Défenseur de la philosophie, ou Réponse à quelques satires dirigées contre la fin du XVIIIe siècle (Le)

Année de composition

1799-1800 (an VIII)

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Satire par un ami des Arts, des Lettres et des Mœurs

Avertissement

La défense, lorsqu'on est attaqué, est de droit naturel ; l'auteur de cette satire l'a été dans toutes celles qui viennent de paraître, chez Moller, et qui sont dirigées contre la philosophie et la fin du 18e siècle. Il se défend : pourrait-on lui en faire un crime ? Il se serait tû cependant, si l'on n'avait attaqué que lui ; mais insulter grossièrement ce qu'il y a de plus sacré sur la terre, la philosophie ! Quoiqu'il déteste la satire, il n'a pu contenir son indignation. L'auteur ne signe point cet écrit, mais par d'autres raisons que ses agressseurs. Il tient de la confiance du gouvernement une place honorable, qui ne permet pas que son nom soit traîné dans les halles de la littérature ; il n'est d'ailleurs amoureux d'aucune espèce de renommée, il ne prétend à aucune sorte de récompense ; et tel que les vieux chevaliers qui allaient autrefois en champ clos combattre pour l'honneur de leur dame, et qui, la visière de leur casque toujours baissée, sortaient de l'arène, heureux d'avoir satisfait à leur devoir, fût-il même vaincu, il s'honorera toujours de sa noble entreprise.

Texte

Que Jean-Jacques Rousseau, misanthrope sublime,
Si digne de pitié, mais plus digne d'estime,
À la philosophie insulte avec fierté : 
Rousseau fut malheureux, il fut persécuté.
Lorsque d'un fiel brûlant son âme est enivrée,
C'est un maître qui gronde et qui bat sa livrée : 
Je l'admire et le plains. Mais qu'un jeune rimeur
Ose de son talent nous donner la primeur, 
En détrônant les arts et la philosophie
Source de tous les biens, que mon cœur déifie,
J'éprouve du courroux l'ardent avant-coureur,
Et mon sang, malgré moi, bouillonne de fureur.

Un rimeur ! Qu'ai-je dit ? J'en vois des fourmilières,
Qui, s'armant du crayon des Boileau, des Molières,
Pour peindre tour à tour nos vices, nos travers, 
Font de grands vers en prose et de la prose en vers.
Le siècle, à les entendre, est à sa décadence ; 
La strophe de Lebrun est vide de cadence ;
Et Chénier, froid et sec dans sa jeune saison, 
A manqué de vigueur par excès de raison. 
Lorsqu'ensuite il a peint, d'une main vigoureuse, 
Dans toute sa laideur, la calomnie affreuse, 
Les dards qu'il a lancés n'ont tombé que sur lui,
Et son cher Fénelon n'inspire que l'ennui.
Sous les traits de Monvel, lorsqu'il entre au théâtre, 
En vain toute la France en parut idolâtre,
Ce vertueux prélat, quoique tendre et disert,
Comme un autre Cotin, prêche dans le désert. 
L'énergique Ducis à peine a du génie, 
Et Saint-Pierre n'a fait que Paul et Virginie. 
Legouvé n'a point d'âme, il n'a que de grands mots
Qui d'un savant lycée enchantent les grimauds. 
Andrieux !… C'est en vain que son esprit les frappe ;
Tous ses vers sont mauvais, il s'est moqué du pape : 
Aux dépens de la cour il a ri quelquefois ;
Son ton est détestable, il ne veut plus de rois ;
Du nom de citoyen il veut que l'on s'honore.
Fontanes est quelquefois une flûte sonore
Piis, un flageolet dont les joyeux refrains
Veulent en vain atteindre aux fiers alexandrins ; 
Et le vers de Saint-Ange, ingénieux, mais vide, 
Malgré son tour facile, est l'assassin d'Ovide.
Desorgues est un volcan, Vigée un papillon
Qui lourdement voltige à la cour d'Apollon.
François de Neufchâleau, dont j'aime le délire, 
Ne fait pas mieux les vers qu'il n'apprend à les lire.
L'An deux mille est sans feu, sans verve, sans appas : 
On insulte Mercier, que l'on ne comprend pas ; 
On insulte Rétif, qu'on n'a pas daigné lire,
Et froidement on juge un sublime délire.

