Épître à un Anglais
Auteur(s)
Paratexte
Pièce de vers qui fut composée à Londres même quelques jours avant la déclaration de guerre
Texte
Fier Anglais, qui prétends de pleine autorité
À ton roi librement dire la vérité,
Il est des vérités qu'on peut aussi t'apprendre ;
Quand on prétend la dire on doit savoir l'entendre.
Je ne viens point, aigri par le fiel bilieux
Que tes pamphlets sur nous répandent en tous lieux,
Comme toi, de ses flots inonder quelques pages,
Rendre affronts pour affronts, outrages pour outrages ;
Non, je n'aurai jamais ce désir insensé :
Je suis vrai, je suis juste, et non pas courroucé.
Je sais quels dons t'a fait la prodigue Nature,
De tes fertiles champs j'admire la culture,
L'empire de tes lois sagement rigoureux,
Et ce travail actif, et ce commerce heureux
Qui fait d'une cité florissante et féconde
Le plus grand magasin des richesses du monde :
Il te fit triompher des mugissantes mers,
Affronter les combats, traverser les déserts,
Conduisit tes vaisseaux aux rives de Mélinde,
Et plaça sur ton front la couronne de l'Inde ;
Il sut récompenser les pénibles travaux
Des lettrés, des savants, de cent doctes rivaux,
Et des Newton penseurs, et des Milton sublimes,
Qui du monde et de l'âme ont sondé les abymes.
Ton informe Shakespear, agitant ses poignards,
Parut comme un géant sur l'horizon des arts ;
Et si tes Amphions, tes Zeuxis inhabiles,
Laissent traîner leur art sur des pieds trop débiles,
Du moins, le soutenant par des lisières d'or,
Ton roi semble à ses pas s'intéresser encor.
Mais quel prisme à tes yeux multiplie et colore
Le moindre des talents qu'Albion voit éclore,
Et des talents fameux qu'on voit briller ailleurs
Pour toi seul obscurcit les plus vives couleurs ?
Quel lustre ont nos héros auprès de tes grands hommes !
Combien Napoléon, dans ce siècle où nous sommes,
Seroit grand s'il étoit le héros d'Albion !
Mais il préside au sort de notre nation,
Minerve lui sourit, il est cher à Bellone ;
Tu le crains : sont-ce là des crimes qu'on pardonne ?
Par un contraire excès se laissant égarer,
Le Français autrefois ne sut que t'admirer.
Londres fut son modèle ; aux arts de ta patrie
De ses concitoyens immolant l'industrie,
La Cour même, la Cour et ses jeunes seigneurs
Adoptèrent vos goûts, vos usages, vos mœurs ;
Dès lors tout fut anglais : la ville et les provinces
Dans leur extravagance imitèrent nos princes ;
On singea de vos clubs la popularité,
Vos courses, vos paris, vos jokeis[sic], votre thé,
L'indécent négligé sur-tout fut à la mode ;
Le wiski[sic] remplaça la berline commode,
On prisa le porter ; tous nos vins indignés
Pour le punch et le rhum se virent dédaignés ;
Lyon, de ses velours, de sa brillante moire,
Par votre humble coton vit éclipser la gloire :
L'industrie expira ; tous ses canaux ouverts
Cessèrent d'aspirer l'or des peuples divers ;
Tandis que de vos mœurs mille fervents apôtres,
Par-tout les exaltant pour dépriser les nôtres,
Admiroient tout en vous, tout jusqu'aux fiers dédains
Dont vous gratifiez nos humbles citadins ;
Mais depuis qu'abjurant notre folie extrême,
Rendus par la Nature à nos goûts, à nous même,
Nous savons nous priser, je puis en bonne foi
Te donner un conseil en causant avec toi.
Je ne te dirai pas, Il faut, ne t'en déplaise,
Prendre nos tons, nos airs, notre gaieté française ;
Non, sois toujours penseur, grave, sombre, et pesant,
Puisque pour ton malheur tu n'es pas né plaisant.
Mais qui t'empêche au moins d'adopter des manières
Pour tous les étrangers moins inhospitalières ?
