Triomphe de la Raison (Le)
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Paratexte
Ode
Texte
Rentrez dans la nuit éternelle
Vieux préjugés, fantômes vains,
De tous nos maux hydre cruelle,
Idole & fléau des humains !
Sous les débris du despotisme
Disparais, sanglant fanatisme ;
La Raison brise vos autels,
Et les torrens de sa lumière,
Débordés sur la Terre entière,
Vont éclairer tous les mortels.
En vain les tyrans sur leur trône ;
À son aspect épouvantés,
Pressent autour de leur couronne
Leurs bataillons ensanglantés :
En vain le prêtre, dans sa rage,
Sonnant le tocsin du carnage,
Voudrait éterniser leurs fers ;
Par-tout leur chute se prépare,
Et les sceptres & la tiare
Disparaîtront de l'univers.
Sous leur joug, l'opprobre du monde,
Oh ! Que l'homme fut avili !
Dans quelle obscurité profonde
L'erreur le tint enseveli !
Quelle aveugle & longue croyance
L'abrutit dans son ignorance !
Quels siècles de forfaits, d'horreurs
Pour ses faux dieux, pour leurs images,
Retraceront à tous les âges
Le cours sanglant de ses fureurs !
Homère feint que la ceinture
Par qui Vénus charmait les sens,
Renfermait ce que la Nature
Offre d'attraits les plus puissans ;
Des Amours la troupe légère,
La douce langueur, le mystère,
Les ris & les désirs vainqueurs,
Et les grâces enchanteresses,
Et les séduisantes caresses
Qui savent conquérir les cœurs.
Ainsi le bandeau du prestige
Séduit les crédules mortels,
Et, par un contraire prodige,
Contient leurs maux les plus cruels.
Là sont renfermés l'ignorance,
La fanatique extravagance,
Les barbares dissentions,
Et la tyrannie & la guerre,
Et l'esclavage & la misère
Qui dévorent les nations.
Sur les yeux de l'homme imbécille ;
Les prêtres, artisans du mal,
Et les rois, d'une main habile,
Attachent ce bandeau fatal :
Dès lors il s'ignore lui-même ;
Il ne voit, il n'admire, il n'aime
Que l'objet qui plaît à leurs yeux ;
Il tombe en leurs filets perfides,
Et de leurs fureurs homicides
Se fait l'instrument odieux.
Rougissez, tyrans de la terre,
Ce voile, utile à vos forfaits,
Des yeux du Français qui s'éclaire,
Tombe, déchiré pour jamais.
Voyez la Raison triomphante,
Montrant la Vérité brillante
Qui sort de la nuit du tombeau,
Les amas d'idoles brisées,
Et vos images embrasées
Se consumer à leur flambeau.
Vous vous disiez, brigands féroces,
Les dieux bienfaiteurs des humains
Lorsque pour vos plaisirs atroces,
Dans leur sang vous plongiez vos mains ;
Vous osiez vous nommer leurs pères,
Que le Ciel juste en leurs misères,
Combla de biens pour les nourrir,
Quand votre barbare puissance
Dévore jusqu'à leur substance,
Et les fait lentement mourir.
Plus de faux dieux, plus d'imposture ;
Périsse jusqu'au nom des rois !
Homme ! La Raison, la Nature,
La Liberté, voilà tes droits ;
L'auteur suprême de tout être,
Voilà ton Dieu, voilà ton maître ;
Tes vertus doivent l'honorer :
Ce Ciel pur que ton œil contemple,
Voilà le magnifique temple
Où ton esprit doit l'adorer.
De l'intérêt & du mensonge,
Si nos mains renversent les dieux,
Fuyons aussi l'excès qui plonge
Dans un athéisme odieux ;
L'idolâtre est vil & stupide ;
Serpent rusé, monstre perfide,
L'athée est un tyran secret,
Vrai fils de l'aristocratie,
Immolant tout, vertus, patrie,
À la loi de son intérêt.
Ô toi, dont le monde est l'ouvrage,
Insensé qui te méconnaît !
Mais à tes yeux quel est l'hommage
Et le culte le plus parfait ?
Oui, des tyrans purger la terre,
Suivre les loix, chérir son frère,
Des erreurs tarir le poison,
Parler beaucoup moins que bien faire,
C'est le culte qui doit te plaire,
C'est le culte de la Raison.
Raison, fille de la Nature,
Et la mère de la Vérité,
Des rayons de ta clarté pure
Environne la Liberté ;
Sois son guide, assure sa gloire ;
Enchaîne à son char de victoire
Les préjugés, monstres vaincus,
Et que sa compagne fidelle,
L'Égalité fixe auprès d'elle
Et le bonheur & les vertus.
Et vous, dont la voix ferme & juste,
Bravant les vains foudres des rois,
Du haut de la Montagne auguste
Annonce à l'univers ses lois,
Poursuivez, rendez ses oracles,
Confondez Rome & ses miracles,
Du monde changez les destins :
Et domptant les erreurs, les crimes,
Hâtez, par vos travaux sublimes,
Le bonheur de tous les humains.