À Maximilien Robespierre aux Enfers
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Dans le séjour des morts, entouré de victimes
Dont les ombres encore errent dans ces cachots,
Où t'ont précipité ton orgueil et tes crimes,
T'écrire, c'est rouvrir la source de mes maux.
J'aurais voulu de ma mémoire
Bannir ton souvenir affreux ;
Mais mon cœur a parlé, je me dois à l'Histoire,
Au temps, à mon pays, à mes derniers neveux.
La vérité doit leur apprendre
Tes forfaits les plus inouis :
Dans ton âme je veux descendre,
Et déchirer tous ses replis.
Je t'ai suivi long-temps sans pouvoir te connaître,
Sans savoir que ta peur n'était que les remords :
Je me demande encor quel destin te fit naître :
Rejeté des vivants, tu fais horreur aux morts.
Scylla termina sa carrière
Au sein de Rome et dans la paix ;
Je cherche ton égal, mais la Nature entière
Ne peut me le montrer : il n'exista jamais.
Athènes vit Dracon lui-même
Survivre à ses féroces loix ;
Chrestierne, sans diadème,
Vécut parmi les Suédois.
Aucun de ces tyrans ne possédoit ton âme,
Qui du monde à la fin aurait fait des déserts !
De nos jours malheureux tu dirigeais la trame :
Tout tombait à la fois, les bons et les pervers.
Caligula, dans sa furie,
Ne vit point ses vœux accomplis ;
Les Romains respiraient ; mais toi, de ta patrie
Tu poursuivais sans fin les malheureux débris.
Ton esprit a plané sur l'onde
Qui fit reculer l'Océan…
Ô temps affreux ! Douleur profonde !
Fermez mes yeux sur ce tyran.
Partout trop obéi, tes ardents satellites
Répandaient la terreur et moissonaient la mort !
Tout tremblait devant eux, rien n'avait de limites ;
L'enfant et le vieillard couraient le même sort.
Qu'une fille en effet coupable
D'un dessein le plus odieux,
Subisse son destin, rien n'est plus équitable :
Son sang doit contenter les hommes et les dieux.
Mais que t'avait fait sa famille,
Que tu fis descendre au cercueil ?…
Peut-être même que leur fille
N'avait blessé que ton orgueil
Quel tribunal, ô ciel !… Un signe de ta tête
Eût suffi… C'est la mort compagne de tes pas !
Sans nul port, sans appui, poussé par la tempête
Le monde eût devancé l'heure de son trépas !
J'avais, malgré ta tyrannie,
Démasqué ton inquisiteur :
J'imprimais sur son front le sceau de la terreur.
Plus cruel que les Euménides,
Le sang coulait de toutes parts !
Ses lèvres en étaient avides :
La mort sortait de ses regards !
C'est à de tels suppôts que tu prêtais ton âme !
Quels monstres à la fois l'enfer avait vomi !
Quels bourreaux inhumains !… Et cette horde infâme
Dévorait mon pays sur un gouffre endormi !
Coffinhal, homme sanguinaire,
La dirigeait par tes conseils.
La nuit, Dumas allait dans ton affreux repaire,
Où ne pénétraient plus que lui, que ses pareils
Dans l'antre noir de Polyphème
On éprouvait moins de frayeur :
Deux fois j'y fus malgré moi-même,
Et j'en sortis avec horreur.
J'y fus pour t'arracher une jeune victime,
Criminelle à tes yeux pour ses brillants appas ;
Je prolongeais ses jours, et je trompais ton crime,
Quand le neuf Thermidor la ravit au trépas.
De toute pudeur dépourvue,
Étrangère aux doux sentiments,
Chalabre, dont l'aspect fait détourner la vue,
La proscrivait déjà du séjour des vivants,
Pour contenter cette furie,
Dont le cœur est pétri de fiel,
La beauté payait de sa vie
Ce don heureux qui vient du Ciel !
Non, jamais on ne vit ce tribunal terrible
Ému par ces attraits qui captivent les cœurs !
Tes fureurs ajoutaient à sa rage inflexible,
Et le soleil gémit de voir tomber ces fleurs !
Une femme, dans les alarmes
Sur le destin de son époux,
Entend l'arrêt fatal !… pousse un cri… fond en larmes…
Monte sur l'échafaud… subit les mêmes coups !
Dès lors l'amitié consolante,
Craignant pour elle un tel destin,
S'isola, fut toujours tremblante ;
Et le malheur n'eut plus de fin !
Oubli, que ces horreurs se plongent dans ton fleuve ;
Épargne à l'avenir des regrets éternels !…
Toi, sainte humanité, viens consoler la veuve,
Et l'orphelin privé des secours paternels !
Rappelle la douce espérance
Qui répand des fleurs sur nos maux :
Que Thémis dans ses mains reprenne sa balance,
Qui naguères penchait au gré de nos bourreaux.
Que le règne de la justice
Fasse le tourment des pervers :
Tyran, qu'il comble ton supplice,
Si tu l'apprends dans les enfers !
Tu crus par la terreur saisir la dictature,
Ce pouvoir dévorant dans tes sanglantes mains,
Qui fait planer le deuil sur toute la Nature ;
Et plonge dans les fers le reste des humains !
Accusateur, d'abord complice,
De tes amis, de tes consorts :
La veille tu feignais de leur être propice…
Et ton crime avec eux passait les sombres bords.
Quel temps ! Quel prestige funeste !
Et tu passais pour vertueux !
Quel souvenir cruel nous reste…
Cinq ans trompés et malheureux !
