Ode sur les derniers attentats du gouvernement romain
Paratexte
Tantum Relligio potuit suadere
malorum !
Lucrèce
Texte
Ainsi l'effroi de la Nature,
L'Hiène, en la nuit des hivers,
Attend son horrible pâture
Seule, sur des rochers déserts.
Tout se tait : le monstre terrible
Protégé de l'ombre paisible,
A retenu ses hurlemens :
L'écho des montagnes lointaines
Cesse d'épouvanter les plaines
De lugubres rugissemens.
Au sein de l'horreur ténébreuse
Brille l'éclair de ses regards :
Bientôt de sa tête hideuse
Se hérissent les crins épars.
Il s'élance !… Ivre de victimes
L'antre complice de ses crimes
Boit déjà le sang et les pleurs,
Et sur des cadavres livides
Repaît de nouveaux homicides
Ses inextinguibles fureurs.
Si dans l'épaisseur des ombrages
Soudain le pasteur s'avançant
Fait luire dans ces lieux sauvages
Un javelot étincelant,
Le monstre accourt, se précipite,
Et de la flèche qui s'irrite,
Aveugle, se perce le cœur ;
Terrible en sa vengeance extrême,
Et consolant son trépas même
De la blessure du vainqueur.
Ainsi du Fanatisme sombre,
Insatiable d'attentats,
La fureur évoquait dans l'ombre
Le démon des assassinats.
Pour de nouvelles barbaries
L'Enfer déchaînant les Furies,
Trempe au Phlégeton leurs flambeaux :
Le Fanatisme sur l'abyme
S'arrête, choisit sa victime
Et se plonge aux mêmes tombeaux.
Quitte tes vêtemens de gloire,
Détache aussi le verd laurier
Que dans les jours de la victoire
T'apportait un jeune guerrier ;
Ceins les cyprès, ô Renommée !
Redis à l'invincible armée
De Duphot les destins cruels !…
Pour la vengeance qui s'apprête
Garde les sons de ta trompête,
Garde des accens solemnels.
Tel l'étincelant météore
Dans les champs de l'air radieux,
D'un éclat rival de l'aurore
Sème la pourpre sur les cieux :
De la nuit embrasant les voiles ;
Il marie à l'or des étoiles
Les feux dont il brille animé ;
Il disparaît, et de sa trace
Le sillon lumineux s'efface
Au sein de l'espace enflammé.
Vieux d'exploits et jeune d'années.,
Tu péris, immortel Duphot,
Tu péris ! Et tes destinées
Déjà t'égalaient aux héros !
Grand lorsque, l'espoir de Bellone,
Tu guidais ta fière colonne
Aux champs de l'immortalité ;
Plus grands lorsqu'entouré du crime,
Tombant pour la cause sublime,
Tu proclamais l'humanité.
Écartez un poignard impie,
Mars ! Vénus ! Défendez ses jours !…
Ses jours sont chers à la patrie ;
Sont chers aux fidèles Amours !
Ah ! Si remplissant ta carrière,
Tu trompais la main meurtrière,
Quel laurier t'attend aux combats !
Fier des regards de l'Italique,
Tu dois du trident britannique
Abaisser l'orgueil sous tes pas.
Où suis-je ? L'airain sacrilège
Viole un asile de paix :
La Superstition l'assiège,
Pousse un cri, dirige les traits.
Le héros franchit les barrières ;
Il n'opposait que sa vertu,
À l'aspect des dieux domestiques
Son sang a rougi les portiques
Où son trophée est suspendu.
Tel dans sa bravoure trompée,
Se confiant aux Achillas,
Aux bords du Nil le fier Pompée
Tombait sous un vil coutelas ;
Tel l'honneur, l'appui de son âge,
Victime d'une horrible rage,
Expira le grand Tullius ;
Jouet de la fureur sanglante,
On vit cette tête éloquente
Dans la main des Popilius.
Tel lorsqu'un tyran fanatique
Ordonnait un vaste trépas,
Lorsque le tocsin catholique
Appelait les assassinats,
Coligny près des funérailles,
P lus grand qu'aux jours de ses batailles,
Calme et se rapprochant des dieux,
Sublime à son heure suprême,
Frappé par le couteau de Besme,
Au monstre fit baisser les yeux.
Je reconnais l'affreux génie
Qui, dans son courroux immortel,
Complice de la tyrannie,
Venge le trône par l'autel ;
Foulant la terre épouvantée,
Et de sa tête ensanglantée
Dans la nue élevant l'orgueil,
Il fuit l'importune lumière,
Et pour le philosophe austère
Prépare un horrible cercueil.
Que de grandes leçons perdues !…
Vingt siècles écoulés sans fruit
Et cent nations descendues
Au sein de l'éternelle nuit !…
Les bûchers, la guerre civile,
L'assassinat de Basseville,
Monstre, sont tes moindres forfaits !
Ta coupe est pleine d'homicides
Et de sang tes fureurs avides
S'y désaltèrent à longs traits !…
Où court cette femme éplorée,
Le sein nud, la mort dans les yeux,
Et d'une main désespérée
Arrachant l'or de ses cheveux !…
Tigres, à sa douce jeunesse,
À ses beautés, à sa tendresse
Cet autre Alcide fut promis !…
Il tombe, et sa voix expirante
Murmura le nom de l'amante
Qui répond, hélas ! par des cris.
Ainsi de ses laves profondes,
L'Etna déchaînant les fureurs,
Traîne dans leurs brûlantes ondes
Les jeux, les danses des pasteurs
Ainsi dans l'ombre d'un bocage,
Surpris par les traits de l'orage
Qui mugit aux cieux embrasés,
Frappés du même coup de foudre
Deux amans tombèrent en poudre
Sous l'arbre témoin des baisers !
« Quitte l'antre du Fanatisme,
Ces lieux où le crime insolent
Sur la vertu, sur l'héroïsme
Suspend sans cesse un fer sanglant.
À ce gouvernement impie
De ta sage philosophie
Retire le Palladium ;
Que la lance d'un autre Achille
Frappe la sacrilège ville
Et la livre au sort d'Illium. »
De la Déesse fraternelle
Bonaparte entendit la voix ;
Il a reconnu l'immortelle
À son écu chargé d'exploits !
C'est la Gloire : fidelle amante
À ses dangers toujours présente,
Du Français elle suit les pas :
Lui soufflant son âme intrépide
La Déesse oppose l'égide,
Aux traits acérés du trépas.
Il partait et le Dieu du Tibre
Soudain s'est levé devant lui ;
« Tu vas revoir un peuple libre,
Ses chefs, son invincible appui :
Dis leur qu'au fond du Capitole
Des palmes du vainqueur d'Arcole
Tous nos demi-dieux réjouis
Vont bientôt de leurs mains rivales
Pour lui des portes triomphales
Parer les arcs enorgueillis. »
Élancé de sa grotte obscure,
Quand sur le Pinde épouvanté
Pithon, fils de la fange impure,
Dressait un front ensanglanté,
Aux chœurs des filles de mémoire,
Occupant leurs luths de sa gloire,
Serein, Apollon présidait ;
Mais le dieu dépose la lyre,
Tend son arc : le reptile expire
Sur la terre qu'il infectait.