De ton accueil un peu réchauffe la tiédeur :
Allons, déride-toi, sois un peu moins boudeur,
Développe tes airs, prends un ton doux, affable ;
Ne peux-tu t'efforcer d'être un peu plus aimable ?
Regarde les Français, peuple accort et poli ;
Il t'offre sur ce point un modèle accompli :
À son brillant vernis, ses charmantes surfaces,
Il joint un fond solide, il joint l'utile aux grâces ;
Il répand sur sa vie un charme séducteur ;
Point de société sans ce dehors flatteur :
Et ce dehors te manque. Oui, tu blesses mon âme,
Oui, je sens contre toi que mon courroux s'enflamme
Quand je vois tes laidis[sic] errantes dans leurs chars,
Sans pouvoir attirer un seul de tes regards.
Il est dans ta journée un moment délectable ;
Ce fortuné moment, c'est celui de la table :
À peine le bouchon du Champagne nouveau
Part, vole, et fait monter sa mousse en ton cerveau,
Dans ses flots bouillonnants quand ton splene[sic] se noie,
Lorsque ta belle humeur un instant se déploie.
Je vois ces pauvres miss s'éloigner tristement,
Sans partager alors ton seul amusement.
Et tes lieux d'assemblée y faudra-t-il sans cesse
Étouffer dans les flots d'une importune presse,
Et, tout froissé d'un choc qui me tue à moitié,
D'un coude qui m'écrase implorer la pitié ?
Je me sauve, et plus loin mon malheur se consomme ;
Par la foule épargné, l'étiquette m'assomme ;
L'ennuyeux décorum, le flegme aux traits glacés,
Symétrisant ses airs tristement compassés,
La civilité fière, et ses phrases toisées,
Des mines qu'on ne vit jamais apprivoisées,
Me saisissent d'effroi, m'assiègent de frissons :
Mon cher Anglais, oublie un moment tes blasons ;
Préfère le plaisir à cette morgue étrange ;
Amuse-toi : combien tu vas gagner au change !
Veux-tu de tes hauteurs n'être plus entêté,
Viens jouir à Paris de la société ;
Pour te civiliser, viens ; nos femmes sont prêtes ;
Assiste à nos festins, vois nos brillantes fêtes :
C'est là que sans blesser l'esprit devient piquant ;
Là le bon mot égaie, et n'est jamais choquant ;
Là tu verras les rangs s'unir et se confondre
Par cette urbanité que l'on ignore à Londre[sic].
Aussi, vois les Anglais qui du sein de nos murs
Viennent se replonger en leurs brouillards obscurs,
Comme de notre heureuse et brillante folie
Ils préfèrent l'accès à ta mélancolie,
À ton splene[sic] assommant, à tes sombres plaisirs :
Mais si l'heureuse paix, si chère à nos désirs,
Vient à nous échapper, et si l'orage crevé,
C'en est fait, plus d'espoir ; adieu, mon pauvre élève :
Nous allons retourner dans les camps ennemis ;
Adieu ; mais cependant réfléchis, et frémis :
Vois les fleuves de sang, les plaines ravagées,
Les assauts, les combats, les villes sacagées[sic],
Tous les maux qu'ont causés tes ministres pervers :
Et pourquoi ces fléaux ? Demande à l'univers ;
C'est pour cueillir encore une moisson plus grande :
Oui, périsse l'Europe, et que Londres commande.
Eh bien ! Londres, s'il faut encore de son sang
Que la France blessée épuise tout son flanc,
Verse-le, mais frémis ; chacune de ses gouttes
Vers les plus grands succès va nous marquer des routes ;
Frémis, le vase est plein, il déborde, et je voi[sic]
Tous les flots de ce sang prêts à tomber sur toi.
Il n'est rien désormais que la France appréhende ;
Ses enfants sont armés ; tu sais qui les commande :
C'est celui que jamais sa gloire n'a trahi.
