Épître à M. de Parny, qui m'avait donné un exemplaire de ses œuvres
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Paratexte
Texte
Poète harmonieux, dont la lyre sonore
Donne un lustre immortel au nom d'Éléonore,
Ta main ajoute un prix au don que je reçois,
Et tu me rends nouveau ce que j'ai lu cent fois.
Qui m'eût dit que tes vers me plairaient davantage ?
Ton amitié m'est chère, ils en seront le gage.
De ce doux sentiment le germe précieux
Dès longtemps dans nos cœurs naquit sous d'autres cieux :
Ton enfance, enlevée à ton île africaine[1],
Vint aborder gaîment la rive armoricaine :
Tu parus au lycée où, docile écolier,
J'avais vu sans regret le bon du Châtelier[2]
Aux enfants de Jésus arracher la férule.
Le jeune Savary, notre ami, notre émule,
Qui trop tôt de la Parque a senti le courroux,
Sans penser à l'Égypte, y croissait avec nous.
Réunis un moment, l'aveugle destinée
Nous dispersa bientôt : ton île fortunée
Te rappela ; l'amour t'y réservait des fers :
Là ta première ardeur obtint tes premiers vers ;
Ces vers, que la beauté lit et relit sans cesse,
D'une heureuse Créole ont payé la tendresse.
Mais aux climats lointains, comme dans nos climats,
Il est, tu nous l'apprends, d'infidèles appas :
Il est des cœurs légers à Bourbon comme en France.
D'un élément perfide on y sent l'influence :
Eh ! Comment conserver des amours ingénues
Sur des rocs, entourés du berceau de Vénus ?
La parjure Vénus y sourit au parjure.
Mais les neuf chastes sœurs ont vengé ton injure.
Leurs voix ont modulé tes plaintives douleurs :
Tes chants, qu'elles dictaient, s'ouvrirent tous les cœurs.
Les larmes que versa ta jeunesse crédule,
Ont ce charme attirant des larmes de Tibulle,
Charme de la douleur, mélancolique attrait,
Que n'inspira jamais le plaisir indiscret !
L'esprit veut l'imiter ; mais après bien des peines,
Il sent avec dépit ses prétentions vaines :
Tout son art ne produit qu'un triste enchantement.
L'esprit et l'art avaient proscrit le sentiment :
L'ironique jargon, l'indécent persiflage
Prenaient, en grimaçant, le nom de bel usage ;
L'Apollon des boudoirs, d'un maintien cavalier,
Abordait chaque belle en style minaudier ;
Et tout fier d'un encens brûlé pour nos actrices,
Infectait l'Hélicon du parfum des coulisses.
Ce fut à qui suivrait ce bon ton prétendu ;
En écrivant, chacun trembla d'être entendu ;
Nos rimeurs à l'envi partaient en logogriphes ;
Nos Saphos se pâmaient à ces hiéroglyphes ;
Nos plats journaux disaient : c'est le ton de la cour !
Tu vins ; tu fis parler le véritable amour,
Ses transports, ses regrets, et la douleur touchante
D'un jeune cœur trahi par sa première amante.
Pour aimer la Nature, il suffit de la voir.
À tes chants, la beauté se sentit émouvoir ;
Et surprise à la fois d'entendre et d'être émue,
Contre le bel esprit désormais prévenue,
Oublia son ton leste et grivois sans gaîté,
Ses baisers, qu'en baillant reçut la volupté,
Pour Zelmis, pour Zirphé ses tristes fantaisies,
Et même le recueil de ses œuvres choisies.
Le bel esprit n'est plus ; son empire est fini :
Qui donc l'a détrôné ? La nature et Parny.
Sur les noms ombragés de lauriers poétiques
S'acharne, tu le sais, un monstre aux flancs étiques,
À la dent de couleuvre, aux griffes de vautour,
Ennemi des succès, de la gloire et du jour.
D'un destin plus heureux ta victoire est suivie :
Ta gloire, tes succès n'ont point armé l'envie.
Tes amis sont partout ; tes censeurs nulle part.
Tout, depuis l'ignorant, jusqu'aux maîtres de l'art,
Sans fiel, sans mais perfide, et te loue et t'admire.
Ah ! Sans doute l'amour, dont tu soutiens l'empire,
Qu'aujourd'hui presque seul tu sais peindre et sentir,
Des atteintes du monstre a su te garantir.
Son poète ne doit, pour l'honneur de ses chaînes,
Ne craindre d'ennemis, ni trouver d'inhumaines.
Et tu peux de ton maître oublier les faveurs !
Ton luth, organe heureux des plus douces langueurs,
Se tait ! Mais non : sans doute en secret il médite
Des chants nouveaux : l'amour au mystère l'invite :
Le bonheur sait garder un silence amoureux ;
Et tu seras discret aussi longtemps qu'heureux.
C'est quand Éléonore eût parjuré sa flamme,
Que nous fumes admis aux secrets de ton âme :
Constante, elle perdait son immortalité :
Quel encouragement pour l'infidélité !
Quand ta nouvelle amante aura fini comme elle,
À ton tour ne crains point de paraître infidèle :
Ne crains ni de briser, ni d'avouer tes fers.
Le Tibulle romain, qui renaît dans tes vers,
Tibulle, qui n'est point taxé d'humeur légère,
Après Délie, aima Némésis et Néère.
Et même un autre amour… mais le fils de Vénus,
Efface en rougissant le nom de Marathus.
Déplorons ces erreurs de l'ardente Italie !
Toi, si Néère enfin a remplacé Délie,
Si son cœur a changé, dis-nous tes feux trahis.
Un dieu met son espoir aux maux dont tu gémis :
Ses temples sont déserts, et l'ennui l'y dévore ;
Mais on y reviendra, si Parny chante encore.