Parny, digne rival du chevalier romain,
Sait au cœur des amans se frayer un chemin : 
Mais sa Guerre des dieux, son vrai titre à la gloire,
Doit le faire expulser du temple de Mémoire.
Les dévots l'ont maudit ; ils n'ont pas voulu voir
Que plaire, d'un poète est le premier devoir ;
Et que dans leur humeur, aux grâces indocile,
Ils ont de l'Institut fait un pieux concile,
Et transformé le Pinde en triste Sanhédrin.
La peinture décline ! Et nous avons Guérin,
Et nous avons David, le peintre des Horaces,
Et le doux Izabey, non moins doux que les Grâces.

On voudrait que Talma fût l'égal de Lekain ;
Et Talma dans Néron, Baptiste dans Lucain,
De ces messieurs à peine obtiennent le suffrage :
À l'âge qui n'est plus on immole notre âge.

Eh ! Pourquoi de la sorte affliger le talent ?
De la rose autrefois le parfum s'exhalant,
A-t-il mieux chatouillé l'odorat de nos pères,
Qu'il ne fait aujourd'hui dans nos jardins prospères ?
L'étranger ananas eut-il plus de saveur ?
Le tokai, le champagne, au cerveau du buveur,
Ont-ils plus promptement réveillé la saillie !
Croissait-il plus de fleurs aux bosquets d'Idalie,
De plus jaunes épis dans les vastes guérets !
Et les arbres enfin, monarques des forêts,
Étaient-ils plus puissans, plus verds et plus robustes ?
Dans nos bois aujourd'hui n'est-il que des arbustes ?

Qui donc faut-il louer ? Est-ce monsieur Pillet ?
Comme, de la satire aiguisant le stylet,
Il raille finement ! Comme il perce avec grâce
Tant de pauvres rimeurs qu'eût épargnés Horace !
Sous les traits imprévus de cet auteur hardi,
Voyez Lebrun-Tossa tomber tout assourdi.
Il est vrai qu'il se cache, à peine on le soupçonne ;
Dans sa longue revue, il n'est vu de personne.
Cet exemple est utile : il faut, comme Sinon,
Porter ses coups dans l'ombre et dérober son nom.

Faut-il louer Doigni, qui, chassé de la scène,
Vint s'immortaliser dans la Quotidienne,
Et qui là, sans pudeur, anonyme à son tour,
De l'affreux despotisme invoquant le retour,
Y prêcha sourdement une sainte croisade,
En conspirateur lâche, en poète maussade ;
Et qui, malgré sa rage à célébrer les rois,
Ne put même un instant faire entendre sa voix ?
Ce ne fut point sa faute ; il a de l'art, du style ;
Il travaille avec goût le poison qu'il distille :
Mais ses drames tombés, mais ses drames reçus,
Grâce à moi seulement pourront être aperçus.
Il serait ignoré, sans ma voix qui le nomme ;
Tant la fatalité poursuivit ce grand-homme.

Faut-il louer Campagne, écrivain renommé,
Et qui dans la satire est surtout consommé ;
Qui tonna sur les mœurs, qui fit Calon d'Utique ;
Dont les vers constamment restent dans la boutique,
Mais qui, les produisant sur les murs de Paris,
Est, grâce à l'afficheur, le roi des beaux-esprits ?
Fantin des Odoarts, historien célèbre,
D'Hénault le président rival plus que funèbre,
Qui trempe ses pinceaux dans le fiel et les pleurs,
Pour couronner Louis de cyprès et de fleurs ?…
Fantin des Odoarts est un nouveau Tacite :
Il n'est rien qu'il ignore, il n'est rien qu'il ne cite ;
Dans ses œuvres sans fin il n'a rien oublié :
Anecdotes, bons mots, il a tout publié ;
Et grâce aux cent journaux qu'il a mis sur l'enclume,
Il touche en ce moment au centième volume…
Jusqu'à moi, direz-vous, ils ne sont point venus,
Et vous rendez hommage à des dieux inconnus ;
Laissez des Odoarts, Pillet, Doigni, Campagne ;
Vous avez un peu l'air de battre la campagne :
Laissez les morts en paix, respectez les tombeaux.
Eh bien ! Vous l'ordonnez, voici d'autres tableaux.
De quelques nains obscurs j'ai tracé la peinture,
Passons aux dieux géans de la littérature.

