Guerre des petits dieux, ou le Siège du Lycée Thélusson par le Portique républicain (La) / Mon Apologie
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Mots-clés
Paratexte
Poème héroïco-burlesque ; précédé de Mon Apologie, satire
Texte
Mon Apologie
Dialogue entre un membre de l'Institut et l'auteur
Le membre de l'Institut :
Arrêtez.
L'auteur :
Laissez-moi.
Le membre de l'Institut :
L'intérêt le plus tendre
M'amène près de vous.
L'auteur :
Faudra-t-il donc l'entendre ?
Tous ces mauvais auteurs s'attachent à mes pas.
Le membre de l'Institut :
Je suis de l'Institut.
L'auteur :
Je ne me trompais pas.
Le membre de l'Institut :
Recevez un conseil que l'amitié m'inspire :
Il en est tems encore, abjurez la satire.
Médire est un tourment pour tous les cœurs bien nés,
L'auteur :
J'ai vu par le public mes essais couronnés.
Le membre de l'Institut :
L'Institut a proscrit et l'auteur et l'ouvrage.
L'auteur :
C'est un crime à mes yeux d'obtenir son suffrage.
Le membre de l'Institut :
Au lieu de le braver, aspirez aux honneurs
Dont il comble, à son gré, nos plus fameux auteurs;,
Obtenez un fauteuil dans notre académie.
L'auteur :
Me préservent les Dieux d'une telle infamie !
Allez offrir ce prix à vos lâches flatteurs :
Ils ont trop mérité ces coupables honneurs,
Non ; jamais vos lauriers ne flétriront ma tête :
Si je n'ai le talent, j'ai l'orgueil d'un poète.
Vous ne me verrez pas, candidat suppliant,
Prostituer ma plume au crime triomphant,
Souiller les premiers pas d'une noble carrière,
Et, follement épris d'un éclat éphémère,
Briguer le déshonneur d'être assis parmi vous.
Le membre de l'Institut :
Jeune homme, réprimez un impuissant courroux.
Imitez mon exemple, et cessez de médire.
Jadis, d'un fiel amer empoisonnant ma lyre,
D'un trait vif et piquant j'ensanglantais les sots,
Et les faisais trembler au bruit de mes bons mots.
Flétrissant les talens, insultant au génie,
Sans cesse je criais contre la calomnie :
Vous m'en voyez rougir.
L'auteur :
Pour la première fois.
Le membre de l'Institut :
Apprenez, insolent, à respecter vos rois.
L'auteur :
Le savez-vous détruits pour vous mettre à leur place ?
Le membre de l'Institut :
Je pourrais, d'un seul mot, terrasser votre audace.
Ma Muse, hier encore, a dîné chez Merlin ;
Chez ceux qui l'ont chassé, je dînerai demain.
Tout Paris retentit du bruit de ma puissance ;
Et vous, rimeur obscur, vous bravez ma vengeance !
Tremblez ; c'est par l'exil que je punis un vers :
Interrogez Cayenne et ses affreux déserts.
L'auteur :
Je te reconnais là, douce philosophie !
Tes enfans, pour le crime, ont assez de génie.
Le membre de l'Institut :
Que leur reprochez-vous ?
L'auteur :
Tous les maux de l'État,
De l'empire français le vaste assassinat,
Sous un fer meurtrier la patrie expirante,
Dans la nuit des cachots la vertu gémissante,
Et l'innocence, en pleurs, peuplant les échafauds,
Et tout le sang versé par la main des bourreaux.
Grands Dieux ! Ils sont encor présens à ma mémoire,
Ces tems qui rougiront les pages de l'histoire ;
Jours à jamais fatals, où la pâle terreur
Glaça tous les Français d'épouvante et d'horreur.
Le signal est donné : la vengeance et la rage
Des enfers étonnés évoquent le carnage,
Et répandant au loin les alarmes, le deuil,
Convertissent la France en un morne cercueil.
On immole à la fois les enfans et les femmes ;
Les vieillards innocens sont jetés dans les flammes.
En vain le malheureux s'adresse à tous les cœurs ;
Dans des yeux desséchés trouverait-il des pleurs ?
Hélas ! Il n'en est point pour la vertu proscrite :
Jusques sous le couteau, la plainte est interdite.
Les bourreaux en forfait transforment un soupir ;
Le Français ne sait plus que tuer ou mourir.
Le crime est consommé : la patrie éplorée,
Sur des monceaux de morts tombant désespérée,
S'agite et se débat sous un fer assassin ;
Et ce sont ses enfans qui lui percent le sein !
N'as-tu pas entendu ces cris épouvantables,
Ces gémissemens sourds, ces plaintes lamentables ?
Vois le char de la mort où siège la terreur ;
Tout fuit à son aspect, tout est glacé d'horreur ;
Dans sa course rapide, il traverse la France ;
L'échafaud est son but ; son guide est la vengeance ;
Il s'avance, chargé de cadavres sanglans,
Et de sceptres brisés par les plus vils tyrans :
Le chemin qu'il parcourt est tout pavé de têtes,
Du crime triomphant effrayantes conquêtes.
Vois ce peuple assassin, à le suivre empressé,
Autour de l'échafaud à grands flots amassé ;
Cruel et furieux, au carnage il s'anime :
Vois-le, les yeux fixés sur sa pâle victime,
S'enivrer du plaisir de la voir expirer ;
Il boirait tout son sang, sans se désaltérer.
Le supplice est trop lent au gré de sa vengeance ;
Il appelle le meurtre, et son impatience
Accuse, en frémissant, la lenteur du couteau :
Le coup part, et la mort suit la main du bourreau.
Alors, tressaillant d'aise à cette horrible fête,
Sur ses doigts tout sanglans, il compte chaque tête ;
Et poussant dans les airs d'affreux rugissemens,
Outrage la victime en ses derniers momens.
C'est ce peuple ; c'est lui, dont la haine implacable
Fatigant sur Bailly sa rage infatigable,
Et de l'humanité violant tous les droits,
Avant qu'il expirât, le fit mourir cent fois.
Malesherbes, touchant à son heure dernière,
Dans les bras de la gloire achevait sa carrière.
Qu'il meure… C'en est fait, ce grand homme n'est plus ;
La hache a fait tomber un siècle de vertus.
Ce sont là tes forfaits, secte philosophique !
C'est toi, qui d'échafauds couvris la république.
Les chefs des assassins furent tes partisans ;
Aux pieds de tes autels, ils t'offraient leur encens ;
Robespierre et Collot, ensanglantant la France,
Invoquaient, de concert, ton nom et ta puissance.
Le membre de l'Institut :
À trop d'emportement, cessez de vous livrer ;
Déplorez nos malheurs, sans les exagérer.
L'auteur :
Peut-on exagérer, quand on trace vos crimes ?
Faut-il de leurs tombeaux exhumer vos victimes ?
Leur sang, leur sang vengeur ne se taira jamais ;
Jusques dans l'avenir il criera vos forfaits.
Le membre de l'Institut :
À mon humanité rendez plus de justice.
Jamais, de ces forfaits, mon cœur ne fut complice.
Eh ! Que n'accusez-vous ceux qui les ont commis ?
L'auteur :
Sont-ils moins criminels, ceux qui les ont permis ?
C'est vous, dont la fatale et lâche complaisance
Des bourreaux conjurés caressa la puissance ;
Dont la Muse a chanté, dans des vers imposteurs,
La sensibilité de nos Néron-penseurs.
Célébrez, j'y consens, leurs touchantes maximes ;
Que le nom de G*** attendrisse vos rimes.
Le docteur R*** est si compatissant !
G*** si sensible et si reconnaissant !
Lisez tous leurs écrits : quel aimable langage !
Le mot d'humanité s'y trouve à chaque page ;
Et si, par leurs discours, nous devons les juger,
C'est par humanité qu'ils nous font égorger.
Ô douceur sans égale ! Ô sagesse profonde !
