Nouveaux saints (Les)

Auteur(s)

Année de composition

1801

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Texte

Gloire à Dieu dans les hauts. Disons nos patenôtres.
C'est peu qu'un successeur du prince des apôtres
Prétende repêcher les princes et les rois
Dans ses filets vieillis et rompus quelquefois :
Un culte dominant va réjouir la France ;
Telle est des nouveaux saints la dévote espérance :
Ils sont nombreux, zélés ; ils prêchent des sermons,
Des journaux, des romans, des drames, des chansons.
Nous entendrons encor disputer sur la grâce,
Non celle de Parny, de Tibulle, et d'Horace,
Mais celle d'Augustin, la grâce des élus,
Qui vaut bien mieux que l'autre, et qui rapportait plus.
Courage, marguilliers ; n'entendez-vous pas braire
Les fils, les compagnons de l'âne littéraire ?
« Oui, par Martin Fréron, le triomphe est certain,
Dit Geoffroi ; venez tous, héritiers de Martin,
Et vous surtout, Clément, son émule intrépide,
Philoctète nouveau de ce nouvel Alcide.
Soyons gais, buvons frais ; honneur à tout chrétien !
Dieu prend soin de sa vigne, et les débats vont bien.
La dîme reviendra ; nous en aurons la gloire :
Vivent les oremus et la messe après boire !
Pour la philosophie, oh ! C'est le tems passé ;
Grâce à Clément et moi, Voltaire est renversé.
Nous avons longuement disserté sur Alzire,
Sur Tancrède et Gengis, sur Mérope et Zaïre ;
On est désabusé de ces méchans écrits,
Si bien que nos extraits font bâiller tout Paris.
Rousseau, Buffon, Raynal, vrais fous, prétendus sages,
Qui du siècle dernier captivaient les hommages,
Aujourd'hui sans égards vous les voyez traités,
Réimprimés, vendus, lus, relus, tourmentés ;
Dans la bibliothèque, aux camps, sur la toilette,
Partout vous les trouvez ; tout passant les achète.
On ne tourmente pas Guyon, frère Berthier,
Chaumeix et Patouillet, Nonotte et Sabathier ;
Ils sont, loin des lecteurs, à l'abri des critiques,
Gardés avec respect dans le fond des boutiques,
Ainsi que des trésors, des joyaux précieux,
Qu'un possesseur jaloux dérobe à tous les yeux. »

De ces grands écrivains imitateurs fidèles,
Vous serez conservés auprès de vos modèles.
Croyez, c'est fort bien fait, et propagez la foi ;
Dieu vous garde. Mais, de grâce, ingénieux Geoffroi,
Et vous, léger Clément, pour l'honneur de l'Église,
En matière de foi craignez quelque méprise ;
Tenez, vous croyez vivre ; on s'y trompe souvent :
Vous êtes morts, très morts, et Voltaire est vivant.

Non loin de ces frelons, nourris dans l'art de nuire,
Et corrompant le miel qu'ils n'ont pas su produire,
J'aperçois le phénix des femmes beaux-esprits.
Son libraire lui seul connaît tous les écrits
Dont madame Honesta daigne enrichir la France.
Vous n'y trouverez point cette heureuse élégance,
Cet esprit délicat, dont les traits ingénus
Brillaient dans Sévigné, Lafayette, et Caylus :
C'est un lourd pédantisme, un ton sévère et triste ;
C'est Philaminte encor, mais un peu janséniste.
« De la France avec moi le bon goût avait fui,
Dit-elle ; après dix ans j'y reviens avec lui :
Plaignant du fond du cœur ma patrie en délire,
J'arrive d'Altona pour vous apprendre à lire,
J'ose même espérer de plus nobles succès :
Je voudrais, entre nous, convertir les Français.
Plus d'un, sans réussir, a tenté l'entreprise ;
Vous n'aviez point encor des mères de l'Église.
Si la philosophie a pu vous abuser,
Si des noms trop fameux qu'on voudrait m'opposer
Forment dans la balance un poids considérable,
Mes trente in-octavo sont d'un poids admirable :
Pour faire pénitence il faut les méditer.
J'aurais bien plus écrit ; mais je dois regretter
Quelques beaux jours perdus loin de mon oratoire :
C'était un vrai roman ; le reste est de l'histoire,
Et de la sainte encor : vingt ans j'ai combattu
Pour la religion, les mœurs et la vertu. »
Peste ! Ce ne sont là des matières frivoles :
Vous n'êtes point, madame, au rang des vierges folles ;
Vous n'avez point caché sous le boisseau jaloux
La flamme, dont le Ciel fut prodigue envers vous ;
Mais faisant au public partager cette flamme,
Croyez qu'un ton plus doux lui plairait mieux, madame.
Vous êtes sainte ; eh bien ! Chaque chose a son tour ;
Soyez sainte, aimez Dieu : c'est encor de l'amour.
En son premier printems Magdeleine imprudente
Se repentit bientôt, mais ne fut point pédante ;
Quand elle crut, l'amour fit sa crédulité,
Et toujours ce qu'on aime est la divinité.
Voyez Thérèse encor : quelle sainte adorable !
Elle aime, elle aime tant qu'elle a pitié du diable,
Et, pour l'époux divin se laissant enflammer,
Plaint jusqu'au malheureux qui ne peut plus aimer.

