Épître aux sans-culottes
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Paratexte
Ne cede malis : sed contra audentior ito.
Virg.
Texte
Favoris de la Liberté,
Vous dont la courageuse audace
Jura d'exterminer la race
De ces tyrans dont l'immoralité,
Le sot orgueil, la vanité,
La capricieuse arrogance
Et la féroce cruauté,
Sous le titre de majesté,
Ont si long-temps du poids de leur puissance
Écrasé froidement la triste humanité ;
Fiers amis de l'Égalité,
Braves républicains, vertueux sans-culottes,
Intrépides soldats, magnanimes héros,
Contre ces insolens despotes
Marchez, déployez vos drapeaux !
Déjà la trompette guerrière
De ses sons éclatans fait retentir les airs ;
Bellonne rouvre la carrière
Où bravant les hasards, affrontant les revers,
Embrasés de ce feu civique
Qui va bientôt ranimer l'univers,
Vous fîtes triompher par mille exploits divers
Les armes de la République.
Accourez, généreux soldats,
Dignes enfans de Mars, remplissez son attente,
La Liberté vous rappelle aux combats ;
Accourez : que sa voix brûlante
Électrise, enflamme vos cœurs !
Hâtez-vous, braves défenseurs
De l'humanité gémissante,
Volez, formez vos légions ;
Et précédés de ce tonnerre
Qui fit tomber les murs de Mayence et de Mons,
Partez… allez purger la terre
Des Phalaris, des Gérions.
Renversez leurs trônes de lave ;
Écrasez leurs sceptres d'airain ;
Brisez les fers du genre humain ;
Détruisez jusqu'au nom d'esclave !…
Tels étoient, ô Français, les triomphes brillans
Dont vous deviez parer les fastes de l'Histoire !…
Oui… Vous auriez volé de victoire en victoire
Si les suppôts obscurs, si les lâches agens
Du despotisme et de la tyrannie
Ne pouvant repousser vos coups,
N'eussent dirigé contre vous
Les poignards de la perfidie.
La Liberté, l'amour de la patrie,
L'intrépidité, la raison,
Tout concourroit à vous rendre invincibles.
Mais peut-on éviter les flèches invisibles
Que nous lance la trahison ?…
Français, si de votre courage
Des revers imprévus pouvoient dompter l'ardeur,
Que la vertu, dans votre cœur,
Fasse naître une sainte rage,
Une salutaire fureur.
En vain des tyrans de l'Europe
La lâche coalition
D'un peuple libre et philanthrope
Médite la destruction :
Les esclaves de la Russie,
Les satellites d'Albion,
Les bourreaux de la Germanie,
Les phalanges, les bataillons,
Les bandes de ces viles satrapes
Fuiront devant nos légions,
Tomberont sous le fer des vainqueurs de Jemappes.
Non, ce n'est point le nombre des soldats
Qui peut balancer la victoire :
La Liberté, la Patrie et la Gloire
Décident du sort des combats.
Intrépides soutiens de notre indépendance,
S'il falloit des motifs pour embraser vos cœurs
Du feu sacré d'une juste vengeance ;
Rappellez-vous, généreux défenseurs,
Rappellez-vous ces jours à jamais déplorables,
Ces jours où de Brunswick les brigands exécrables
Brûlant de se baigner dans le sang des Français,
Poussés par l'appât du pillage,
Portèrent dans nos champs, la flamme et le carnage ;
Ces jours où fiers d'une ombre de succès,
Ces monstres, se livrant aux plus affreux excès,
Dans leur délire sanguinaire,
Perçoient d'un même coup et l'enfant et la mère,
Égorgeoient les vieillards, et sur leurs corps sanglans
Déchiroient de leurs fils les membres palpitans ;
Ces jours où dans Francfort ces lâches mercenaires,
De leur maître inhumain servant la cruauté,
Poussèrent la férocité
Jusques à mutiler nos frères !…
À cet excès d'atrocité,
Peuple, connois les rois , connois leur influence !
Aux armes !… Hâte-toi d'user de ta puissance ;
Et pour punir enfin ces lâches attentats,
Lève-toi tout entier !… De tes braves soldats
Les mânes indignés te demandent vengeance !
Entends leurs cris plaintifs !… De la nuit des tombeaux
Ces cris ont troublé le silence ;
Hâte-toi d'écraser leurs infâmes bourreaux !
Oui, vous serez vengés magnanimes héros !
Vous le serez !… Notre ardente jeunesse
Pour voler aux combats et s'agite et se presse :
Le désir d'apaiser vos mânes généreux,
De servir, de défendre et sauver la patrie,
D'anéantir la tyrannie,
Enflamme son cœur vertueux…
Au bruit de ses revers, devenu furieux,
Le peuple se lève et s'élance ;
Ses cris de rage et de vengeance
Ont frappé la voûte des cieux.
Frémissez, monstres odieux !
Si l'homme libre est grand au sein de la victoire,
Il est sublime au milieu des revers.
Fait pour étonner l'univers,
L'adversité met le comble à sa gloire.
Nous périrons plutôt que de porter des fers !
Nos sociétés populaires,
Dont les soins toujours salutaires
Au maintien de la Liberté,
Ont garanti l'Égalité
Des tentatives téméraires
Du despotisme ambitieux
Dont les complots insidieux
Osoient nous préparer de nouvelles entraves,
Contre vos vils troupeaux d'esclaves,
De sang, de carnage affamés,
Vomiront des torrens de citoyens armés.
Oui… pour vous réduire en poussière,
Pour vous anéantir, infâmes scélérats,
Des millions de héros, de soldats
Sortiront du sein de la terre.
La Liberté ne rétrograde pas :
Le fer, les feux, les revers, le trépas,
Rien ne peut l'arrêter dans ses progrès rapides ;
Et si vous détruisez les héros intrépides
Qu'un suprême ascendant entraîne sur ses pas,
Pour la venger, pour la défendre,
De nouveaux chefs et de nouveaux soldats,
Ainsi que le phénix renaîtront de leur cendre.
De vos esclaves soudoyés
En vain vous rassemblez les restes effrayés,
Tremblez ! Oppresseurs de la terre,
Les enfans de la Liberté
Lanceront tôt ou tard la foudre meurtrière
Qui doit venger l'humanité,
Au cours de vos forfaits, la raison, l'équité
Opposent leur double barrière.
L'horloge de l'Égalité
A sonné votre heure dernière.
Vos projets, vos efforts sont vains, sont superflus :
Tyrans ! Encore un jour, et vous n'existez plus.