de soi-même.

Unité

Cet essaim d'abeilles actives
Travaillant à l'envi pour l'intérêt commun,
Donne aux républicains ces leçons instructives :
Que nul ne soit oisif, & que tous ne soient qu'un.

Indivisibilité

De ces dards enlacés, l'énergique leçon
Nous prévient du danger de s'isoler soi-même ;
Serrons-nous, aimons-nous ; c'est là le bien suprême :
La force naît de l'union.

 
 

Sources