Un instant a suffi pour arrêter ton crime ;
Tu meurs… et le bonheur revient chez les mortels :
Le Sénat, saisissant son pouvoir légitime,
T'engloutit ; et son bras renverse tes autels.
Avec toi meurt le fanatisme :
Ta chute le plonge au néant.
Tu combattais pour lui, Chaumet, pour l'athéisme ;
Et vous n'aviez tous deux qu'un même sentiment.
Le jour de la fête au grand Être,
Où tu marchais au premier rang,
Tu fus après avec un prêtre
Qui ne vivait que dans le sang.
Hypocrite profond, tu trompais la Nature ;
Tu supposais un Dieu qui n'est que dans son sein :
Que sais-je, si toi-même, invoquant l'imposture,
Tu voulais être lui ? Si tel fut ton dessein,
Nouveau Teutès, que de victimes
Il eût fallu pour t'assouvir !
La raison vainement eût dévoilé tes crimes,
Du séjour des mortels tu l'aurais fait bannir.
L'ignorance, aux regards stupides
La remplaçait déjà partout :
Dans tes calculs liberticides
Ce moyen-là t'aidait beaucoup.
Malheur à l'homme instruit, nourri dans les sciences,
Dans l'amour des beaux-arts, chéri des immortels !
Malheur aux grands talents, dernières espérances :
La mort détruisait tout par tes ordres cruels.
Ô Liberté, que de génies
Furent immolés sous tes yeux !…
Puisses-tu réparer ces temps des barbaries,
Qui coûteront encor des pleurs à nos neveux !
Peut-être aussi ta main infâme
Eût mis en cendres leurs écrits ?…
Ce projet était dans ton âme,
Dévastateur de mon pays.
Mais pourquoi rechercher ce que tu voulais faire,
Lorsque tant de forfaits sont par toi consommés ?
Que le sang à longs flots a coulé pour te plaire ?
Que des Français pour toi sont encore opprimés ?
Que n'as-tu connu ce supplice
D'un homme libre dans les fers !
Ces cachots, ces verroux, cet affreux précipice
Qui contient les vivants dans de sombres enfers !
Cet amour qu'on a pour la vie,
Quand on ne se reproche rien !
Et cette horreur pour l'infamie
Qui fait frémir l'homme de bien !
Le coup qui te frappa fut plus prompt que la foudre
Qui renverse soudain les chênes orgueilleux…
Que n'a-t-on sur son front, déjà réduit en poudre,
Avec un fer brûlant gravé ces mots affreux !
N'approche point, c'est Robespierre ;
Voyageur ne plains pas son sort.
Que rongé de remords il souille encor la terre :
Il fut trop criminel pour mériter la mort.
Maudit de la Nature entière,
Applaudissant à ton destin,
Du soleil craignant la lumière,
Ton supplice eût été sans fin.
La mort pour les tyrans doit être une mort lente,
Qui retrace à leurs yeux toutes leurs cruautés…
Enchaînés jour et nuit sur la fosse sanglante
Où tant de malheureux furent précipités !
Les cris de ces ombres plaintives
Porteraient l'enfer dans leurs cœurs :
Leurs tourments calmeraient ces âmes fugitives,
Que la haine a plongées dans ces gouffres d'horreurs.
Aux morts on doit cette vengeance,
À la Justice cet éclat :
Le crime mis en évidence
Enhardit moins le scélérat.
L'amitié, dont l'erreur conduit souvent le zèle,
Ajouterait encore à ces longs châtiments !…
Pour toi, qui fus toujours à sa cause rebelle,
Qui ne connus jamais ces doux épanchements,
Comment devient-elle victime
De tes exécrables forfaits ?…
Le bandeau sur les yeux, fut-elle moins sublime,
Pour avoir seulement mal placé ses bienfaits
Sensible, loyal et sincère,
Je t'ai connu dans le malheur :
Mieux instruit de son caractère
Je te voyais avec horreur.
Dès lors je me suis cru (lorsque tant de Bastilles
Renfermaient les mortels dans ces séjours de pleurs).
Dans un fleuve de sang, parmi des crocodiles,
Dont mes mains détruisaient les germes destructeurs
Abandonné par l'espérance,
Je ne songeais qu'à bien mourir :
J'en hâtais le moment en sauvant l'innocence ;
Jusqu'au tribunal j'allais te la ravir,
Voilà mes torts, ô ma patrie !
Je te servais avec ardeur…
Des scélérats qui t'ont trahie
Je subis la même rigueur.
Étranger aux forfaits, ainsi qu'à la vengeance,
Pensant que les mortels sont nés pour se chérir,
Aimant la liberté, détestant la licence,
Voilà les seuls sentiers où l'on m'a vu courir.
Dans le plus fort de nos orages
Je provoquais l'humanité :
Toulouse, en te sauvant de tes propres naufrages,
D'elle tu sais surtout que j'ai bien mérité.
Le souvenir de ma carrière
Me console dans mon malheur :
En parcourant ma vie entière,
J'aime à descendre dans mon cœur.
Vous qui me poursuivez sans me croire coupable,
Ô vieillard vertueux ! D'où provient ce courroux ?…
Des crimes du tyran puis-je être responsable ?
Lorsqu'il les a commis… Il était avec vous.
Vous n'entendrez aucun murmure,
Quoiqu'enfermé dans un tombeau !
Mais je verrai le jour que couvre l'imposture,
Puisque la vérité fait briller son flambeau.
L'innocence n'a plus à craindre
Que l'oppresseur règne aujourd'hui :
Elle peut parler et se plaindre,
Car le Sénat est son appui.
Aux cachots de la Conciergerie
le premier fructidor, an deuxième
de la République.