Ode sur le combat d'Algésiras
Paratexte
Delenda Carthago !
Texte
Qui des colonnes d'Alcide
Peut ébranler le repos ?
Quel Briarée
S'élève du sein des flots ?
Dressant une triple tête,
Il vole sur la tempête,
Il dévore l'univers ;
Et, tyran de la fortune,
À l'un et l'autre Neptune
Son regard promet des fers.
Ses nefs, au loin vagabondes,
Roulent l'orgueil, les trésors ;
Ses voiles, reines des ondes,
Ont usurpé tous les ports.
Bravé de la seule Afrique,
Il voit un groupe héroïque
Veiller sur Algésiras ;
Soudain le géant s'élance,
Pour accabler la vaillance,
Terrible, il lève cent bras.
Mais, de nos héros fidèles
Un dieu protégeant les coups,
Prête sa foudre et ses ailes
À leurs vaisseaux en courroux.
Au triomphe accoutumée,
Desaix
Accourt, plane sur les vents ;
Et, leur imposant silence
Adresse au géant immense
Ces oracles foudroyans :
« Tremble ! L'univers conspire :
Pleure ton trident brisé !
Colosse fragile ! Expire
Sous tes forfaits écrasé !
L'orage qui te dévore,
Du couchant jusqu'à l'aurore,
Poursuit tes mâts éperdus !
Vents, complices de sa rage,
Du bruit de ce grand naufrage,
Volez réjouir l'Indus.
Va ! La torche incendiaire,
Qui lance un vaste trépas
L'Alecton auxiliaire,
Dont le glaive suit tes pas,
Rien ne te sauve, perfide !
Ni le poison de Colchide,
Ni ton Plutus assassin.
L'univers se lève, il crie ;
Et tous les ports en furie,
Te rejettent de leur sein.
Aux portes de la Baltique
Quelle forêt de lauriers !
La foudre patriotique
Moissonne tes vains guerriers.
De l'Ibère formidable
Vois-tu la flotte indomptable,
S'élancer avec orgueil,
Et brisant sa longue entrave,
La vengeance du Batave,
Creuser encor ton cercueil ?
Le destin veut dans ton île
Enchaîner les léopards ;
Thétis mène un autre Achille
Jusqu'aux pieds de tes remparts :
Le Mars français les menace,
Déjà sa rapide audace,
Franchit les gouffres des eaux ;
À sa voix les pins s'irritent,
Les forêts précipitent
Et se courbent en vaisseaux.
Ils t'attendent, peuple libre,
Quels exploits te sont offerts !
Rends au monde l'équilibre,
Du commerce romps les fers.
Lance enfin, lance la foudre… »
Soudain le colosse en poudre,
Tombe à ce coup inouï ;
Et son règne s'évapore,
Plus vain que le météore,
Dans les airs évanoui.