« Ah ! Vous parlez du diable ? Il est bien poétique,
Dit le dévot Chactas, ce sauvage érotique.
Neptune approche-t-il du grand saint Nicolas ?
Les trois sœurs de l'Amour avaient quelques appas ;
Ces beautés cependant sont fort loin d'être égales
Aux trois hautes vertus qu'on dit théologales.
Trois, c'est peu, j'en conviens ; mais nous avons aussi
Sept péchés capitaux bien comptés, Dieu merci.
De la loi des chrétiens, ô bonté souveraine !
Les païens adoraient aux bords de l'Hyppocrène
Neuf vierges seulement ; nous espérons aux cieux
En trouver onze mille, et cela vaut bien mieux.
Rendez le paradis, l'enfer, le purgatoire :
Voilà le principal ; et, quant à l'accessoire,
Rendez… à dire vrai c'est le point délicat,
Quelques brimborions, cure, canonicat,
Évêché bien renté, bonne et grasse abbaye,
Dîme… il faut, comme on sait, de tout en poësie.
Tel est le saint traité qu'on peut faire entre nous,
Sans cela je vous quitte, et c'est tant pis pour vous.
J'irai, je reverrai tes paisibles rivages,
Riant Meschacébé, Permesse des sauvages ;
J'entendrai les sermons prolixement diserts
Du bon monsieur Aubry, Massillon des déserts.
Ô sensible Atala ! Tous deux avec ivresse
Courons goûter encor les plaisirs… de la messe ;
Chantons de Pompignan les cantiques sacrés ;
Les poëtes chrétiens sont les seuls inspirés.
Près du Pange lingua comme on méprise Horace !
Près du Dies irae comme Ovide est sans grâce !
Esménard, par exemple, est un rimeur chrétien.
Homère seul m'étonne : il fut, dit-on, païen ;
Que n'a-t-il sur ses pas trouvé quelque bon prêtre !
Hélas ! Monsieur Aubry l'eût converti peut-être.
Pour vous, Pope, Lucrèce, écrivains peu dévots,
Et vous, mauvais plaisans, poëtes à bons mots,
Ennuyeux La Fontaine, impertinent Molière,
Sec et froid Arioste, insipide Voltaire,
Les Hurons, gens de goût, ne vous ont jamais lus ;
Ils m'ont beaucoup formé, je ne vous lirai plus :
Mais, fille de l'exil, Atala, fille honnête,
Après messe entendue, en nos saints tête à tête,
Je prétends chaque jour relire auprès de toi
Trois modèles divins, la Bible, Homère, et moi. »

C'est bien assez de vous, la Bible est inutile,
Homère davantage ; il n'a pas votre style.
Surtout de Bernardin copiez mieux les traits ;
Vous ennuyez parfois, et n'instruisez jamais :
Il plaît en instruisant ; son secret est plus rare ;
Il est original, et vous êtes bizarre.

« Soit, répond un quidam ; pour moi je suis abbé ;
Il s'agit bien de vers et du Meschacébé :
Laissons tous ces lambeaux d'élégie ou d'églogue ;
Au fait, en quatre mots ; payez, si vous croyez ;
Si vous ne croyez pas, en revanche, payez.
Vous êtes philosophe ; à vous permis de l'être :
Mais c'est bien votre faute et non celle du prêtre ;
Et vous l'en puniriez ? Le tour est trop méchant.
II est dans saint Ambroise un endroit fort touchant.
Vous ne refusez rien au défenseur impie
Qui pour vous aux combats n'expose que sa vie !
Et le ministre saint, qui, tranquille à l'autel,
Loin du champ de bataille, invoque en paix le Ciel
Que lui donnerez-vous ? Pas une obole : Ah ! Traîtres,
Vous aurez des héros, vous n'aurez plus de prêtres !