Qu'en jugeant les auteurs Palissot est charmant !
Qu'il règne dans ses vers de goût et d'agrément !
Jamais il n'injurie ; et Marmontel, Lemierre,
Tous deux appréciés de la même manière,
Donnent à ses couleurs le ton des camayeux.
Pour saisir les défauts, d'Argus il a les yeux ;
Pour saisir les beautés il est un peu myope :
Mais comme dans le miel son venin s'enveloppe !
Comme dans ses tableaux, où rien n'est rembruni,
Tout a l'air élégant, doux, correct et fini !
Malgré la pureté du vers qu'il élabore,
Sa longue Dunciade est un peu longue encore ;
Elle est froide et peu gaie, elle endort le lecteur ;
Mais froideur, mais longueur, et surtout pesanteur,
Ont des charmes secrets dont la douceur l'attire.
À quoi sert d'être gai, quand on fait la satire ?
Percez jusques au sang un ennemi mutin,
Faites-lui de Lycambe éprouver le destin ;
Imitez Palissot : tout cède à ses morsures ;
Tous ceux qu'il a frappés sont morts de leurs blessures.
De la philosophie ardent persécuteur,
De la philosophie insipide flatteur,
Il insulta Jean-Jacques, et, devant Roberspierre, 
Il insulta l'église et les autels de Pierre.
De la philosophie il blâmait les écarts,
Sur la confession il lança des brocards.
Mais de caméléon le rôle est si commode :
Palissot a du goût, il veut être à la mode.

Laharpe, dont le nom est partout si vanté,
Laharpe, dont l'esprit tient le monde enchanté,
A laissé voir du moins plus de persévérance.
Avant que le château qui pesait sur la France,
Que l'affreuse Bastille eût tombé sous nos coups,
Laharpe, philosophe, armé d'un saint courroux,
Fit l'Ombre de Duclos, écrivit Mélanie ;
Défenseur de Voltaire, ou plutôt du génie,
Partout il opposa, dans ses heureux travaux,
L'arme de l'ironie à l'arme des dévots.
Mais à tous ses écrits, à ses moindres ouvrages,
Monsieur de Saint-Papoul refusait ses suffrages.
Monsieur de Saint-Papoul est un digne prélat
Qui convertit le monde et ne fait point d'éclat.
Laharpe lui doit tout. À ses leçons fidèle,
Laharpe est du bercail devenu le modèle.
Depuis que ce prélat a dessillé ses yeux,
Et que, pour conquérir le royaume des cieux,
De la philosophie il ne suit plus les traces,
Voyez comme son style est dicté par les Grâces !
Il n'a plus fait de vers ; mais sa prose ! Est-il rien 
Plus digne d'un auteur grand théologien ?
Et lorsque des dévots il fait l'apologie,
Dans ses expressions, quel feu ! Quelle magie !
Il parle de la grâce en rival d'Augustin,
Et s'élève au-dessus du grand Thomas d'Aquin.

Comme il va récitant, au lever de l'aurore,
Ce qu'il a fait jadis, ce qu'il refait encore ;
Et son Cours littéraire, et ses épais lambeaux
De la Jérusalem, qu'il donne pour nouveaux !
Quelques mauvais plaisans, voyez quelle injustice !
Le font monter au Pinde à grands pas d'écrevisse.
Laharpe, disent-ils, a bien dégénéré :
Moi, je soutiens, messieurs, qu'il est régénéré,
Et que ce grand auteur, nouveau catéchumène,
Dépouille tout à coup de la faiblesse humaine,
S'est assis sur le Pinde en vrai triomphateur ;
Qu'il est de l'Hélicon le seul législateur,
Qu'il grandit chaque jour, qu'il est, quoi qu'on en dise,
Un Longin, un Horace, un père de l'Église,
Et que le saint prélat, le grand convertisseur,
De l'immortalité le rendra possesseur.