Pour sauver un principe, ils détruisent le monde.
Leurs mains, sur des débris fondent l'égalité,
Et sur des échafauds, posent la liberté.
Effrontés prédicans de la philosophie !
Tyrans qui déclamez contre la tyrannie !
Ma plume, contre vous, soulevant tous les cœurs,
Vous dénonce à l'État comme ses oppresseurs.
Ennemis des vertus, ardens à les proscrire,
Vous n'avez qu'un talent, c'est celui de détruire.
Vos coupables succès ont ouvert tous les yeux ;
Le crime couronné paraît plus odieux :
Faibles, on vous plaignait ; puissans, on vous abhorre.
Le membre de l'Institut :
Qu'importe, l'on nous craint… Mais vous, si jeune encore,
Contre tant d'ennemis prétendez-vous lutter !
Et ne craignez vous pas ?…
L'auteur :
Que puis-je redouter ?
Qu'ils vomissent sur moi tous les flots de leur rage :
J'oppose à leurs poignards mes mœurs et mon courage.
Voilà mes défenseurs : où sont mes ennemis ?
Ils peuvent étouffer l'auteur et ses écrits ;
La Bastille, rouvrant ses horribles abîmes,
Peut dévorer encor de nouvelles victimes…
Inutiles efforts ! L'auguste vérité
Traverse des cachots la sombre obscurité.
Enfin, libre du joug qui la tient oppressée,
On voit, en traits de feu, s'élancer la pensée.
Faux sages, pâlissez ; tremblez, vils charlatans :
Elle éclaire le monde, et détruit les tyrans.
Le membre de l'Institut :
La vérité n'a point ce ton dur et farouche ;
Ces accens furieux ne souillent pas sa bouche.
D'autant plus éloquent qu'il va plus près du cœur,
Son aimable langage est rempli de douceur ;
Elle ignore ces mots de haine et de vengeance ;
Elle pardonne en mère à l'erreur qui l'offense ;
Et conjurant toujours, ne menaçant jamais,
C'est en persuadant qu'elle obtient des succès :
Telle est la vérité. Voulez-vous la défendre ?
Avant tout, à mon cœur sachez vous faire entendre.
Qu'une douce indulgence anime vos écrits,
Et de tous vos lecteurs vous fasse des amis !
Au nom du bien public, oubliez vos injures ;
Cessez de déchirer ces sanglantes blessures,
Que les bienfaits du tems pourront un jour guérir :
Qui ne sait pardonner, mérite de souffrir.
Ce n'est pas que toujours je blâme la satire ;
Il est même des cas où vous devez médire.
Frappez nos ennemis ; dans leurs cœurs criminels,
Enfoncez bien avant vos traits les plus mortels ;
Je verrai, d'un œil sec, expirer ces victimes :
L'amour de la patrie ennoblit tous les crimes.
Étouffer la nature, insulter au malheur,
Immoler les proscrits, c'est l'effort d'un grand cœur.
Outragez sans pitié les vertus les plus pures ;
Sur un pape expirant, versez des flots d'injures ;
Osez, géant superbe, escalader le ciel,
Et, jusques sur son trône, attaquer l'Éternel.
Pour hâter les progrès de la philosophie,
Tout vous sera permis, même la calomnie.
Mais braver l'Institut, dont, la prose et les vers,
Des Français, trop ingrats, ont su rompre les fers !
Insulter nos savans !… Ah ! Brisez votre lyre,
Ou sachez expier un coupable délire.
Vous outragez Mercier, le phénix des penseurs !
Vous ne respectez pas ses sublimes erreurs !
Sa plume, je l'avoue, inégale en son style,
Peut blesser quelquefois un lecteur difficile.
Cet écrivain-prodige, en ses tableaux nerveux,
Dédaigne, de vains mots, l'étalage pompeux ;
Et tout plein de Caton, son génie en extase,
Ne s'abaisse jamais à polir une phrase.
De ce rêveur profond ambitieux rival,
Garat, à l'Institut, marche seul son égal :
Condillac, tout entier, en ses écrits respire ;
Oh ! Qu'il vous instruirait, si vous pouviez le lire !
Et le grand Roederer, objet de vos mépris,
Savez-vous qu'il travaille au journal de Paris,
Et que, tous les matins, sa plume sur la terre,
Rivale du soleil, épanche la lumière ?
Lisez, lisez encor les Œuvres de Dupuy ;
Jamais on n'a pensé comme on pense aujourd'hui ;
Notre philosophie, en sa marche féconde,
De ses feux bienfaisans embrasera le monde ;
Vous serez renversés, chimériques autels,
Encensés trop long-tems par les faibles mortels.
Rien n'est sacré pour nous, et rien ne nous résiste ;
Nous voulons la lumière, et la lumière existe.
Voyez comme l'éclat de ses traits radieux,
Triomphant de l'erreur, dessillent tous les yeux.
Tombez, voiles obscurs ! Fuyez, vaines ténèbres
Qui couvrez l'univers de vos crêpes funèbres !
L'Institut est vainqueur : tout cède à ses efforts,
Et jusqu'à nos laquais, on ne voit qu'esprits forts,
Rends grâce, ma patrie, au soleil qui t'éclaire ;
De ses rayons naissans, tu jouis la première.
Ami, plaignons le sort de nos pauvres aïeux ;
Les bonnes gens croyaient qu'il existait des Dieux :
Et, privés du flambeau de la philosophie,
Ils rêvaient, insensés ! L'espoir d'une autre vie.
Il est évanoui ce prestige imposteur,
Nous ne caressons plus une funeste erreur ;
Et ces songes brillans ont passé comme l'ombre.
Quels prodiges nouveaux ! Quels miracles sans nombre
Descendent sur la terre avec la vérité !
Mère des grands talens, l'auguste liberté,
Des beaux arts éperdus animant le courage,
Rallume le génie éteint dans l'esclavage.
Déjà, pour célébrer nos Achilles nouveaux,
Les Homères français, saisissant leurs pinceaux,
Égalent, par leurs chants, l'éclat de la victoire ;
Le Portique s'élève, et du bruit de leur gloire,
Cournand, Valcourt, Piis, remplissent l'univers.
On commence à sentir le charme des beaux vers.
Du céleste Despaze, osant suivre les traces,
Baourd, enfant gâté de Phoebus et des Grâces,
Anime, sous ses doigts, un luth harmonieux :
Le chant du rossignol est moins délicieux.
Doux attrait du talent ! Pouvoir de l'harmonie !
Tous les Dieux, pour l'entendre, oublieraient l'ambroisie.
Vigée, autre soleil, de l'éclat de ses feux,
Au Pinde Thélusson, éblouit tous les yeux.
Chaque matin naissant, de sa plume féconde
Jaillit un triolet le plus joli du monde :
Ce sont de petits vers, respirant la douceur ;
De ces traits ravissans, dont le charme enchanteur
Se fait sentir sans peine, et ne saurait se rendre.
Sans les maudits sifflets, quel plaisir de l'entendre !
Eh ! N'avez-vous pas vu ces sifflets insolens,
Du Sophocle français, étouffer les talens ?
Mais, les siècles sont là pour venger ton génie.
Luce, attends leurs décrets, et foule aux pieds l'envie.
Traversant l'avenir, tes chef-d'œuvres nombreux
Feront passer ta gloire à nos derniers neveux.
Quels tems furent jamais plus féconds en merveilles !
Le théâtre français reproduit des Corneilles.
Voltaire n'est point mort : le sublime Chénier
À nos désirs ardens l'a rendu tout entier.
L'histoire a son Tacite, et l'ode ses Pindares.
Les grands hommes vraiment ne sont plus aussi rares.
On voit, en un seul jour, éclore mille auteurs,
Philosophes profonds, poètes, orateurs.