Vous n'avez donc jamais senti la volupté
Qu'inspire un Te Deum, quand il est bien chanté ? »

Le Te Deum pourtant ne vaut pas la victoire ;
Mais il faut, selon vous, payer pour ne rien croire ?
Non ; tant cru, tant payé : nul au nom de la loi
Ne peut lever sur tous un impôt pour sa foi.
Ainsi par Jefferson l'heureuse Virginie
Des cultes différens vit régner l'harmonie.
J'entends ; vous maigrissez ; les profits ne vont point :
Lambertini pour moi répondra sur ce point.
On ne vit pas souvent pape de son étoffe,
Pape lettré, malin, voire un peu philosophe :
Fléau de Mahomet, ce prophète imposteur,
D'un chef-d'œuvre naissant il fut le protecteur,
Par respect pour Jésus dont il était vicaire.
Des moines un beau jour vont le trouver : Saint Père,
En notre jeune tems le couvent allait mieux,
Dévotes à foison ; mais nous devenons vieux :
On gèle à la cuisine, on jeûne au réfectoire ;
Pour les rosaires, rien ; rien pour le purgatoire ;
La messe est au rabais ; nous vendons peu d'agnus ;
Quant aux enterremens, hélas ! On ne meurt plus.
Ce disant, ils pleuraient, et montraient leur besace.
Par quelques pièces d'or consolant leur disgrâce,
Le pontife narquois rit sous cape, et leur dit :
Pour des moines toscans vous avez peu d'esprit ;
Vous vous abandonnez, et Dieu vous abandonne :
Courage ; intriguez-vous ; faites quelque madone.

Paix là, ne raillez point, s'écrie un court vieillard
À la voix glapissante, au ton sec et braillard :
« Ne pas croire avec moi des vérités sensibles !
Moi, le Saint Père, et Dieu, nous sommes infaillibles :
De penser comme moi l'on doit être charmé ;
D'ailleurs j'ai prouvé tout, c'est-à-dire affirmé
Dans quinze ou vingt leçons, dans cinq ou six brochures
En profond raisonneur, avec beaucoup d'injures.
Vous doutez, malheureux ! Voilà comme on se perd.
Mais Voltaire, Rousseau, Montesquieu, d'Alembert !
Quoi ! L'on en parle encore ? Indociles cervelles :
Méchans, qui n'aimaient pas les peines éternelles.
Si j'ai pensé comme eux dans ma jeune saison,
J'étais comme aujourd'hui certain d'avoir raison :
Pour eux ils avaient tort, et jusqu'à l'évidence.
J'ai de ces novateurs démontré l'impudence.
Mais leur philosophie a corrompu les cœurs :
Un moment ; patience ; ils viendront les vengeurs ;
Dieu ne laissera plus régner l'esprit immonde :
Tout est damné, la France, et l'Europe, et le monde :
Excellente moisson pour les anges maudits !
Que je sois seulement portier du paradis ;
Je prétends dire à tous, comme un Suisse inflexible,
Vous venez pour entrer ? Mais Dieu n'est pas visible ;
Bonsoir ; allez rôtir ; c'est pour l'éternité ;
Le bail est un peu long : j'en suis bien enchanté.
J'emporterai de plus ma férule, et pour causes ;
Je prétends avec Dieu causer sur bien des choses,
Et régenter là-haut les habitant du Ciel :
Car je fus ici-bas régent universel,
Au Mercure, au Lycée, en pleine académie ;
Modèle en prose, en vers, tout comme en modestie.
Aimez-vous l'enjoûment, les grâces, le bon ton ?
Lisez mes deux quatrains sur Voltaire et Tonton.
Les vers de Colardeau sont doux, mais un peu vides :
Voulez-vous des vers pleins ? Prenez mes héroïdes.
Lebrun franchit la lice à bonds précipités ;
Dans mon lyrique essor je marche à pas comptés.
Ducis a fait pleurer sur les malheurs d'Œdipe ;
Barmécide paraît : le chagrin se dissipe ;
Du parterre dix fois j'ai calmé les douleurs ;
Nul auditeur ne peut me reprocher ses pleurs.
Thomas, Garat, Champfort, prosateurs misérables :
Mes éloges, voilà des écrits admirables ;
Car j'ai loué parfois ; on peut vanter les gens
Quand ils sont enterrés au moins depuis cent ans.
Pour mes contemporains, sans user d'artifice,
J'ai dit du mal de tous ; car j'aime la justice.
L'indulgence est un crime, et je suis sans remords !
Avant Dieu j'ai jugé les vivans et les morts. »

Il vous en adviendra quelque mésaventure.
Ô grand Perrin Dandin de la littérature,
De votre tribunal président éternel !
Le public, président du tribunal d'appel,
Par de nouveaux arrêts pourra casser les vôtres,
Et l'on vous jugera, vous qui jugez les autres.
Long-tems, jaloux poëte, aux enfans d'Apollon
Vous avez cru fermer les sentiers d'Hélicon.
Aujourd'hui, nouveau saint, il faut que l'on vous donne
Les clefs du paradis, pour n'ouvrir à personne !
Pierre les gardera, si vous le trouvez bon :
D'un bel ange autrefois l'orgueil fit un démon.
Quel exemple pour vous ! Jusque dans la vieillesse
On tient par habitude aux péchés de jeunesse :
Vous fûtes grand pécheur ; souvenez-vous-en bien ;
Et devenez plus humble, afin d'être chrétien.