Faut-il louer encor Rivarol et Delille ?
Mon cher comte, salut ! Salut, abbé Virgile !
Vous souvient-il du tems où, chers aux beaux-esprits,
Tous deux vous polissiez d'ingénieux écrits !
Les Jardins, chez Bleuet, venaient-ils de paraître,
Le Navet et le Chou ne tardaient point à naître.
L'un de l'autre ennemis, l'un de l'autre rivaux,
Vous cherchiez à briller par vos divers travaux.
Cependant, fatigués de planer dans les nues,
Vous laissez reposer vos lyres détendues.
Que dis-je ? Rivarol n'a-t-il pas, depuis peu,
Fait un livre sublime en l'honneur du bon Dieu,
Et le long prospectus d'un long dictionnaire
Où n'entre pas un mot révolutionnaire ?
Delille, plus adroit, à Londres retiré,
Par le dieu du commerce avec fruit inspiré,
Redonnant aux Anglais ses œuvres surannées,
N'a-t-il pas des ladys empoché les guinées ?
Il promet l'Énéide, où règnent tant d'appas ;
Il promet, il promet : que ne promet-il pas ?
Tout Virgile traduit, tout Pope, tout Homère :
Sa réputation n'aura rien d'éphémère.
Delille et Rivarol, grands hommes, s'il en fut,
Suivent les mêmes loix, tendent au même but.
De leur rare talent qu'un faquin se défie :
Ils sont les ennemis de la philosophie,
Et l'anti-philosophe a toutes les vertus.

Par la philosophie, aux mortels corrompus,
Du bonheur véritable on peut montrer la route ;
On y marche, en tremblant, à la lueur du doute,
Et sur ses passions on apprend à régner.
Tout ce qu'on juge honnête, on aime à l'enseigner.
Mais ces messieurs l'ont dit : non, jamais avec gloire
Un philosophe n'entre au temple de Mémoire.
Témoins le plat Voltaire et le plat Cicéron,
Et le plat gouverneur du barbare Néron ;
Témoins Helvétius, d'Alembert et Jean-Jacques :
Tous gens déshonorés qui n'ont pas fait leurs pâques.
De monsieur de Moustier faut-il louer l'esprit ?
Ah ! Que ne puis-je écrire aussi bien qu'il écrit !
Vous liriez ma Satire, et la prôneriez même.
Immortels détracteurs du siècle dix-huitième,
Je serais à vos yeux le Poète du jour.

Quand de Moustier naquit, les Muses et l'Amour
Sur sa bouche enfantine exprimèrent des roses :
Son style n'est que miel, n'est que fleurs demi-closes.
Comme son doux encens chatouille l'odorat !
Il égale Voltaire, il surpasse Dorat.

Il est riche de mots et vide un peu d'idées :
Ses grâces, trop souvent, sont des grâces fardées,
Et l'Art, sans la Nature, a taillé ses pinceaux.
À Natalis Comès, il a dû ses tableaux ;
Et piller Natalis n'est pas fort exemplaire.
Oui, mais il est dévot, peut-il manquer de plaire ?

Parlerai-je à présent de Colnet l'éditeur ? 
Ce Monsieur qui pérore et n'a point d'auditeur,
Vient de mêler son fiel aux ondes du Permesse.
D'écraser l'Institut il nous fait la promesse.
Il fait, par le Portique, assiéger Thélusson,
Et croit donner au monde une grande leçon.
Un soudard de Condé qu'on paie à tant la phrase,
Cavalier qui jamais n'a monté sur Pégase,
Suit les pas de Colnet déjà mis en oubli,
Et pousse, en galopant, à Voltaire, à Mably.

Eh ! Mes chers éditeurs, quelle est votre manie ?
L'âge qui va mourir vous parait sans génie,
Sans vertu, sans morale ; et dans tous vos portraits,
À la Philosophie imputant ses forfaits,
D'un voile injurieux vos mains avec colère
Chargent le front vieilli de ce roi séculaire.

Le Toulousain Fonvielle, en dépit des neuf Sœurs, 
Insulte, à votre exemple, aux sublimes penseurs ;
Et votre général, l'invincible Pinière,
Lance au lion mourant la ruade dernière.

