Ode sur la victoire de Marengo

Année de composition

1800

Genre poétique

Description

Huitains d'octosyllabes en rimes croisées

Mots-clés

Musique

Paratexte

Texte

Dans le deuil la France plongée,
Cédant au poids de ses douleurs,
Sembloit toucher à l'apogée
Des plus effroyables malheurs :
L'hydre altière que nos conquêtes
Dans la poudre avoient fait rentrer,
Avoit repris toutes ses têtes,
Et revenoit la dévorer.

Moscou disoit, France indomtable[sic],
J'ai domté[sic] tes lions ardents,
Et dans leur gueule formidable
Ma fureur a brisé leurs dents ;
Les fils de Vienne en espérance
Déjà foudroyoient nos remparts,
Déjà Londre[sic] au sein de la France
Avoit vomi ses léopards.

Tout à coup des rives du Phare
S'éloigne un brillant pavillon ;
La couleur des Français le pare ;
Il trace un lumineux sillon :
La nef agile qui fend l'onde,
Et vient à nous se réunir,
Est enceinte du sort du monde,
Et des triomphes à venir.

Ô Fréjus ! Quels cris sur ta plage,
Par mille autres cris répétés,
Courent de rivage en rivage,
Volent de cités en cités ?
C'est lui, c'est le héros lui-même !
Il vient, le destin va changer ;
Il rejoint un peuple qui l'aime,
Il va confondre l'étranger.

Eh bien ! Parlez, fils de la France,
Qui reconnûtes votre appui ;
A-t-il démenti l'espérance
Que vous avez placée en lui ?
Où sont ces terribles armées,
Ces flottes qui bloquoient vos ports ;
Où sont ces hordes affamées
Qui jonchoient vos routes de morts.

Les Alpes ont vu notre audace,
Nous avons su les étonner ;
Elles ont sur leur front de glace
Entendu nos bronzes tonner.
L'armée, aux ailes étendues,
De son vol ombragea ces monts,
Et s'échappant du sein des nues
Se répandit dans les vallons.

Elle s'avance, à ses approches
Mélas n'en peut croire ses yeux :
Quelles aigles ont de ces roches
Franchi les sommets sourcilleux ?
Quoi ! Se peut-il ? Quoi ! Des armées
Il se tait, rougit, et soudain
Range ses troupes alarmées ;
L'univers attend son destin.

Les bataillons sont en présence ;
Les flancs du bronze sulphureux[sic]
Font au plus horrible silence
Succéder un bruit plus affreux :
Les coursiers dévorent l'espace,
Le mousquet enfonce les rangs,
La rage succède à l'audace,
Les morts étouffent les mourants.

Le sang coule, abreuve la plaine ;
Ciel ! À travers ces tourbillons,
Qui fuit ? Quelle foudre soudaine
A dispersé nos bataillons ?
Est-ce vous que le fer immole,
Vous, Français, généreux guerriers ?
Compagnons de Lodi, d'Arcole,
Souvenez-vous de vos lauriers.

Combattez, un héros vous guide ;
Il s'avance, il est votre appui ;
Suivez la colonne intrépide
Des héros commandés par lui.
Mais que vois-je ? Desaix succombe ;
Par sa valeur trop engagé,
Ô douleur ! Il chancelle, il tombe,
Il meurt … Que dis-je ? Il est vengé.

Bonaparte a rompu les lignes
Des Germains réunis en corps :
Ô mes vers ! Que n'êtes-vous dignes
De peindre ses brillants efforts !
Ce héros voit ses destinées ;
Il connoît ces moments soudains,
Ces moments qui font les journées,
Et qui commandent aux destins.

C'en est fait, il se précipite,
Saisit ses ennemis frappés,
Écrasés sous sa noble élite,
Percés, rompus, enveloppés :
Son rival cède, il s'humilie,
D'un traité subit la rigueur,
Et douze villes d'Italie
Sont déjà le prix du vainqueur.

Le monde alors dit sa victoire
Chez les peuples les plus obscurs ;
Les siècles remplis de sa gloire
La diront aux siècles futurs :
Ils diront qu'une paix brillante
A suivi ses illustres coups,
Qu'à la plus horrible tourmente
Ont succédé des temps plus doux ;

Qu'assis sur des bases profondes
Repose le sort des Français ;
Que la gloire a dans les deux mondes
Proclamé leurs brillants succès ;
Qu'un grand homme est dépositaire
Du salut d'un peuple aussi grand,
Et que du bonheur de la terre
Son bonheur offre le garant.

Il le sait, il livre sa vie
Au besoin de nous rendre heureux ;
Et déjà l'active industrie
Remplace les temps désastreux.
Ainsi, quand la flamme brûlante
A jailli du sein de l'Etna
Une verdure consolante
Sourit aux campagnes d'Enna.

Ainsi, quand la foudre qui gronde
Cesse d'armer un ciel d'airain,
L'Éternel, plus doux, rend au monde
L'éclat d'un jour pur et serein :
Alors, déposant la colère
Qui rougit son front enflammé,
Il adresse un regard de père
Aux mortels dont il est aimé.

Il vient, il se mêle à leurs fêtes,
Anime les joyeux festins,
Arrête les vengeances prêtes,
Calme les troubles intestins :
Ainsi tout héros sur la terre,
Par un grand peuple idolâtré,
Doit moins aux traits de son tonnerre
Qu'à ce bonheur d'être adoré.

 
 

Sources

BNF, Ye 29581 (Poésies diverses composées en Égypte, en Angleterre et en France, Paris, Imprimerie Didot L'Aîné, an XII, p. 37-42).