L'auteur :
Des poètes ! Grands Dieux! Ah ! Je vous en conjure,
À ce nom révéré, cessez de faire injure…
Des poètes ! Eh ! Quoi ! De fades prosateurs,
De maussades écrits insipides auteurs,
Usurpant les lauriers destinés aux poètes,
De la palme d'Homère ombrageraient leurs têtes
Et jaloux de l'encens qu'on rend aux Immortels,
Oseraient demander un culte et des autels !
Non… J'irai furieux au sein du Capitole
Détruire ces autels, et renverser l'idole.
Mais vous qui, flétrissant les lauriers d'Apollon,
Voulez en couronner les rivaux de Pradon,
Téméraire, apprenez quel est le vrai poète.
Des oracles divins l'organe et l'interprète,
Pour charmer les mortels, il emprunte à la fois
La lyre d'Apollon, son langage et sa voix.
Un feu sacré l'inspire, et l'agite et l'enflamme ;
Les vers, en traits brûlans, s'élancent de son âme ;
Abaissant sur la terre un regard dédaigneux,
Plein d'audace, il s'élève au sein même des Dieux,
Et des concerts divins respirant l'harmonie,
Au flambeau de l'Olympe allume son génie.
Ce n'est plus un mortel : un Dieu vit en son cœur,
Et dicte ses écrits, qu'embrase sa chaleur.
Que dis-je ! Le poète est un Dieu sur la terre :
Il bannit de ses chants un langage vulgaire.
Tout s'anime en ses mains : le charme de ses vers
De la nuit du chaos fait jaillir l'univers ;
Voyez comme à sa voix tout renaît : la nature
S'empresse d'étaler sa plus riche parure ;
Et la terre, à son-gré, variant ses couleurs,
Se change, sous sa lyre, en un tapis de fleurs.
Quel tableau ravissant ! Les nymphes demi-nues
Font briller, à l'envi, leurs grâces ingénues ;
Anacréon les voit, et leurs attraits touchans
Doivent un nouveau charme au pouvoir de ses chants.
C'est ainsi qu'un poète, animant ses ouvrages,
Offre aux jeux enchantés les plus vives images.
Puissance du génie ! Un vers audacieux
Du Parnasse usurpé fait tomber les faux Dieux ;
Aux Piis, aux Pradon, fait mordre la poussière ;
Sous le poids des sifflets, écrase Chabeaussière ;
Enveloppe de boue Amalric et Thuot ;
Peint Vigée expirant sous les traits d'un bon mot ;
Sur un Louvre odieux précipite la foudre,
Disperse Thélusson, met le Portique en poudre,
Et d'un second Molière, exhumant les travaux,
Ensevelit Chénier dans la nuit des tombeaux.
Le membre de l'Institut :
Quel est donc le démon qui vous force à médire ?
L'auteur :
Qu'ils se taisent.
Le membre de l'Institut :
Je crois qu'ils ont le droit d'écrire.
L'auteur :
J'ai celui de siffler.
Le membre de l'Institut :
À ces auteurs divers,
Vous ôtez le sommeil.
L'auteur :
Eh ! Qu'ils lisent leurs vers.
Mon âme est sans pitié pour ces rimeurs bizarres ;
Rien ne peut me fléchir. La pitié !… Les barbares !
En ont-ils donc pour moi, quand je lis leurs écrits ?
Muse, point de pardon, frappe mes ennemis ;
Et que tes traits sanglans, châtiment exemplaire,
Épouvantant les sots, les forcent à se taire.
Eh ! Pourrais-je applaudir aux crimes de leurs vers,
Flatter ces écrivains, prêchant dans les déserts,
Encenser l'Institut, adorer la sottise ?
Non…, tant de lâcheté répugne à ma franchise ;
Et dussé-je être un jour ou T***, ou pendu
Je le dis hautement, le bon goût est perdu.
Ils sont éteints, ces feux qui brillaient sur la France ;
Au génie, aux talens, succède l'ignorance ;
En fragile clinquant, l'or pur est converti.
Vengeons, vengeons enfin le bon sens avili.
Vains efforts ! À mes traits je vois les sots sourire :
Un Dieu, pour leur bonheur, a créé la satire.
Cotin, dans son cercueil, pourrirait ignoré,
Si, par grâce, Boileau ne l'en eût retiré.
Trop fortuné Gudin ! Ta muse inanimée
Doit au sel de Gilbert toute sa renommée.
Que, subissant le sort des malades nombreux
Livrés imprudemment à son art dangereux,
Cabanis, du trépas, soit enfin la victime ;
Mon vers part : à l'instant, sa cendre se ranime ;
Et l'heureux assassin, du fond de son tombeau,
S'élance, en méditant quelque meurtre nouveau.
Ô ciel ! Pardonne-moi, si ma plume hardie
À qui donna la mort a su rendre la vie.
Eh ! Voilà donc le prix des plus nobles efforts !
Du sommeil éternel nous réveillons les morts.
Quand, vengeur du bon goût, je signale Cubières
Habillant de larcins ses feuilles éphémères ;
Quand ma plume, lançant un vers accusateur,
Dévoile et met à nud ce squelette rimeur,
Le voyez-vous pâlir ! Tremble-t-il, le corsaire ?
Les vers qu'il a pillés, les rend-il à Voltaire ?
Non… Le larron sourit et d'un œil effronté
Contemple, sans effroi, sa maigre nudité ;
Mes écrits lui sont chers ; en secret il les loue :
Je ramasse son nom, qui traîne dans la boue ;
Ma plume s'en empare…, et ce nom détesté
Va peut-être passer à la postérité.
Le membre de l'Institut :
Consentez donc, enfin, à cesser de médire.
L'auteur :
C'en est fait ; pour jamais j'abjure la satire.
En dépit du bon goût, rimez impunément ;
Cotins, dormez en paix ; je vous rends au néant.
Auteurs de Thélusson, sans génie et Sans verve,
Insultez à la fois Apollon et Minerve ;
Vous ne m'entendrez plus, incommode censeur,
Blâmer de vos écrits l'insipide douceur.
Qu'à son gré, désormais, chacun de vous compose.
Baourd, sois sot en vers ; Lantier, sois sot en prose ;
Que l'insensé Mercier, que le pesant Dupuy,
Sur leurs pauvres lecteurs versent des flots d'ennui.
Dors, mon cher Dusausoir, aux doux sons de ta lyre :
Je ne veux plus troubler ton innocent délire ;
Exerce, sur des riens, tes sublimes talens :
On n'est pas criminel, pour manquer de bon sens.
Que le charmant Vigée, Ovide des caillettes,
Vante sa renommée, acquise à leurs toilettes,
Et que, le front meurtri de ses coups d'encensoir,
Il promène ses vers de boudoir en boudoir.
Que Luce, produisant un nouveau Périandre,
Pour punir les sifflets, nous oblige à l'entendre :
Je ne m'abaisse plus à de tels ennemis,
Indignes de mes coups, dignes de mes mépris.
Eh ! Du nom de Baourd, pourquoi salir mes rimes ?
Choisissons, désormais, de plus nobles victimes :
Leur défaite, du moins, honorera mes vers.
Le membre de l'Institut :
Croyez-vous étouffer la voix de l'univers ?
Ces hommes, dont les noms embellis par l'histoire,
En dépit de l'envie, escaladent la gloire,
Trouveront dans leur siècle un appui respecté.
L'auteur :
Eh bien ! Moi, j'en appelle à la postérité ;
D'un siècle corrompu que m'importe l'hommage ?
Je le méprise trop pour compter son suffrage.
Que de vils écrivains, lâches adulateurs,
La honte sur le front, mendiant les honneurs,
Fassent, pour y monter, un pacte avec le crime ;
Moi, dans le noble élan d'un orgueil légitime,
Je foule, avec dédain, ces honneurs flétrissans
D'un siècle raisonneur qui brave le bon sens.
L'on ne m'achète pas : ma plume, libre et fière,
Ne vend pas, pour de l'or, un encens mercenaire.
