Adieux d'un député de l'Assemblée nationale constituante à la ville de Paris

Année de composition

1791

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Musique

Paratexte

Texte

Adieu, cité bruyante, où depuis deux années,
J'ai traîné lentement mes pénibles journées !
Théâtre varié des talents, des erreurs,
Et des grandes vertus, et des grandes fureurs,
Adieu ! Dans mes foyers désormais plus tranquille,
Je vais chercher l'abri d'un solitaire asile :
Là, dépourvu de soins, surtout d'ambition,
Trouvant dans les beaux-arts ma seule passion,
Je saurai ressaisir, au sein de la Nature,
Les plaisirs délicats, trésor d'une âme pure,
L'étude, le repos, l'aimable obscurité,
Et le premier des biens… la médiocrité ;
Laissant errer en paix mes douces rêveries,
Seul au fond de mes bois, le long de mes prairies,
Plaçant devant mes yeux le passé, l'avenir.
Combien d'objets viendront frapper mon souvenir,
Alors que, reportant mes pensées en arrière,
Je me retracerai l'orageuse carrière
Que j'ai finie enfin après tant de débats,
De fatigue et d'ennuis, de trouble et de fracas !

Tantôt il m'a fallu, contre les privilèges,
Les préjugés divers, les complots sacrilèges,
Lutter pour conquérir l'auguste liberté
Ce charme précieux de la société.
Les rois en dépouillaient les nations séduites :
Maintenant par nos soins elles sont mieux instruites,
Et l'univers entier, rentrant dans tous ses droits,
Limitera bientôt l'autorité des rois.

Tantôt j'ai combattu pour protéger le trône…
De faux amis du peuple attaquaient la couronne :
Nous, du peuple et du roi défenseurs tour à tour,
Nous l'avons maintenue… Et peut-être qu'un jour,
Lorsque, sévère et vrai, le burin de l'histoire
Aura marqué nos rangs au temple de mémoire,
Lorsqu'il aura chassé les nuages épais
Dont la haine aujourd'hui veut couvrir nos bienfaits
Ce fait surnagera sur le torrent des âges ;
Il nous vaudra toujours d'honorables suffrages ;
Et de ces vils propos contre nous inventés,
Seul il démontrera toutes les faussetés.

Nous avons donc des lois !… Eh ! Puissions-nous les suivre !…
Un bonheur tout nouveau sans peine nous enivre ;
Les plus sages alors se laissent égarer ;
Mais il faut que la loi vienne nous éclairer,
Et que son règne heureux, trop peu puissant encore,
De nos brillants destins fasse naître l'aurore.

Citoyens, écoutez un véridique ami,
Qui, dans la liberté pour jamais affermi,
Sait aussi qu'il en faut modifier l'usage ;
Faisons de ce devoir le noble apprentissage…
Sans doute il fallut bien, pour dériver nos fers,
Pour dissoudre à la fois tous les abus divers,
De nos cœurs indignes suivre l'effervescence :
Mais on doit désormais réprimer la licence ;
Sinon, tous nos travaux devenant superflus,
Ne produiraient bientôt que des malheurs de plus…
Telle est, ô citoyens ! La vérité fidèle :
Il est temps qu'aujourd'hui l'on vous occupe d'elle ;
Il est temps que le calme habite nos remparts,
Et ramène avec lui le bon ordre et les arts.

Pour moi, qui, travaillant à dissoudre nos chaînes,
Me suis vu menacé déjà par bien des haines,
Dussé-je aussi trouver des calomniateurs
Parmi ces intrigants, adroits adulateurs,
Qui caressent le peuple en captant son suffrage,
On ne me verra point démentir mon langage…
Voilà ce que partout répétera ma voix :
Pour être libre, il faut être esclave des lois.

J'ose espérer qu'un jour ces maximes austères
Dans le cœur des Français seront héréditaires,
Et que ces mots cruels, guerre, proscription,
Seront ainsi changés, paix, bonheur, union
Alors ceux d'entre nous qui parmi tant d'intrigues,
Loin de tous les partis, des complots et des brigues
Firent le bien… du moins le voulurent toujours,
Ceux-là (si le trépas n'a point tranché leurs jours)
Auront de leurs travaux la douce récompense ;
Leurs yeux verront enfin la pleine jouissance
Des plans restaurateurs que nous avons tracés…
Ah ! Quels maux à ce prix ne seraient effacés !

 
 

Sources

Almanach des Muses de 1792, ou Choix des poésies fugitives de 1791, Paris, Delalain, 1792, p. 185-188.