Dithyrambe sur la fête républicaine du 10 août

Auteur(s)

Année de composition

s.d.

Genre poétique

Description

Texte

Liberté ! Liberté !
Reconnaissez le peuple, et sous sa majesté,
Profanes, abaissez un œil épouvanté !
Soleil ! Verse à flots d'or une clarté nouvelle,
D'un azur enflammé que l'éther étincelle !
Jette un regard d'amour sur ce jour fortuné !
D'un spectacle sacré la pompe solemnelle
Doit retenir ton char dans l'Olympe étonné !

Qu'as-tu vu dans ta course, œil éclatant du monde ?
Une chaîne éternelle embrassait l'univers.
De l'homme enseveli dans une nuit profonde,
Le vautour de l'erreur ensanglantait les fers.

Disparaissez, tables antiques,
Croulez, marbres religieux ;
Renversez-vous autels iniques,
Tombeaux des droits de nos aïeux !
D'un code impie et parricide
Éteignons le flambeau livide !
Il fut, sous la main des pervers,
Semblable à l'étoile orageuse,
Dont la clarté fallacieuse
Brille sur des gouffres ouverts.

Vous avez trésailli sous votre tombe émue,
Ô mânes saints ! Licurgue, et toi divin Platon !
Vous revivrez : un sage a pris votre crayon,
Et de l'Homme agrandi le front touche la nue.

Le peuple est tout : lui seul féconde
Ce globe, en l'espace emporté ;
Il est le Créateur du Monde ;
Il fait sa force et sa beauté.

Lui seul sur la terre embellie,
Attire les regards des cieux ;
De ces sillons laborieux
Lui seul a fait jaillir la vie.

Son bras dressa ces murs, son bras creusa ces ports.
Il vole sur les mers… L'onde tumultueuse
Se courbe, et des tyrans la nef victorieuse
Promène de nouveaux trésors.

Salut, ô souverain ! Tressons pour ta couronne
L'or des épis, les diamans des fleurs !
Gerbes, élevez-vous en trône !
Ô terre, incline-toi sous ses pas bienfaiteurs !

Semblable à cette âme éthérée,
Qui circule, s'étend, pénètre tous les corps,
Qui de la matière épurée
Moule les accidens, anime les ressorts ;
Il verse autour de lui le mouvement, la vie ;
Les métaux sont domptés, et la pierre est polie ;
Les élémens vaincus cèdent à son génie ;
L'univers se balance en des flots de clarté ;
L'espace se remplit de son immensité !

Oui, tout est plein du Dieu !… Ces marbres, ces portiques,
Cet arc triomphateur,
Pour lui, s'arrondissant en cintres magnifiques,
Annoncent sa présence, étalent sa grandeur.

Suspendons à leur voûte sainte
Ces instrumens sacrés de plaisir, de travaux ;
Que la charrue anoblisse l'enceinte,
Toujours une gloire usurpée
Se dresse avec effort pour s'agrandir aux yeux ;
Mais le peuple est sa pompe ! Altier, majestueux,
Il paraît, il étend, colosse impérieux,
Une main sur le soc et l'autre sur l'épée.

Son sang rougit les champs trempés de ses sueurs,
Il a pris pour lui seul tout le faix des malheurs,
La peine, les dangers, ont été son domaine !
Les plaisirs sont pour vous, obscurs blasphémateurs !…
Il vous donne la vie et prodigue la sienne !…
Tu vas être vengée, auguste pauvreté :
Votre père, ingrats, votre maître
De tous les biens qu'il a fait naître
Ne sera plus déshérité !

L'esclave qui cachait ses destins dans la poudre
Se relève, en ses mains il balance la foudre ;
Il étale, orgueilleux, toute sa dignité,
Remonte à sa hauteur, ressaisit l'existence,
Vous laisse à votre nudité ;
Vous, grands de ses bienfaits, hardis de son silence,
Que vous restera-t-il ? Le crime et l'insolence.

Tel un lac réfléchit la lumière des cieux,
Se peint de ses rayons, et se couvre de feux :
De ces feux empruntés au loin resplendissante
L'onde en nappes d'azur se roule étincelante ;
Mais bientôt sur son char, dans les airs emporté,
L'astre dispensateur retire sa clarté.
Le lac n'exhale plus qu'une vapeur grossière,
Il ne s'embellit plus d'une pompe étrangère ;
Du pâle voyageur le bord est évité ;
De la contagion le ministre perfide,
L'Autan désolateur de son haleine aride
Y promène un germe infecté ;
C'est un gouffre fangeux par la mort habité !

Ô chaumes vénérés, temple de l'Homme utile,
Vous vous agrandissez des débris des palais ;
Que pour vous l'abondance, au sein d'un doux asile,
D'une urne intarissable épanche ses bienfaits,
Que les dieux soient absous ! Une lente justice
Déchire le bandeau de l'aveugle Plutus,
Il verse aux malheureux un rayon plus propice,
Il donne la main aux vertus,
Il sourit à nos champs, & nos champs plus fertiles
Consolés et vengés, ont vu du sein des villes
Fuir le luxe dévorateur ;
Le luxe, cet astre perfide
De la destruction rapide
Étincelant avant-coureur. 

Ô sainte Égalité ! Ce fut sous ta balance
Qu'apparut aux mortels le premier âge d'or :
La terre a ressenti ton heureuse influence,
Ces temps recommencent encore.
Sur l'émail des coteaux, de la grappe brillante
L'azur rit sous le pampre étonné de son faix ;
La gerbe, dans la plaine, à flots d'or ondoyante,
De ses épis nombreux balance les forêts !
Est-ce Flore ou Cérès qui nous font ces prodiges ?
Non, non : disparaissez, ô fabuleux prestiges,
Devant l'austère vérité.
Les talens, les vertus, la féconde industrie,
Voilà tes dieux, ô ma patrie !
Voilà tes dons, ô Liberté !

Ainsi que la nue embrasée
Sur les monts sourcilleux lance tous ses éclairs,
Mais sur l'humble vallon épanche la rosée,
Les germes créateurs et les présens des airs
Ô Liberté ! Ta foudre étincelante
Brise le front de l'oppresseur,
Tandis que ta main bienfaisante,
Verse sur l'opprimé l'espérance et les fleurs.

Soleil, reprends ta course, et vas redire aux trônes
Qu'un tonnerre prochain menace les couronnes :
Qu'au seul récit de nos vertus,
Sur leurs fronts pâlissans, tous ces rois éperdus,
Agités par les Tysyphones,
Cherchent le diadème, et ne le trouvent plus.

 
 

Sources

BNF, Ye 5336.