Mon âme est vierge encor : tous ces crimes heureux
Sont, malgré leur succès, des crimes à mes yeux ;
Et, sans être ébloui par l'éclat de sa gloire,
J'attaque l'Institut sur son char de victoire.
Les voyez-vous pâlir, ces fiers usurpateurs,
Des sottises du tems insolens défenseurs ?
Je les prends corps à corps, et montant sur leur trône,
À leurs fronts tout sanglans j'arrache la couronne.
Le membre de l'Institut :
La lutte est inégale ; il faudra succomber :
Qui s'élève si haut, est bien près de tomber.
L'auteur :
Il n'est pas de dangers pour qui cherche la gloire ;
Le péril, à mes yeux, embellit la victoire.
La Guerre des petits dieux
Table des matières
Chant premier
Chant deuxième
Chant troisième
Chant quatrième
Chant cinquième
Chant sixième
Des grands hommes du jour je vais chanter la guerre
Je dirai quelle rage arma nos beaux esprits,
Et quels auteurs fameux, tombant dans la poussière,
Allèrent, en mourant, retrouver leurs écrits.
Muse, d'un trait piquant anime ma satire
De tes vives couleurs embellis mes tableaux ;
Un instant, avec moi, ris aux dépens des sots ;
Eh ! Ne vaut-il pas mieux s'en moquer, que les lire ?
Dans le sein des plaisirs sans cesse renaissans,
Thélusson grandissait sous les yeux de la gloire ;
Et de ses propres mains couronnant ses enfans,
Dictait leurs noms vainqueurs aux filles de mémoire,
Bravait, d'un sot public, le murmure importun,
En prose ainsi qu'en vers, gouvernait le Parnasse,
Et, tenant d'Apollon et le sceptre et la place,
Jugeait tous les talens, sans en avoir aucun.
Un journal où l'encens fumait à chaque page,
Distribuait la gloire à tous les abonnés,
Ressuscitait leurs vers au néant condamnés,
Et trouvait des beautés dans le plus mince ouvrage.
Là, Calas et Gela, le Lord et Médicis,
Chef-d'œuvres immortels, sifflés par le parterre,
Une seconde fois revoyant la lumière,
Se consolaient entre eux de nos justes mépris.
Las ! Il n'est pas de bonheur sans nuage ;
Toujours le calme est voisin de l'orage.
Ô Thélusson ! Tes beaux jours sont passés ;
Un ennemi, fameux par son audace,
Intimidant tes enfans dispersés,
Va te ravir le sceptre du Parnasse.
Adieu, délicieux concerts ;
Adieu, soupers, où la troupe choisie
Buvait un vin rival du Malvoisie,
Et chantait de si mauvais vers,
Où, sans esprit, une heureuse folie
Fit quelquefois éclore une saillie.
Dans le vin, souvent un bon mot
Jaillit de la bouche d'un sot.
Du grand Despaze on célébrait la fête
Et chaque auteur au repas invité,
Pour honorer cet illustre poète,
Le verre en main, buvait à sa santé ;
Buvait beaucoup, mais mangeait davantage ;
Et des morceaux accusant la lenteur,
Sur chaque mets signalait son courage.
Quel appétit, qu'un appétit d'auteur !
On dîne bien, quand par hasard on dîne.
Après dîné, chacun voulant dormir,
Vigée chanta sur sa lyre badine
Des vers anciens qu'il croyait rajeunir.
Qui pourrait résister à sa douce harmonie ?
Déjà l'on entendait ronfler nos beaux esprits,
Ainsi que nous ronflons en pleine académie,
Quand Garat et Chénier nous lisent leurs écrits.
Soudain, la sombre Envie, au teint pâle et livide,
Sortant de l'Institut à pas précipités,
Et traversant Paris dans sa course rapide,
Fixa sur Thélusson ses regards irrités.
« Ils m'outragent, dit-elle, et bravent ma puissance ;
Jusques dans mon empire, ils méprisent mes lois ;
Mais je saurai détruire un calme qui m'offense ;
Je vengerai mon nom, je reprendrai mes droits.
Eh ! Quoi ! J'aurais donc vu, pour un chétif pupitre,
La Discorde agiter un illustre chapitre !
Et moi, qui suis l'Envie ! et moi, qui des savans,
Reçois à l'Institut et l'hommage et l'encens !
Par un tas de grimauds, je me vois outragée !
J'entends en frémissant leurs odieux concerts !
Ils s'endorment en paix, en récitant leurs vers !
Tremblez, sots écrivains, je vais être vengée ».
En achevant ces mots, qu'inspire sa fureur,
Elle prend de Baourd l'air hideux et farouche ;
Des flots d'un fiel amer lui sortent par la bouche ;
L'enfer, en la voyant, reculerait d'horreur.
En un instant, la Déesse empressée
Part, vole, arrive au milieu du Lycée.
« Lâches, réveillez-vous, et volez aux combats ;
L'honneur et l'intérêt y guideront vos pas ;
Un rival insolent, sortant de la poussière,
Sur le Pinde étonné veut partager vos droits :
Le Portique est son nom : son allure est grossière ;
D'un fade chansonnier il reconnaît les lois
Et ce vil embryon, dans son orgueil extrême,
Se prétend des écrits législateur suprême.
Il s'avance, et déjà, non loin de nos remparts,
Mes yeux ont vu flotter ses nombreux étendards.
De rage et de fureur, tous ses guerriers frémissent ;
Les cris affreux de mort, dans les airs retentissent,
C'est ainsi, Thélusson, qu'ils osent t'outrager ;
Mais tes braves enfans sont là, pour te venger.
Aux armes, mes amis ; dans les champs de la gloire,
La valeur des héros sait décider le sort :
C'est aux plus courageux que sourit la victoire,
Et le lâche, en fuyant, ne trouve que la mort.
Qu'attendez-vous ? Partez ; et moi qui sais médire,
Je vais sur l'ennemi lancer une satire ».
Elle dit : à l'instant, ces poètes guerriers
S'indignent du repos qui flétrit leurs lauriers,
Tous enflammés d'ardeur, et bouillans de colère,
Ne poussent qu'un seul cri ; c'est le cri de la guerre.
Ainsi, lorsqu'un héros, l'effroi des oppresseurs,
Chassa les vils tyrans qui régnaient sur la France,
Le bruit de ses exploits, sa guerrière éloquence,
Autour de ses drapeaux, unirent tous les cœurs.
Le Français abattu, retrouvant son courage,
Jura d'exterminer ces cruels charlatans,
Des peuples qu'ils trompaient, méditant le carnage.
Nous sommes tous soldats pour vaincre des brigands.
Je l'avouerai, je n'ai l'humeur guerrière ;
Dans ma famille on se plaît ici-bas ;
Comme le feu, redoutant les combats,
Je suis bon diable, et doux de caractère.
Bien malgré moi, conscrit pour mon malheur,
Avec ** j'ai fait une campagne :
L'orgueil, chez lui, surpassait la valeur ;
Il se croyait bâtard de Charlemagne.
Sans s'étonner, le Rhin vit ce guerrier
Exécuter ces savantes retraites,
Ces coups prudens, que le peuple grossier
Dans son jargon, appelle des défaites ;
Tournant le dos aux barbares du Nord,
Il les battait dans un pompeux rapport,
Et chaque jour, criant une victoire,
La plume en main, escaladait la gloire.
Pour terminer tous ses brillans exploits,
Ne sachant plus que faire,… il fit des lois.
C'est aujourd'hui la ressource commune,
De chute en chute, on tombe à la tribune.
La guerre, mes amis, est un de ces fléaux
Que tout homme sensible abhorre ;
Mais il faut convenir que certains généraux
En sont un plus cruel encore.
Aimable paix ! Rends enfin à nos vœux
Les jeux, les ris, et l'abondance.
C'est un héros, toujours victorieux,
Qui t'appelle au nom de la France.