Vois les Germains battus, vois leur sol envahi ;
Vois les Alpes déjà, les Alpes dont les cimes
Ont tremblé sous le vol de nos aigles sublimes,
Qui ravirent la foudre à l'aigle des Germains ;
Aurois-tu présumé que ces hardis chemins
Ouvriroient aux Français les routes de la gloire ?
Bonaparte parut, et fixa la victoire :
À l'Autriche vaincue il commanda la paix ;
Toi-même la reçus, ambitieux Anglais :
Et déjà tu la crains ; je vois déjà tes flottes
Rappeler à l'envi leurs soldats, leurs pilotes,
Et j'apperçois[sic] la presse aux ongles ravisseurs
Traîner vers tes vaisseaux de nouveaux défenseurs.
S'il faut combattre encore, eh bien ! La France est prête :
Mais prévois-tu quel coup va fondre sur ta tête ?
Non ; tu ris, protégé par l'heureux bras de mer,
Gage de ton salut, et qui te rend si fier ;
Ton flegme dès long-temps ne croit plus aux miracles.
Mais, réponds, croyois-tu qu'en dépit des obstacles
Nos bronzes jusqu'à Vienne et jusques à Memphis
Iroient faire tonner leurs foudroyants défis ?
Quelles ailes, dis-moi, sur ces Alpes chenues
Ont porté nos soldats envolés jusqu'aux nues ?
Sur ces ailes bientôt nous volerons vers vous :
Préparez-vous bientôt à repousser nos coups.
Je sais trop que d'Yorck[sic], ce redoutable Alcide,
Nous aurons à braver la valeur intrépide,
La vaste expérience, et les hardis projets
Dont le Batave encore atteste les succès :
Sous lui je vois marcher vos forces militaires ;
Je vois se rassembler, brillants auxiliaires,
Vos ouvriers, les doigts encor blancs de coton,
Tous en guise d'outils prenant leur mousqueton,
Et quittant,dans le feu de leurs cœurs héroïques,
Pour la poudre des camps la poudre des boutiques ;
J'admire du soldat, sur-tout de l'officier,
Et la noble stature, et le maintien guerrier :
Si leur force répond à leur fière attitude,
Quel danger nous menace ! Oh ! Quelle inquiétude
Sauront nous inspirer ces boutiquiers soldats,
Guidés par tant de chefs vieillis dans les combats !
D'ailleurs vos parlements lanceront leurs tonnerres :
Vos Dundas et vos Pitts sont des foudres de guerres ;
Sans doute ils guideront la troupe et ses drapeaux
Comme ils guidoient jadis la taxe et les impôts,
Ces aimables impôts qui marchoient à leur suite ;
Leurs soldats iront bien, mais n'iront pas plus vite :
Et le brave Irlandais n'en attendez-vous rien ?
Il vous aime de cœur ; vous le traitez si bien !
Pour vous que de moyens, que d'immenses ressources !
Allons, mes bons amis, ouvrez toutes vos bourses,
Quittez tous vos bureaux et tous vos magasins,
Laissez là vos cotons, vos toiles, vos basins,
Pour défendre vos ports, pour équiper vos flottes.
Il est vrai que, malgré tout l'art de vos pilotes,
Il ne faut aux Français, pour franchir votre mer,
Qu'un calme, des bateaux, Bonaparte, et du fer.
Eh bien ! Soit : admettons qu'on aborde en votre isle[sic] ;
Qu'en doit-il arriver ? Contre un vous serez mille :
Qu'est-ce que Bonaparte et cent mille soldats
Contre vos fabricants endurcis aux combats,
Enflammés du désir de sauver leurs familles,
Leurs métiers, leurs cotons, leurs femmes, et leurs filles ?
Vos fonds pourront baisser, votre dette croîtra ;
Vos provinces crieront, l'argent disparoîtra :
La misère chez vous pourra sembler extrême,
J'en conviens ; mais la banque ira toujours de même.
Vos ministres par vous seront portés au ciel,
Sur-tout s'enrichiront ; c'est là l'essentiel ;
Et contre nos efforts si leur sagesse échoue,
Si nous réussissons, il faudra qu'on l'avoue,
Ils n'auront aucun tort, la faute est au destin.