Imberbes agresseurs, de rage tout gonflés,
Petits auteurs sifflans, quoique toujours sifflés,
Parlez. Est-ce Voltaire, est-ce le bon Panage,
Qui furent les auteurs des crimes de notre âge ?
Serait-ce Helvétius, le sage de Voré, 
Par sa philantropie en tout tems dévoré ? 
Fontenelle, enfermé dans sa robe de chambre,
Ruminait-il jadis les meurtres de Septembre ?
Meurtres qu'il faut maudire et non pas rappeler,
Meurtres que vos tableaux semblent renouveler,
Meurtres que je déteste, et qu'avec politesse
Votre Muse se plaît à me peindre sans cesse !
Peut-être quelquefois vous avez lu Raynal :
Est-ce lui qui créa cet affreux tribunal
Où périt Lavoisier, où des bourreaux superbes
Osèrent à la mort envoyer Malesherbes ;
Où mon ami Rabaut, où Roucher, mon ami,
Ne furent point, hélas ! égorgés à demi ;
Où le doux Beauharnais, que je regrette encore,
Avec tant de douceur vit sa dernière aurore ?
Est-ce le bon Rousseau, Rousseau le Genevois,
Qui d'un noir jacobin fit entendre la voix,
Et qui, déshonorant son nom et la tribune,
Dénonça la vertu, proscrivit l'infortune ?
Et la loi des suspects, abhorrée en tout lieu,
Y reconnaissez-vous l'esprit de Montesquieu ?
Le fils du grand Buffon, qu'eût tant pleuré sa mère,
A-t-il dû son trépas aux écrits de son père ?
Et le baron d'Holbach s'est-il jamais assis
À côté du baron Cloots Anacharsis ?
Serait-ce à Diderot qu'on a dû les noyades ?
Faut-il sur d'Alembert  jeter les fusillades ?
Paine à l'ordre du jour a-t-il mis la terreur ?
Le sage Condillac a-t-il prêché l'erreur ?
D'Argens a-t-il prêché l'affreuse oligarchie, 
Boulanger l'ignorance, et Fréret l'anarchie ?

Vous insultez Lalande et Sylvain Maréchal :
Que leur reprochez-vous ? Donnent-ils le signal
De la rébellion, de la guerre civile ?
L'un, paisible en ses mœurs et sage dans son style,
Des flambeaux de l'éther sublime observateur,
A tout vu dans les cieux, hormis le créateur ;
Mais il a des vertus dignes d'être citées.
L'autre a mis Fénelon au nombre des athées :
Sont-ils si criminels ? Je suis faible d'esprit ;
Le nom de l'Éternel à mes yeux est écrit
Dans ces globes de feu qui brillent sur nos têtes ;
Il me parle, il m'instruit par la voix des tempêtes ;
Dans mon cœur je le sens, par mon cœur je le vois.
Mais vous, de l'univers connaissez-vous les lois ?
Découvrez-vous d'un Dieu les signes manifestes,
Dans le pompeux amas des systèmes célestes ?
À vos regards enfin Dieu s'est-il dévoilé ?
Sur le sommet brillant de son trône étoilé,
L'avez-vous apperçu tenant en main la foudre ?
Eh ! Lorsqu'il faut douter, pourquoi toujours résoudre,
Et ne pas préférer, lorsqu'il s'agit d'un Dieu,
L'opinion de Bayle à celle de Jurieu ?
Bayle fut tolérant, Jurieu, prêtre farouche,
N'eut jamais que le fiel et l'injure à la bouche.
Vous êtes des Jurieux : ardens persécuteurs,
Vous savez peu de chose et parlez en docteurs.
Au Dieu que nous croyons avec persévérance,
Ainsi que moi, messieurs, offrez votre ignorance.
L'évangile l'a dit : ce livre tout divin
À mon sensible cœur ne parle point en vain ;
La morale qu'il prêche à l'homme est salutaire.

Je ne veux point lancer à la femme adultère 
La pierre qui sur moi peut retomber un jour ;
Je pardonne à l'erreur : sachez, à votre tour,
Faire de ces leçons l'utile apprentissage ;
Tolérez, pardonnez, c'est la vertu du sage.

