Ode sur la journée du 23 juin, adressée le 24 à M. Necker, Premier ministre des Finances

Auteur(s)

Année de composition

1789

Genre poétique

Description

Quintils

Paratexte

Texte

Et je ne l'ai pas vu, ce triomphe sublime
Du génie en vain combattu !
Je n'ai pas vu l'orgueil, et l'intrigue, et le crime,
Et tout ce vil essaim dont la France est victime,
Tomber aux pieds de la vertu !

Ô cygne du Léman ! Plane sur les tempêtes !
Ris des vents mutins et jaloux :
Ils te mènent au port ; ils doublent tes conquêtes :
La foudre gronde en vain, tu vois cent mille têtes
S'offrir et détourner ses coups.

Voilà donc tes succès, lâche et coupable envie !
Ces noirs poisons que tu répands
Ont rehaussé l'éclat d'une si belle vie ;
La vertu que tu hais, par toi-même est servie ;
C'est toi que rongent tes serpents.

Du manteau de Thémis couvrant ton imposture,
Tu réclamais d'injustes lois ;
Ta bouche vomissait le mensonge et l'injure ;
Tu triomphas deux jours : deux jours ta joie impure
Rampa jusqu'au trône des rois.

Ce trône qu'insultait ta voix séditieuse,
Quand la crédule nation,
Détrompée aujourd'hui d'une erreur généreuse,
Prit pour le noble essor d'une âme courageuse,
Ta turbulente ambition.

Ce trône, que tu hais, plus que la vertu même
Tu t'oses dire son appui !
Lasse enfin d'irriter l'orgueil du diadème,
Ton dernier attentat sur le pouvoir suprême,
C'est de te déclarer pour lui.

Mais ce n'est pas ici de l'infâme chicane,
Le temple orageux et vénal :
Ici règne la France, et tout juge profane,
Du pouvoir des tyrans tout criminel organe
Pâlit devant son tribunal.

C'est le palais d'un roi ; c'est le séjour d'un père
De tous ses enfants adoré :
Va, laisse un libre cours à son règne prospère
Toi que le bien public outrage et désespère,
Disparais de ce lieu sacré.

Mais avant de rentrer dans cet antre perfide
Où tu méditas tes fureurs,
Vois sur tes vils complots s'élever Aristide :
Sur sa gloire, un instant fixe ton œil livide ;
Sa gloire te condamne aux pleurs.

Que le public amour lui dresse une statue,
Présage heureux d'un siècle d'or !
Puissé-je y voir ta rage à ses pieds abattue,
Et de ses ennemis la cohorte vaincue,
Sous le marbre frémir encor !

 
 

Sources

Almanach des Muses de 1790, ou Choix des poésies fugitives de 1789, Paris, Delalain, 1790, p. 135-137.