Entends sa voix : la fureur des combats
N'a que trop ravagé la terre.
Que dans ton sein nos généreux soldats
Éteignent leur foudre guerrière !
Ô jour heureux ! Qu'il produira de vers !
À le chanter, tout l'Hélicon s'apprête ;
Vigé, lui-même, étonnant l'univers,
Vigé, dit-on, va devenir poète.
Mais, qui rendra la paix à nos pauvres rimeurs ?
Sur le Pinde, aujourd'hui, la guerre est éternelle ;
La plume et le papier ne vivent pas sans elle ;
Le fiel ne tarit pas dans l'âme des auteurs.
Ivre de vers, d'orgueil et de vengeance,
Les yeux en feu, respirant les combats,
De Thélusson la poétique engeance,
Vers ses drapeaux précipitait ses pas.
Dans un danger pressant, l'amour de la patrie
Remplit les cœurs bien nés d'une sainte énergie.
Le général, qui connaît son métier,
Parcourt les rangs de sa troupe ridelle.
Près de la porte, il place en sentinelle,
Des boulevards le peuple chansonnier,
Petits rimeurs, d'assez mince apparence,
Qu'on peut tuer, sans nulle conséquence ;
Car ces messieurs foisonnent à Paris
Plus il en meurt, et plus on en voit naître
De calembours ils sèment leurs écrits ;
À leur clinquant, on peut les reconnaître.
Chacun, dans un journal, sans être contredit,
Dépose, par quatrains, sa gloire fugitive ;
Ils ont, à les en croire, infiniment d'esprit :
Prions Dieu, mes amis, que leur bon sens arrive.
Car, entre nous, ces mauvais jeux de mots
Sont, aujourd'hui, la ressource des sots.
Léger, enfant gâté du badin Vaudeville,
Barré, comique auteur d'écrits qu'il croit malins,
Dirigent, en riant, cette troupe indocile ;
Le grelot de Momus est remis en leurs mains.
Un peu plus loin, se rangent à la file
Les lugubres auteurs des modernes romans,
Dont le génie, en fantômes fertile,
Ressuscite les morts pour troubler les vivans.
J'ai vu, saisi d'horreur, de leurs plumes coupables
S'élancer, tout armés, des bataillons de diables.
Heureux, si, traduisant les romanciers anglais,
Ces chantres des Enfers savaient parler français !
Mais de cent mots nouveaux l'indigent étalage
Offense, en leurs écrits, le goût et le langage.
Lemierre est à leur tête et leur donne des loix.
Dans quelle encre, grands Dieux, il a trempé sa plume !
Il parle… Le Ténare est docile à sa voix ;
D'ombres, de revenans, il grossit un volume.
Les Mystères d'Udolphe ont troublé son cerveau ;
Sur madame Radclife, en extase, il se pâme ;
Et, nourri des faveurs de cette horrible femme
Il pense une forêt, ou médite un tombeau.
On voit paraître, au centre de l'armée,
Le général et son état-major ;
Troupe choisie et de gloire affamée,
Dont Richelet est l'unique trésor.
Là, brillent à l'envi le pesant Chabeaussière
Avec son dur archet parodiant Homère ;
Laya, dont le pinceau fait sourire Néron ;
Chénier, dont le talent enlaidit Fénelon ;
Vigé qu'on a sifflé ; Luce qu'on siffle encore
Campagne, en mauvais vers, prêchant les bonnes mœurs ;
Le galant Dumoustier, dont les fades douceurs
Feraient haïr le Dieu qu'à Cythère on adore ;
Le léger Saint-Marcel, et Despaze le lourd ;
L'insipide Lantier, l'insipide Baourd ;
Fayolle, Mahérault, Villar, Lucet, Champagne,
Salverte, Petitain, Larnac et Charlemagne ;
Dusausoir et Creusé, Castel et Palissot ;
Andrieux, Mazoier, Chazet et Petitot ;
Grands hommes, dont les noms environnés de gloire
Embelliront un jour les pages de l'histoire.
Près d'eux, on voit marcher ces larmoyans auteurs,
Ces rimeurs avortons, dont la douce indolence,
Soupirant mollement une tendre romance,
Laisse échapper un vers tout humide de pleurs.
Au maintien grave et doux, à l'allure héroïque,
Tibulle-Coupigny commande ces guerriers ;
Il agite en ses mains le sceptre romantique
Et son front est courbé sous le poids des lauriers.
Ou laisse enfin, pour garder le bagage,
Quelques valets qui craignent les combats.
Brave **, surveille ces goujats :
Je réservais ce poste à ton courage.
Je crois en Dieu : c'est mon plus grand défaut.
(Ô Maréchal ! Quand je lis ton ouvrage
Où le bon sens trébuche à chaque mot,
Je suis tenté d'y croire davantage.)
Mais ce défaut, Rousseau l'a partagé
Le grand Voltaire, avec tout son génie,
Ne put jamais, quoiqu'il en eût envie,
Déraciner ce maudit préjugé.
Pauvres esprits ! Dans le siècle où nous sommes,
Qui ne sait pas, grâce à nos savans,
Que le hasard a créé tous les hommes ?
Honneur et gloire au siècle des talens !
Entendez-vous dans un coin de sa classe,
Ce vieux Lansberg
Crier, tremblant, et faisant la grimace :
S'il est un Dieu, pourquoi suis-je si laid !
Pour moi qui, partageant les erreurs du vulgaire,
Ne sais pas me parer du titre d'esprit fort ;
Moi qui, n'accordant rien aux caprices du sort,
Prétends qu'il est un Dieu qui lance le tonnerre,
Si j'étais roi, consul, ou directeur,
Je chasserais, bien loin de mon empire,
Ces vils grimauds, dont l'audace en délire
Ose insulter l'éternel Créateur.
Si, pour troubler le repos de la terre,
À mes voisins je déclarais la guerre,
Avec respect, j'invoquerais le bras
Du Dieu puissant qui préside aux combats.
« Plutôt cent fois invoquer tous les diables ! »
D'où partent donc ces cris épouvantables ?
Le Portique s'avance, et ses grossiers enfans
Font retentir les airs d'horribles juremens ;
Les b., les f., passent de bouche en bouche ;
De fureur et de vin, leurs yeux étincelans
Appellent la terreur sur leurs pas menaçans ;
Des ours du Nord l'aspect est moins farouche ;
Ils fondent pêle-mêle, et sans ordre et sans lois :
Rien ne peut contenir cette horde cynique ;
Tous veulent commander ; tous parlent à la fois ;
Aucun n'est entendu : c'est une République.
Enfin, perçant les cris de ces soldats bruyans,
Piis, par ce discours, entretient leur courage :
« J'aperçois, mes amis, sur vos fronts rayonnans,
D'un triomphe nouveau l'infaillible présage ;
Corbleu ! Nous rosserons ces petits rimailleurs,
De fades madrigaux insipides auteurs ;
C'est à nous qu'il convient de régner au Parnasse ;
Le trône fut toujours l'heureux fruit de l'audace.
L'audace et les talens ! Quels titres glorieux !
Avez-vous entendu mes chants sur l'harmonie ?
Voilà ce qu'on appelle une œuvre de génie !
Je suis dur, j'en conviens, mais je suis vigoureux ;
J'ai du nerf ». À ces mots, un sifflet téméraire
Étourdit l'orateur et se mêle à sa voix.
« Quoi ! dit-il, rougissant de honte et de colère,
Serait-il donc ici quelque soutien des rois ?
Quelque lâche suppôt du pouvoir monarchique ?
Oui, c'est un vendéen ; eh ! pourrais-je en douter ?
Qui siffle mes écrits, siffle la République.
Ah ! Traîtres ! À mes yeux, osez vous présenter.
Quos ego. – Quel est donc le démon qui t'inspire ?
Vieux bavard, dit Valcourt, as-tu bientôt fini ?
Es-tu de l'Institut, pour parler sans rien dire ?