Qu'au fond de son village un pauvre homme ignoré,
Qui, pour législateur, a choisi son curé
Qui rend le pain bénit, qui jeûne le carême,
Qui s'abstient de la chair dans les quatre-tems même,
Et qui, dans un revers qu'il n'a point mérité,
Implore l'Éternel avec simplicité ;
Que cet homme, au bruit sourd d'une crise alarmante,
Des révolutions maudisse la tourmente ;
Sur la chute du trône, et du culte et des mœurs,
Que tout haut il gémisse et qu'il verse des pleurs,
Au lieu de le blâmer, j'honore sa faiblesse ;
D'insulter au malheur je n'ai point la bassesse.

Mais vous sied-il à vous, Pétrones clandestins,
Vous qui fûtes jadis d'effrontés libertins,
Vous sied-il de vanter les mœurs et la décence ?
Est-ce à l'hypocrisie à chanter l'innocence,
À venir nous prêcher, dans de pieux sermons,
L'amour de la vertu, la crainte des démons ?
Quel est l'heureux triomphe où votre espoir se fonde ?
N'est-ce donc pas assez, pour endormir le monde,
Des longs vers ennuyeux, nés de vos longs travaux ?
Faut-il nous accabler sous le poids des pavots ?
Vous entendez la messe et la servez peut-être ;
Vous rendez votre hommage à l'autel du Grand Être ;
Mais la volupté sale a pour vous mille attraits,
Et vous allez souvent où je ne vais jamais.

Sévères pour autrui, pour vous pleins d'indulgence,
Votre dévotion est sœur de la vengeance,
Et vos bénins soupirs sont des cris de fureur.
Ne pouvant sur nos fronts renvoyer la terreur,
Dont le règne sanglant, né parmi les alarmes,
Nous coûta plus qu'à vous de sanglots et de larmes,
D'un cruel Monsignor vous adoptez les mœurs,
Et semant contre nous d'hypocrites rumeurs,
Fâchés qu'on nous écoute, et fâchés qu'on nous lise,
Vous nous assassinez au sortir de l'église.
Ne pardonnant pas même au prêtre citoyen
Qui s'impose la loi d'un pudique lien,
Partout vous exaltez les préjugés de Rome :
Cournand devient époux ! Il n'est plus honnête homme.
Et, Tartuffes nouveaux, avec impunité,
Vous chargez de brouillards l'auguste vérité.
Mais le tems est venu de vous faire connaître.
J'ai déjà démasqué ce Gilbert, votre maître ;
Ce Gilbert qui vécut, mystique fanfaron,
Du pain de l'archevêque et du vin de Fréron ;
Ce Gilbert, quoique athée, apôtre de l'Église ; 
Ce Gilbert que l'on prône autant qu'on le méprise.

Ce Gilbert toutefois, dont j'esquisse les traits,
À force de travail, fit quelques bons portraits :
De ses vers martelés, que l'on admire encore,
Un anti-philosophe avec goût se décore,
Et pénètre par eux dans le palais des rois.
Mais vous, qu'avez-vous fait ? Mais vous quels sont vos droits ?
De Camille Jordan imitateurs serviles,
Vous allez dans les champs, vous allez dans les villes,
Crier que l'univers sans la messe est perdu. 
Sonnez-la, dites-vous à ce rustre éperdu
Qui vers l'église marche escorté de ses proches ;
Et pour faire du bruit, vous invoquez les cloches.

Lormian quelquefois décoche un vers plaisant ;
Despaze est plus sévère, il est moins amusant :
De nos mauvaises mœurs lorsqu'il peint les ravages,
D'un fiel misantropique il inonde ses pages,
Et parait tout armé du fouet de Juvénal.
Lormian, dans son style, est moins original ;
Il attaque les sots, et Despaze le vice :
L'un a plus de vigueur, l'autre plus de malice.
Mais vous qui de Colnet empruntez le manteau,
Et qui gardez pour nuire un lâche incognito,
La calomnie est là qui vous dicte vos rimes ;
Vous inventez des torts, vous supposez des crimes ;
La vertu, le talent, rien n'est sacré pour vous.
Tremblez ! Ces premiers vers sont l'œuvre du courroux.
Mais je puis manier l'arme du ridicule,
Et pour l'hydre de Lerne être un nouvel Hercule.

 
 

Sources

BNF, Ye 20468.