Mais pourquoi ce courroux ? Bon ! Tu parles enfin ;
Terminez, me dis-tu, ces plates momeries :
C'est par de bons vaisseaux, non par des railleries,
Qu'il faut nous menacer, et tenter un effort ;
Oui, sans eux contre nous vous aurez toujours tort ;
La descente pour vous est un point impossible.
Tu le veux, j'y consens, mon erreur est visible ;
Mais ce puissant moyen crois-tu qu'il soit le seul ?
Du quinzième Louis le triomphant aïeul
De ses vaisseaux brisés vit les ondes couvertes,
Les vit foudroyer tous, et répara ses pertes.
As-tu donc oublié quels furieux combats
Ont rougi de ton sang la mer d'Algésiras ?
Ne pouvons-nous armer plus d'une flotte amie ?
Ne pouvons-nous livrer à la course ennemie
Tous ces mille vaisseaux qui viennent dans tes ports
De l'Inde tributaire apporter les trésors ?
Butiner en tous lieux ces biens que tu moissonnes ?
De ton commerce alors vois crouler les colonnes ;
Vois-les en t'écrasant rouler tous leurs éclats
Au gouffre que ta dette a creusé sous tes pas ;
Ignores-tu combien, malgré leurs pompes vaines,
La fortune se rit des vanités humaines ?
Aimant à renverser le plus solide espoir,
Bâtissant le matin, démolissant le soir ;
Si tu braves ses coups, cette folle déesse
Peut d'un pied dédaigneux renverser ta richesse ;
Elle peut la détruire aux plus lointains climats,
Briser de tes vaisseaux les cordages, les mâts,
Les vergues, les aubans[sic], engloutis sous les ondes ;
Elle peut contre toi soulever les deux mondes.
Et ne suffit-il pas à ton ambition
De traiter en égal avec ma nation,
De commander en reine à l'Inde tributaire,
D'échanger tes trésors aux deux bouts de la terre ?
Mais tu veux régner seule ; eh bien ! Tu périras :
Oui, j'en jure par vous, héros d'Algésiras ;
Nous saurons imiter vos éclatants courages ;
De mille affreux pamphlets on verra les outrages
Recevoir une fois leur légitime prix,
Et la vengeance enfin succéder aux mépris.
Mais d'écrire, dis-tu, la liberté nous reste,
Rien n'y peut attenter. Ô ! Liberté funeste
Qui peut faire égorger des millions d'humains !
Oui, ta presse, elle est libre, et des plus vils faquins
L'encre y peut à longs flots verser l'ignominie ;
Elle est libre, d'accord, puisque la calomnie
Y peut injurier le héros triomphant
Qui contre tes fureurs nous arme et nous défend ;
Elle est libre, elle peut nous conseiller des crimes,
Et des empoisonneurs proclamer les maximes ;
Elle peut de poignards ouvrir un arsenal ;
De la guerre allumer l'exécrable fanal ;
En des gouffres de maux plonger encor le monde.
Ô lâches écrivains ! De quelle fange immonde
L'enfer a-t-il formé vos détestables cœurs
S'ils ne frémissent pas de toutes ces horreurs !
Mais sur quel vil objet mon courroux se déchaîne ?
Qu'importent ces agents d'une implacable haine ?
Le mal vient de plus haut ; plus haut sont soudoyés
Ces libelles impurs dans la France envoyés ;
Plus haut l'assassinat va puiser ses maximes,
Aiguiser ses poignards, et préparer ses crimes ;
C'est plus haut que la haine, en prenant son essor,
Lance le cri de guerre… Eh bien ! La guerre encor,
Dit la France, assurée en sa force invincible,
La guerre, a répété de son rocher terrible
Malte, qui ne veut plus se livrer qu'au vainqueur
Des deux peuples tout près d'allumer leur fureur.
La guerre… En vain Neptune, étendant ses barrières,
Roule autour d'Albion ses flots auxiliaires :
Albion connoîtra le Français irrité,
Et saura, mais trop tard, respecter un traité.