Moi, je ne dis qu'un mot, attaquons l'ennemi ;
Mais, avant tout, buvons : le bon vin et la gloire,
Voilà les Dieux, amis, que nous adorons tous ».
Il dit : chacun répond : « Que l'on nous verse à boire,
Et que diables et Dieux combattent contre nous ».
La soif, en un instant, leur a donné des ailes ;
Tous, vers le cabaret, précipitent leurs pas ;
Et, célébrant Bacchus et ses faveurs nouvelles,
Tous, le verre à la main, préludent aux combats.
« Compagnons, dit Cubières, il me vient une idée ;
(À Cubières une idée ! Oh ! Le trait est nouveau !)
Avant que, par nos soins, la cave soit vidée,
Jurons tous, mes amis, jurons sur ce tonneau…
– De nous soûler demain, dit le sage Aristide…
– « Tais-toi, bouffon », reprit notre orateur,
Entre ses dents riant à contre-cœur.
« Jurons d'exterminer cette troupe perfide,
Qui, masquant ses desseins d'une feinte douceur,
Prétend donner des loix aux maîtres du Parnasse.
Nous, recevoir des loix ! Punissons tant d'audace ;
Suivez-moi, secondez ma généreuse ardeur ;
Terrassons-les en vers, terrassons-les en prose.
Ah ! Bientôt ils sauront sur quel ton je compose :
J'ai, dans le champ sacré, cueilli plus d'un laurier ;
Et Lalande, ornement de notre astronomie,
Ne veut pas croire en Dieu, mais croit à mon génie ;
Vraiment il a du goût. Et mon calendrier ?…
– « Oh ! Ton calendrier est une œuvre charmante,
Dit Valcourt ; de tes vers la tournure m'enchante :
Tout s'y trouve, excepté la rime et le bon sens.
Mais, en bon père aussi, j'adore mes enfans.
Morbleu ! Vive à jamais, vive mon consistoire !
J'ai terrassé l'église, et ses faibles suppôts
Sont tombés sous les coups de mes nobles travaux.
Excusez, mes amis, j'oubliais qu'il faut boire… ».
À ce discours, à ces paroles d'or,
Le tonneau plein succède au tonneau vide :
On boit, on rit, on jure, on boit encor ;
Mais, tout à coup (le vin rend intrépide),
L'air retentit des cris que poussent ces guerriers :
Ils brûlent de combattre ; et leur noble courage
S'offense du repos qui suspend le carnage.
Chacun d'eux, sur son front, sent croître des lauriers.
Piis, tout enivré des vapeurs de la gloire,
Voit le Pinde adorant sa puissance et son nom ;
Et déjà son orgueil, dévorant Thélusson,
Savoure avec plaisir les fruits de la victoire.
Ce n'est pas tout que d'avoir des soldats,
Il faut savoir enflammer leur courage,.
Remplir leurs cœurs de l'amour dés combats,
Et leur souffler le démon du carnage.
Agissez donc, et parlez à propos ;
Mais évitez un pompeux bavardage :
Parler beaucoup est le talent des sots ;
Mais bien parler est le talent du sage.
Vous souvient-il de cet ambassadeur,
Bouffi d'orgueil, qui, dans sa docte emphase,
Sur de grands mois échafaudant sa phrase,
Faisait bâiller son royal auditeur ?
Les courtisans, gent maligne et critique,
Riaient au nez du pédant politique ;
Et le bon Ferdinand, sur son trône endormi,
En ronflant, attendait que Garat eût fini.
L'ennui suit un discours que la sottise inspire ;
Et j'aime mieux l'élève de Sicard
Que ce Mercier, fastidieux bavard,
Dont l'Institut en corps consacre le délire
Sous ses drapeaux, Thélusson réuni,
Sans le braver, attendait en silence
Son redoutable et féroce ennemi.
Le général, qui sait que l'éloquence
A souvent, dans les camps, enfanté des héros,
Aux guerriers rassemblés fait entendre ces mots :
« Aimables défenseurs du plus charmant Lycée,
Compagnons dont la Muse, au Pinde caressée,
Chantant les jeux, Bacchus, les amours et les ris,
À ses divins concerts entraîne tout Paris,
Méritez en ce jour une double couronne ;
Que la gloire unissant, pour prix de vos travaux,
Le laurier d'Apollon au laurier de Bellone,
Éternise à la fois le chantre et le héros !
Punissez ce rival, dont l'altière impudence
Ose de Thélusson provoquer la vengeance.
Le sceptre du Parnasse en nos mains est remis
Enchantés des douceurs de l'état monarchique,
Les arts sont fatigués de vivre en république :
Le Lycée à ses loix les a tous asservis ;
Qu'à ses loix le Portique apprenne à se soumettre.
Ah ! Trop de gouvernans entraînent trop de maux.
Nous voulons des sujets et non pas des rivaux.
Pour régir un empire, il ne faut qu'un seul maître.
Le trône est trop étroit pour être partagé ;
S'il faut le perdre, amis, n'avez-vous pas jugé
Qu'il vaut encore mieux en tomber qu'en descendre ? »
Il dit, et, dans les airs un cri se fait entendre.
Au pas de charge, avance, en frémissant,
Des ennemis la troupe épouvantable.
De vingt tambours le bruit retentissant
Annonce au loin leur marche formidable.
Ivre de sang, de carnage altéré,
Paraît enfin ce Portique barbare.
Soudain, formant un bataillon quarré,
Au grand combat Thélusson se prépare.
Avant de s'approcher, ces guerriers furieux
Se menacent du poing, s'exterminent des yeux.
Enfin, impatient et bouillonnant de rage,
Piis laisse éclater son féroce courage.
Poing en l'air, il s'élance : un seul de ses regards
Fait pâlir Thélusson sur ses faibles remparts.
Digne de seconder ce guerrier intrépide,
S'avance à ses côtés le vaillant Aristide.
Ô Muse ! Prête-moi les plus nobles pinceaux ;
Mon sujet s'agrandit : je chante des héros.
Les coups sur Thélusson pleuvent comme la grêle.
À grands flots répandu, le sang au loin ruisselle ;
Valcourt se multiplie, et, d'un bras vigoureux,
Il terrasse Vigé, qu'il saisit aux cheveux.
Le Lycée en frémit d'horreur et d'épouvante.
Chacun sent, dans son cœur, sa force défaillante ;
Mais Baourd, ranimant ses esprits abattus :
« Qui me louera, dit-il, si Vigé n'écrit plus ? »
À ces mots, détachant son énorme mâchoire,
Il en frappe Valcourt, et, sûr de la victoire :
« Tiens, coquin, lui dit-il, voici mon premier Mot. »
Aristide, étonné de ce terrible assaut,
Veut en vain riposter ; son nerveux adversaire
Le fait d'un second coup tomber dans la poussière.
Le Portique effrayé recule en frémissant.
Thélusson, dans les airs, jette un cri triomphant ;
Et ses joyeux enfans, souriant à sa gloire,
Célèbrent, à l'envi, Baourd et sa mâchoire.
Voilà bien les auteurs : toujours la vanité
Les endort dans les bras de la prospérité.
Des assiégeans confus la timide cohorte,
Fuit, à pas redoublés, où la terreur l'emporte ;
Mais Piis indigné rappelle par ces mots
Ces guerriers fugitifs, vils restes de héros :
« À de tels ennemis cédons-nous la victoire ?
Êtes-vous Philistins, pour craindre une mâchoire ?
Est-ce donc là le fruit de ces discours pompeux,
Que le vin inspirait à vos cœurs généreux ?
La chopine à la main, vous juriez de détruire
Ce rival qui des arts vous dispute l'empire,
Vous juriez… Mais la crainte a glacé vos esprits ;
Et devant ces bambins, objets de vos mépris,
Vous fuyez lâchement comme un troupeau d'esclaves.
N'est-ce donc qu'en buvant que vous êtes si braves !
Ah ! Du moins, de l'honneur n'outragez pas les loix.
C'est le sang de Valcourt qui parle par ma voix ;
Vengez-le, vengez-vous ; son ombre menaçante
Dans les rangs ennemis portera l'épouvante.
Mais déjà, sur vos fronts amoureux de lauriers,
Je vois briller ce feu qui brûle les guerriers,
Marchons : sous nos drapeaux rappelons la victoire,
Ou bien sachons périr dans les bras de la gloire ».
Au nom du grand Valcourt, mort au champ de l'honneur,
Le Portique reprend sa première valeur ;
La honte de sa fuite irrite, son courage ;
C'est du sang qu'il lui faut pour venger cet outrage,
Tremblez, de Thélusson trop faibles défenseurs ;
Des cendres de Valcourt s'élancent des vengeurs,
Qui vont, en combattant, honorer sa mémoire.
On n'est jamais deux fois dupe d'une mâchoire.
Piis, semblable au Dieu qui préside aux combats,
Dans les rangs ennemis promenait le trépas.
Tel un tigre échappé de son antre sauvage,
S'abreuve, en rugissant, de sang et de carnage.
Thélusson éperdu voyait tous ses guerriers
Ternir, en un instant, l'éclat de leurs lauriers.
Petitot n'était plus, et déjà, sur l'arène,
Chabeaussière expirait, plus froid que ses écrits.
On marchait sur des morts : cependant, incertaine,
La victoire hésitait entre les deux partis,
Lorsqu'au milieu des flots d'une épaisse poussière,
On vit soudain paraître une armée étrangère.
Le Portique applaudit à ce puissant renfort ;
Thélusson effrayé n'attend plus que la mort.
Muse, rappelle-moi quelle troupe nouvelle
Vint de nos combattans partager la querelle.
Sur les faibles débris d'un culte respecté,
S'élève dans Paris un culte détesté,
Qui, paré des couleurs de la philosophie,
Déshonore le nom de la philanthropie.
Sous le masque trompeur de la religion,
Il couvre les projets de son ambition ;
Dominer est son but : ses moyens sont des crimes ;
Et, marchant au pouvoir, sans compter ses victimes,
Il a, sur l'échafaud, posé la Liberté ;
C'est ainsi que le tigre aime l'humanité.
Les pontifes adroits de ce culte éphémère,
Adorent, en secret, l'ombre de Robespierre.
C'est pour lui que l'encens fume sur leurs autels.
Mais, pour mieux déguiser ses desseins criminels,
Ce club religieux n'a point un air sauvage ;
Il sait même, à-propos, adoucir son langage.
Ses prêtres arlequins, charlatans tricolors,
D'une feinte douceur empruntant les dehors,
Cruels, intolérans, prêchent la tolérance,
Et parlent de pardon respirant la vengeance.
Mais ces vils imposteurs, aujourd'hui si rampans,
Demain, s'ils triomphaient, deviendraient des tyrans.
Tels sont les défenseurs, qu'un zèle fanatique
Entraîne aveuglément au secours du Portique.
Les prêtres sont en tête, et le troupeau grossier
Suit leurs pas, en beuglant les hymnes de Chénier.
Piis fait battre aux champs, et joyeux, il s'écrie :
« Honneur ! Trois fois honneur à la philanthropie !
Ombre du grand Valcourt, voilà tes défenseurs ».
Mais déjà la vengeance embrase tous les cœurs ;
La trompette sanglante a sonné le carnage ;
Les guerriers, enflammés de colère et de rage,
S'élancent l'un sur l'autre, et de leurs bras nerveux,
Combattant corps à corps, se prennent aux cheveux.
Non, jamais les héros, tant vantés par Homère,
Ne firent éclater cette fureur guerrière.
Tous les yeux sont pochés ; tous les nez aplatis :
Des flots d'un sang vermeil tous les bras sont rougis.
Charlemagne et Larnac roulent dans la poussière ;
Luce de Lancival succombe sous Cubières.
(L'auteur de Périandre est tombé de plus haut).
Tu ne peux résister à ce nouvel assaut.
C'en est fait, Thélusson, c'en est fait de ta gloire :
Baourd, dans la mêlée, a perdu sa mâchoire.
Déplorable accident ! Il glace tous les cœurs.
Le Portique poursuit ses ci-devant vainqueurs.
À pas précipités les chansonniers s'esquivent ;
Plus timides encor, les romanciers les suivent.
Bien rossés, bien battus, ces faibles champions
Fuyaient, chargés de coups, meurtris de horions,
Et, d'un cruel vainqueur redoutant les vengeances,
Regagnaient tristement le lieu de leurs séances.
Insensés ! Dans ce temple aux Muses consacré,
Espérez-vous trouver un refuge assuré ?
Du Portique, à l'instant, les sanglantes cohortes
De ce faible rempart brisent toutes les portes.
Thélusson en frémit : son rival furieux
S'élance dans la salle en flots tumultueux.
Tel Achille autrefois, sur les rives du Xante,
Glaçait tous les Troyens d'horreur et d'épouvante.
Dans ce salon brillant, le chef-d'œuvre de l'art,
Se trouvaient réunis, et placés au hasard,
Tous ces livres nouveaux, enfans de l'ignorance,
Que le bon goût proscrit, que l'Institut encense ;
Drames sombres, romans et compilations,
Fades originaux, fades traductions,
Qui, demandant en vain à revoir la lumière,
Pourrissaient, étouffés sous un mur de poussière.
Là, ces charmans écrits, aux ruelles si chers,
Se voyaient lentement dévorés par les vers.
Les Trois Mots bravaient seuls leur appétit vorace :
Tous ceux qui s'y fixaient expiraient sur la place.
Voyez comme, à l'instant, mille bras vigoureux
Font voler dans les airs ces volumes poudreux.
L'un prend une Décade
Depuis deux ans entiers à l'oubli condamnée.
Despaze, entre ses mains, tient l'Épître d'un Sot ;
Lormian sur Cournand lance son Dernier Mot ;
Ce guerrier, de combats et de meurtres avide,
Le terrasse d'un coup de son Achilléide.
Sans force et sans chaleur, l'infortuné Balourd
Expire, en maudissant un poëme si lourd.
Piis, par ses exploits, étonne le Portique :
J'entends par-tout siffler son poème harmonique,
Léger en est blessé ; ce fragile rimeur
Bâille, s'étend, chancelle, et tombe de langueur.
Chazet, pour le venger, redoublant de courage,
D'un Gail, avec portrait, est atteint au visage
Quel nuage d'écrits vient d'obscurcir les cieux !
J'aperçois, dans les airs, Médicis radieux,
Geta, Néron, Falkland, et mon Apologie,
Les jolis billets doux sur la Mythologie,
Le léger Éventail, le lourd Calendrier,
Et le bavard Gracchus, chef-d'œuvre de Chénier ;
Et Mercier, le censeur, que Minerve abandonne ;
Et le volumineux Rétif de la Bretonne ;
Périandre, entouré d'un millier de pamphlets,
Plane pompeusement au vain bruit des sifflets,
« Terminons, dit Piis, ce combat de brochures,
Nous avons sous la main des armes bien plus sûres ».
À l'aide d'un levier, trois combattans nerveux
Soulèvent de Dupuy les écrits monstrueux :
Cet immense recueil, colosse formidable,
Résiste, par son poids, à leur force indomptable ;
Mais enfin, plus docile aux efforts de leurs bras,
Il s'élève ; et bientôt cet énorme fatras,
Menaçant Thélusson, que sa chute épouvante,
Écrase vingt guerriers de sa masse tombante.
Le Lycée, éperdu, jette un cri de douleur ;
De ses braves soutiens il a perdu la fleur ;
Vous aviez disparu, vaillant La Chabeaussière,
Chazet, Baourd, Léger, Charlemagne, Lemière.
Tu n'étais plus, héros, digne d'un meilleur sort,
Vigé, tu n'étais plus ; l'impitoyable mort
Avait coupé le fil d'une si belle vie.
Sa gloire, ô Dieux jaloux ! excitait votre envie.
Chant sixième et dernier [retour]
Mes amis, l'ignorance est un chevet bien doux,
Disait, plaidant sa cause, en pleine académie,
Aristarque Mercier : maudit soit le génie !
Dieu créa le bonheur pour les sots et les fous.
Mercier, tu disais vrai : la vaine renommée,
Dont la douceur chatouille un imprudent auteur,
Lui coûte, bien souvent, le calme et le bonheur.
Peut-on payer si cher une once de fumée ?
Le chantre du plaisir, victime de l'ennui,
Consume tristement les beaux jours de sa vie ;
Son cœur devient bientôt le siège de l'Envie.
La cruelle se couche et se lève avec lui.
Veut-il fermer les yeux ?…,Y penses-tu ? dit-elle,
Est-il pour le poète un moment de repos ?
N'as-tu plus d'ennemis ? N'as-tu plus de rivaux ?
Lève-toi, prends ta lyre, un triomphe t'appelle.
Il obéit…, se lève, et, son luth à la main,
Il chante, en vers glacés, tous les feux de Cythère ;
Et bientôt, tout couvert de gloire et de misère,
Sur un tas de lauriers il expire de faim.
Plus malheureux encor, les auteurs du Lycée
Succombaient sous les coups des Russes de Piis ;
Et sentant, dans leurs cœurs, leur vigueur terrassée,
Imploraient vainement ces cruels ennemis.
Ils demandaient quartier… Inutile prière !
Aux maux qu'il ne sent pas, le cœur est étranger :
Thélusson périssait Despaze, au pied léger,
S'échappe, et va trouver la Sottise, sa mère.
Dans un temple fameux, où respirent les arts,
Un décret du Sénat a placé la Sottise.
Là, de ses favoris, attirant les regards,
Au sein de l'Institut la Déesse est assise.
Là, réunis en corps, ces nouveaux immortels
Font fumer, nuit et jour, l'encens sur ses autels.
Chacun d'eux lui soumet l'ouvrage qu'il compose ;
Elle met son visa sur leurs vers et leur prose ;
Elle prête sa plume au conteur Andrieux ;
Elle inspire Dupuy, son favori fidèle ;
Et souffle au lourd Villar ses vers fastidieux.
Le Sommeil et l'Ennui sont assis auprès d'elle ;
L'un griffonne, en bâillant, les tableaux de Mercier ;
L'autre écrit, de sa main, les œuvres de Chénier.
On voit à ses côtés l'insolente Ignorance,
Berçant, sur ses genoux, nos penseurs en démence,
Ces amis du néant, qui leur convient si bien,
Démolissant toujours, et ne construisant rien.
La Sottise, en voyant un enfant qu'elle adore,
Le serre entre ses bras, le couvre de baisers :
« Viens, mon fils, sur mon sein que je te presse encore !
– Ma mère, dit Despaze, apprenez nos dangers.
Sachez qu'un Dieu jaloux contre nous se déclare :
Thélusson va périr ; un ennemi barbare
Fait tomber sous ses coups vos premiers favoris ;
Peut-être en ce moment. – Que m'apprends-tu, mon fils ?
Thélusson ! – Ses guerriers ont mordu la poussière.
– Dis-moi ; qu'est devenu mon cher La Chabeaussière ?
Vigé vit-il encore ? – Ils ont vécu tous deux.
– Ô ciel inexorable ! Ô destin rigoureux !
Hélas ! Mon fils, bientôt tu n'auras plus de mère.
Vigé n'existe plus ; que fais-je sur la terre !
Jamais amant si cher n'a comblé tous mes vœux :
J'éteignais mon ardeur dans ses bras amoureux.
Ô nuits de voluptés ! Nuits si pleines de charmes !
Que votre souvenir me fait verser de larmes !
Faut-il donc renoncer au culte des mortels,
Voir mépriser mon nom et tomber mes autels ?
Je conservais encore un conseil admirable,
Des Lycurgue de France élite incomparable ;
Au nom de la Sottise il rendait ses décrets ;
Il écoutait ma voix, je dictais ses arrêts :
J'y discutais l'impôt ; j'y traitais des finances ;
J'étalais dans le droit de vastes connaissances :
Bref, je parlais de tout sans avoir rien appris.
Mais l'argent me manquait ; j'en voulais à tout prix.
Je monte à la tribune, et, sans que rien m'arrête,
Je demande un emprunt à coups de baïonnette.
Cette grande mesure a produit de grands biens ;
La France applaudissait à mes puissans moyens.
L'Institut vint, en corps, me rendre ses hommages.
Garat s'extasia sur ma loi des otages.
Oh ! Comme avec plaisir j'outrageais le bon sens !
J'ai tout perdu, mon fils, en perdant les Cinq-Cents.
Ô malheureux Saint-Cloud ! Ô cruelle séance!
Un seul jour m'a ravi ma gloire et ma puissance.
J'étais à la tribune, au milieu de mes sots ;
J'avais de grands projets… Tout à coup un héros,
Que conduit son génie et que suit sa fortune,
Un héros, dont la gloire aujourd'hui m'importune,
Arrive, accompagné de ses braves soldats,
Que son bras triomphant guida dans les combats.
Je ne puis achever un récit trop funeste ;
Aisément, ô mon fils ! Vous devinez le reste.
Depuis ce jour fatal, source de mes malheurs,
Je ne vis plus, hélas ! que pour verser des pleurs.
J'espérais que du moins Thélusson plus tranquille
Pourrait m'offrir un jour un honorable asile.
Et déjà… Mais sauvons ses malheureux débris,
Il en est tems encor ; j'attendrirai Piis :
J'ai des droits sur son cœur : long-tems je lui fus chère ;
Il m'a toujours offert ses vœux et son encens ;
Pourra-t-il résister aux larmes d'une mère
Implorant le pardon de ses tendres enfans ? »
En achevant ces mots, la Déesse soupire ;
(Les regrets sont permis à qui perd un empire).
Elle part : l'Institut accompagne ses pas ;
Despaze, avec respect, lui présente le bras.
Cependant les vainqueurs, fatigués du carnage,
Laissaient, pour quelque tems, reposer leur courage,
Piis, environné de ses mâles guerriers,
Célébrait leur triomphe et vantait leurs lauriers.
Comme il parlait encor, quelle fut sa surprise !
Sur le champ de bataille apparaît la Sottise :
« De quel droit osez-vous, sectaires furieux,
Troubler l'ordre et la paix qui régnaient en ces lieux ?
Prétendez-vous, dit-elle, au gré de votre audace,
Tenir, sans mon aveu, le sceptre du Parnasse ?
Barbares, répondez. Faut-il assassiner
Le monarque innocent que l'on veut détrôner ?
Si vous voulez régner, est-ce donc sur le crime
Que vous devez asseoir un trône illégitime ?
Et toi, Piis aussi, comblé de mes faveurs,
Que mes yeux distinguaient dans mes adorateurs,
À qui j'ai prodigué mes plus chères caresses,
Réservais-tu ce prix à mes tendres faiblesses ?
Quel que soit le délire où se plaît ton orgueil,
C'est moi, tu t'en souviens, qui t'ai dicté Santeuil ;
C'est moi qui t'inspirai tes vers sur l'harmonie :
Tu me dois tout, ingrat, et rien à ton génie.
J'ai tout fait pour ta gloire, et d'un glaive assassin,
En frappant mes enfans, tu me perces le sein,
Mais c'est par un bienfait que je punis l'offense ;
Voici l'arrêt nouveau qu'a dicté ma puissance :
Entre les concurrens, l'empire est partagé :
Le sceptre de la prose appartient au Portique ;
Je donne à Thélusson le sceptre poétique.
Guerriers, séparez-vous : le procès est jugé ».